Sauver l’AFPA du marché et de la concurrence
Si l’AFPA draine beaucoup d’argent et fait partie de l’élite associative française en terme de financement, elle est gérée en dépit du bon sens : fin 2012 le déficit de l’association atteint 75 million d’euros. Il faut dire qu’en 2011, sur 126.000 places disponibles pour des formations, seules 86.000 sont utilisées, soit 68% des capacités de formation alors que le chômage augmente déjà : une bizarrerie qui n’a toujours pas d’explication. Le problème de gestion vient d’une transition non maîtrisée d’un modèle de financement par subvention vers un modèle de paiement sur facture, ce qui implique une gestion différente et surtout très suivie. Ce changement de gestion, intervenue en 2011, était le résultat de l’ouverture au marché de la formation professionnelle voulue par Nicolas Sarkozy, ancien président de la République. En d’autres termes, l’AFPA, qui se contentait de recevoir ses subventions, a mal vécu son entrée dans l’économie de marché : la concurrence l’a faite couler.
Face au danger de banqueroute, Yves Barou, président de l’AFPA, constate qu’ « il n’y a pas eu de pilote pendant longtemps: tout le monde a laissé faire et la défaillance était collective. » Il présente donc le 15 novembre dernier un plan de restructuration afin de sauver l’association et ses 9.150 salariés : 102 millions d’économies nécessaires, 233 postes déjà supprimés et 480 autres à supprimer encore afin de pouvoir assainir les finances et rembaucher entre 600 et 700 formateurs d’ici 2015, voilà les grandes lignes du plan. Mais Jacques Coudsi, secrétaire général CGT-AFPA et représentant du personnel au Conseil d’administration, ne l’entend pas de cette oreille. Pour lui, L’Etat doit renflouer les caisses de l’AFPA et le faire maintenant.
Alors le 22 novembre 2012, une manifestation est organisée en face de la Gare Montaparnasse, à Paris, rassemblant près de 3.000 grévistes de l’AFPA, soit 30% des effectifs de l’association. Au cri de « Sapin, Repentin, l’Afpa, c’est pas la fin ! », la CGT en tête, accompagnée de la CFDT, de FO, de la CFTC, de SUD et de la CFE-CGC met la pression sur le gouvernement. Jacques Coudsi interpelle alors Jean-Marc Ayrault, le Premier Ministre : « il s’était engagé à sortir l’AFPA de cette situation et à la mobiliser pour la formation des demandeurs d’emploi. Le gouvernement doit arrêter de se tirer une balle dans le pied. » Et donner le ton : « si l’on reste dans une simple logique d’économie, ça ne marchera pas. » En affirmant ceci, il se fait l’écho de Sylvette Uzan Chomat qui a parfaitement défini les exigences syndicalistes dans l’Humanité le 25 juin 2012 : « Sauver l’AFPA, considérer la formation comme une activité d’utilité publique et non marchande, donner les moyens d’existence au service public national de l’emploi et de la formation, rompre avec l’attitude de défiance envers les chômeuses et les chômeurs sont autant de leviers qui permettraient de faire face à la situation économique, en préservant la solidarité du territoire et en évitant les désespérances. »
L’objectif est de sortir l’AFPA du système de la concurrence pour lui confier une mission de service public. L’offensive syndicaliste s’organise donc pour récupérer les subventions et être renflouer par l’Etat socialiste. C’est alors que Thierry Repentin, ministre délégué à la formation professionnelle et à l’apprentissage, entre en scène.
Vers un service public de la formation professionnelle
Le 13 décembre 2012, à Toulouse, devant le personnel de l’AFPA, Thierry Repentin confirme le soutien du gouvernement. Un soutien sonnant et trébuchant puisque dès l’été 2012, l’Etat verse 20 millions d’euros de subvention et payé 25 millions d’euros pour régler des dettes à la filiale AFPA Transition. Car la refondation annoncée est d’abord un refinancement : l’Etat est prêt à souscrire des participations constitutives de fonds propres procédant ainsi à une capitalisation de l’AFPA. Quant au patrimoine de l’association, des baux emphytéotiques administratifs devraient le sécuriser. Enfin l’Etat s’assure bien que 22 conventions régionales sont signées entre le Pôle Emploi et l’AFPA.
