Ca y est, toutes trompettes dehors, RFF (Réseau Ferré de France) a annoncé avoir conclu un Partenariat avec Eiffage pour construire le tronçon Rennes-Le Mans du TGV ouest. La presse "mainstream" reprend SANS LE MOINDRE ESPRIT CRITIQUE les communiqués officiels. On y apprend donc que pour le modique ticket de 3,3 milliards d'Euros, 214 kilomètres de voies nouvelles seront construites (15 M€/km - "dans la norme") par Eiffage, qui avancera 1,9 milliards puis percevra ensuite un loyer versé par l'état, RFF, autre entité étatique, apportant de son côté 1,4 Milliards, et, à ce prix, espère être "rentable", c'est à dire que les redevances d'usage versées par la SNCF lui permettront de rembourser les dettes contractées pour cet investissement... Compte non tenu, évidemment, des 1,9 milliards que l'état remboursera à Eiffage, intérêts non inclus. Mais je suppose que la dette vis à vis d'Eiffage a le bon goût de ne pas être comptabilisée dans le chiffre de l'endettement public, contrairement à un emprunt classique sur les marchés financiers !
Un projet ruineux aux bénéfices discutables
Contrairement au projet de la LGV de Bordeaux, déjà évoqué par Objectif Liberté, Eiffage ne semble même assumer aucun risque commercial, si j'en crois les déclarations d'un officiel de RFF sur BFM ce lundi soir, car les natures des partenariats sont différentes. C'est secondaire, d'ailleurs.
Bref, l'état, c'est à dire vous et moi, vont payer en étalant la dépense sur 25 ans, 3,3 milliards pour permettre au voyageur Rennais de gagner 37 minutes sur Rennes Paris, soit 90 minutes au lieu de 127.
Cela en vaut-il la peine ? A l'évidence, la réponse est non.
Plutôt que de réécrire tout le raisonnement, je vais citer les articles déjà écrits ici même à l'occasion d'autres projets ferroviaires tout aussi contestables. Les arguments n'ont pas changé.
Tout d'abord: "La LGV de Bordeaux montre que les lignes de TGV nouvelles sont des gouffres financiers".
Le raisonnement est identique pour les deux lignes, même si les chiffres diffèrent. Extrait:
4 Milliards de subventions, sans lesquels le projet ne se serait pas fait, constituent bel et bien un cadeau à Vinci et ses alliés. (...)
Je n'ai rien contre Vinci en particulier, ni contre ses confrères qui participeront aux autres lignes LGV, mais l'idée que quelques milliards de nos impôts vont servir à permettre à des groupes privés de s'assurer des revenus récurrents qu'ils n'auraient pu envisager sans notre petit coup de pouce me rend particulièrement maussade, surtout en ces temps où les hypothèques qui pèsent sur les finances publiques se révèlent particulièrement angoissantes. (...)
Tout ça pour quels bénéfices ? Nous l'avons vu, le gain de temps entre Paris et Bordeaux sera d'environ 50 minutes, que l'on arrondira à 1 heure. Qui utilise le TGV ? A pratiquement 50%, des cadres et CSP+, alors qu'ils représentent moins de 10% de la population. Autrement dit, ce sont les contribuables de toutes conditions et de toute situation géographique d'aujourd'hui et de demain qui permettront au boboïde germano-pratin et au notable du bordelais de multiplier la fréquence de leur rencontres. Merveilleux exemple de redistribution sociale, non ?
S'il est si important de gagner 50 minutes sur Bordeaux-Paris ou 37 minutes sur Rennes Paris, alors la clientèle des TGV doit être prête à en assumer la totalité du coût. Mais comme le ticket est subventionné, les voyageurs extorquent (sans en être conscients) aux non-voyageurs le prix de leur temps de voyage réduit.
Les co-investissements public privés, une fausse bonne idée
A relire également, sur Objectif eco cette fois ci : "Les Partenariats Publics Privés, une dangereuse illusion anti économique" - Les PPP ont ceci de pervers qu'ils constituent à la fois une subvention publique à la rente privée et une subvention privée à la gabégie publique. Au point que les "partenaires privés" peuvent être rebaptisés de... "Ponctionnaires" ! Extrait:
Ou encore: "oligarchie, ou la démocratie confisquée". Suite de la critique des PPP:
Notez que l'emploi du terme "menace" est impropre : l'arrêt d'une situation anormale serait, à long terme, une opportunité de rebâtir une économie sur des bases saines. Mais à court terme, des centaines de milliers de licenciements à gérer, dans une économie qui n'aurait plus les moyens d'écoper les voies d'eau de l'UNEDIC et des autres Titanics sociaux fort sollicités par ces chocs, ne seraient pas sans causer quelques troubles à un état régalien réduit à peau de chagrin par sa paupérisation rampante (que voulez vous, il faut bien financer les PPP). Et le désordre, quoiqu'on en dise, c'est très mauvais pour l'entrepreneuriat.
L'état Aggrave le risque systémique
C'est ainsi que par la faute de ses bricolages financiers, l'état accroît les risques encourus par l'économie: en cas de graves difficultés financières publiques, le recours systématique au PPP, en socialisant une partie non négligeable de l'économie que l'on dit privée, porte en elle le germe d'un risque systémique industriel qui va croissant. Toujours le même article:
Enfin, je rappellerai, comme je l'ai fait pour le "méga-risqué" projet de métro du grand Paris, que les estimations de coût et de trafic avant projet sont toujours affectées d'un biais d'optimisme que personne ne semble savoir éviter. Extrait:
Mais le principal biais affectant les estimations des grandes infrastructures est à la fois sociologique et politique.
En effet, les bureaux d'études et consultants qui produisent les estimations ont souvent intérêt à ce que les avant-projets se convertissent en projets, et tendent à enjoliver les estimations. En outre, un consultant en politique des transports qui rejetterait un peu trop systématiquement les projets d'infrastructures sur des bases économiques risquerait d'être sorti rapidement du marché du conseil aux collectivités. Cela affecte tous les types de projets.
A ces biais affectant l'état d'esprit des équipes technico-économiques en charge du volet conception, s'ajoutent des distorsions politiques affectant les maîtrises d'ouvrage, distorsions qui sont, cette fois, très majoritairement inhérentes aux seuls projets ferroviaires.
B. Flyvbjerg a étudié la communication institutionnelle des maîtrises d'ouvrage et a effectué des enquêtes anonymisées auprès de diverses équipes-projet. Ces investigations montrent que le "biais" politique en faveur du rail, mâtiné d'idéologie anti-voiture, tend à ajouter sur les équipes d'ingénieurs et de consultants une pression supplémentaire pour rendre aguichants les projets ferroviaires. Bref, à une composante de mauvaise évaluation du risque technique, et de biais optimiste des projeteurs, se greffe une pression politique plus forte dans le cas des projets ferroviaires. Les projets d'infrastructures ne sont d'ailleurs pas les seuls à souffrir de cette dissonance politicienne.
Autrement dit, il est probable que pour voir le jour, ces projets aient vu leur coût sous-estimé. Je serais curieux de savoir qui assume les risques en cas de dépassement de devis...
Ceux qui n'ont pas perdu patience pourront également relire pourquoi "il faut en finir avec le fantasme pro-ferroviaire". Pas d'extrait, je vous épargne.
Et en guise de conclusion, rappelons cette vérité simple et pourtant oubliée de quasiment tous les décideurs:
Une activité non rentable CONSOMME PLUS DE RESSOURCES QU'ELLE NE CREE DE VALEUR. Elle est donc PAR DEFINITION constitutive d'un DEVELOPPEMENT NON DURABLE.
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