(nb article légèrement réédité après sa mise en ligne. Il apparait que le rapport de France Stratégie n'est pas aussi affirmatif que les résumés qu'en font certains journaux... Ma rédaction initiale était donc exagérément critique vis à vis de France Stratégie - "Ne jamais faire confiance à la façon dont les journaux résument les rapports officiels")
Un rapport de “France Stratégie”, ex “Conseil d’Analyse Stratégique”, émanation de feu le “commissariat au plan”, un de ces comités Théodule attachés au premier ministre et payés par le contribuable pour “éclairer” les politiques gouvernementales, consacre un chapître aux départs massifs à la retraite des baby boomers. Le rapport affirme que ce départ est un "choc majeur" qui aura une forte influence sur le marché de l'emploi. Ce que de nombreux médias traduisent par "les départs en retraite massifs vont fortement contribuer à faire baisser le chômage".
Régulièrement, cette affirmation revient dans les médias. Pourtant, 5 minutes d’examen montrent qu’elle ne tient pas la route.
Le “raisonnement”, si je peux appeler ainsi cette application superficielle de la règle de trois, est le suivant: les classes d’âge arrivant à l’âge de la retraite, en raison du papy boom, sont plus nombreuses, et les générations arrivant sur le marché de l’emploi en légère diminution, donc la population active totale va diminuer, dont, même si le nombre de personnes employées ne change guère, mécaniquement, le taux de chômage va baisser.
Ce raisonnement est hélas erroné.
Théorie vs expérience
Notons d’abord que la génération papy boom a commencé son départ massif à la retraite aux alentours de 2004-2005, comme le montre ce graphe (source: axxo patrimoine).
Les plus perspicaces de mes lecteurs auront noté que malgré ces départs en forte hausse, le taux de chômage n’a guère connu de tendance baissière depuis cette époque, même si la fin du mandat Chirac et le début de celui de Sarkozy ont pu le laisser croire (cf graphe ci dessous). Rien que cette divergence entre la théorie et les observations auraient dû faire tiquer nos “stratèges point gouv”.
Mais allons plus loin.
Imaginons que leur prévision se réalise. Une population active réduite devrait nourrir un nombre croissant d’inactifs: population sans travail pour quelque raison que ce soit, enfants, et donc un nombre croissant de retraités. Sans parler de la part croissante du nombre de fonctionnaires dont la production de valeur est sujette à caution. Étonnez vous si les actifs décident de ne plus faire d’enfants !
Donc soit la ponction sur les actifs augmente, mais alors quel employeur voudra encore créer des postes de travail si les charges explosent ? Ou alors, la pension des retraités diminue: mais, pour l’immense majorité des pensionnés du régime général, cette retraite est déjà minable. Une retraite plus faible conduira nombre de retraités soit à retarder au maximum légal l’âge de leur départ, soit à occuper un double emploi, légal ou au noir: la libération des postes de travail s’en trouvera éloignée d’autant. Et tôt ou tard, les caisses de retraites obtiendront des pouvoirs publics une hausse légale de l’âge de départ en retraite, la démagogie de la classe politique ne pouvant rien face aux perspectives de faillite du système. Bref, adieu l’espoir de la “chaise vide” qu’il faudrait combler par un jeune.
Mais de toute façon, il n’y a aucune chance pour que la relation emploi-retraites fonctionne de façon aussi triviale.
Destruction créatrice et régénération de l’emploi
Comme la lecture des ouvrages de Pierre Cahuc et André Zylberberg, éminents économistes, quoique peu médiatisés, l’aurait appris à nos stratèges en chambre, de nombreux emplois quittés d’une façon ou d’une autre, lorsqu’ils ne sont pas purement et simplement supprimés, ne sont pas recréés à l’identique (Cf cet article). Ils sont en général modifiés, soit en nombre, soit en missions, soit en lieu géographique… Souvent, ces emplois ne se recréent pas dans l’entreprise qui les a supprimés, mais dans une autre… Bref, en France, ce sont près de 10 000 emplois par jour ouvrable qui sont ainsi “détruits”, soit 2,4 millions par an, soit à peu près 15% de l’emploi privé. Simplement, d’autres sont recréés. Comme le disent Cahuc et Zylberberg, il n’y a pas “destruction” de l’emploi, mais recomposition permanente. Quand les “re-créations” sont insuffisantes pour absorber la somme de ces destructions et de l’augmentation de la population active, le chômage augmente, lorsque ces nouvelles créations sont plus dynamiques, il baisse.