Mais le meilleur reste à venir. Le 14 janvier 2013, Jean-Marc Ayrault, en tant que chef du gouvernement, arrive avec une enveloppe de 110 millions d’euros au centre de l’AFPA à Caen, un centre historique puisque le plus ancien, un symbole que veut utiliser le gouvernement. Mais ce sont non seulement 110 millions d’euros qui sont donnés immédiatement à l’AFPA, ce sont aussi 110 millions d’euros supplémentaires souscrits pour les années 2014-2017 qui sont engagés. Avec d’autres partenaires impliqués dans la formation professionnelle, notamment les banques et les collectivités territoriales, l’enveloppe globale pourrait atteindre 430 millions d’euros d’ici la fin du quinquennat. « Alors que le gouvernement précédent, par impréparation, laissait mourir l’AFPA à petit feu, mon gouvernement s’est mobilisé, » déclare un Jean-Marc Ayrault satisfait.
Mais le Premier Ministre ne s’en tire pas à si bon compte. Jacques Coudsi maintient la pression, stratégie bien connue des syndicats. Le renflouement de l’Etat est, pour le cégétiste, « un premier pas significatif, qui va permettre de penser à l’avenir et pas seulement à la survie de l’AFPA ». Mais il prévient : « il faudra rediscuter de comment sortir d’une situation de concurrence et assurer le financement de l’organisme dans le cadre de la loi de décentralisation. » L’objectif est de devenir un service public à part entière.
L’AFPA au cœur de la formation professionnelle
François Hollande semble être en train de réaliser ce vœu. Lors de son discours du 4 mars à Blois qui annonce la grande réforme de la formation professionnelle, il dit bien que le renflouement de l’AFPA fait partie des trois grandes décisions fondatrices de la nouvelle formation professionnelle, aux côtés de l’enveloppe de 500 millions d’euros dégagée pour former des jeunes et des chômeurs jusque-là mis de côté et la création du compte personnel de formation.
Le Président sait bien que ce sont plus de 400 millions d’euros, soit 100 millions d’euros pour les quatre prochaines années qui vont affluer dans les caisses de l’AFPA. Aussi s’empresse-t-il de dire qu’ « avec cet effort important, aujourd’hui, l’outil existe, il doit être pleinement utilisé et notamment pour ces formations de la deuxième chance. »
Quant à la concurrence vilipendée par Jacques Coudsi, là aussi François Hollande prend un engagement puisqu’il veut mettre « un peu d’ordre dans tous les organismes de formation », c’est-à-dire les concurrents de l’AFPA. « Il y en a d’excellents, il y a de bons et il y en a de moins bons. 55.000 aujourd’hui », précise-t-il avant de poser la question fatidique : « Est-ce que c’est raisonnable d’avoir 55.000 organismes de formation ? » On imagine aisément Jacques Coudsi et la CGT secrètement satisfaits. D’autant plus que le Président ajoute que « nous devons recentrer le système sur moins d’organismes et exiger plus de qualité. Il y aura donc un véritable système de certification comme on en demande pour les entreprises, de validation, d’évaluation. » Gageons que l’administration française saura élaborer une certification qui protégera les intérêts de l’AFPA et ceux, concomitants, de la CGT-AFPA.
Association moribonde en juin 2012, voilà l’AFPA devenue un quasi service public en mars 2013 : la CGT peut se féliciter des décisions de François Hollande et remercier au passage les contribuables qui paient entièrement le renflouement d’une association dont ils n’auront, pour la très grande majorité, jamais aucune utilité. Au moins les contribuables savent maintenant que les premiers bénéficiaires concrets de la réforme de la formation professionnelle sont les 9.000 salariés de l’AFPA.
Jean de Selzac