Moins de 2% de ces 2,4 millions de destructions sont le fait de “plans sociaux”. Plus de 70% sont le fait de fins de contrat autres que des licenciements: fin de CDD, démissions volontaires, et donc, départs en retraite. Ce ne sont donc pas 50, 100 ou même 150 000 départs en retraite de plus ou de moins qui changent fondamentalement la donne !
Le problème de notre économie est donc de permettre à nos entreprises de créer des emplois nouveaux.
Or, la France n’a comme seuls atouts à faire valoir dans ce domaine que l’héritage d’un passé glorieux. Nous avons encore des entreprises de valeur, nous arrivons toujours à produire une élite recherchée, malgré les tentatives désespérées de destruction de l’éducation nationale par nos ministres successifs. Malgré la paupérisation croissante de nos classes modestes, notre marché intérieur reste encore attractif. Nous intéressons donc encore quelques investisseurs, et il y a encore des gens qui veulent créer des entreprises en France. Cette résistance de l’esprit d’entreprise, malgré tous les coups qui lui sont portés par nos gouvernements, est même, sans doute, notre principale force actuelle. Mais cela est de plus en plus difficile.
En France, le coût du travail ET le coût du capital sont trop élevés. Or, si nous voulons que nos entreprises puissent payer aux salariés un salaire correct (Je laisse de côté le problème de la faible part du coût du travail perçu par le salarié en France), charges incluses, nous devons disposer du meilleur capital, de celui qui rendra nos salariés les plus productifs possible. Or, ce n’est pas possible aujourd’hui.
De plus, le coût des restructurations, lorsqu’elles sont nécessaires, est également très élevé. Il ne faut donc pas s’étonner que la France soit blacklistée par de nombreux investisseurs internationaux, et par sa propre jeunesse, dont les éléments les plus valeureux choisissent en masse de démarrer leur carrière à l’étranger… et ne reviennent pas, faute de perspectives.
La France, à cause du poids trop élevé de son secteur public insuffisamment productif, de ses impôts et réglementations démagogiques, a gravement endommagé le mécanisme de destruction créatrice de valeur à l’oeuvre en permanence dans les économies libres, mécanisme qui permet d’employer un nombre croissant de personnes sur des emplois toujours plus rémunérateurs.
Un rapport pour justifier l’inaction ?
Croire que quelques départs en retraite de plus vont mécaniquement améliorer la situation sur le front de l’emploi, sans le moindre effort réformateur, est une faute économique.
La France ne créera d’emplois en nombre suffisants que si elle abaisse considérablement sa fiscalité sur la formation de capital et sur le succès: taxation des hauts salaires, des dividendes et des plus values de créateurs et d’investisseurs, des bénéfices des entreprises. Et elle ne pourra financer de telles baisses que par des coupes drastiques dans ses dépenses improductives, au premier rang desquelles ses politiques sociales délirantes et ses subventions officielles ou déguisées à de nombreux secteurs d’activité, et par la remise dans le champ concurrentiel de pans entiers de l’économie étatique actuelle: hôpitaux, assurance maladie, écoles, assurance retraite... Mais de telles réformes exigent du courage politique…
La ficelle est tellement grosse qu’on peut se demander si le rapport commis par “France Stratégie” n’est pas un écran de fumée tentant de faire croire aux français qu’il n’y a rien d’autre à faire contre le chômage que d’attendre un miracle démographique, et donc de ne pas réformer. En tout cas, si le gouvernement feint de prendre au sérieux une telle ineptie, cela augure mal de sa volonté réelle de changer les paradigmes économiques structurants de la société française actuelle, qui la conduisent à sa perte.
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