Beaucoup de bruit pour rien
Avant d’aller plus loin et de rechercher les éléments à l’origine de la faiblesse du billet vert, il convient tout d’abord de la relativiser. Le niveau actuel du dollar par rapport à l’euro n’est pas très loin de son niveau moyen sur les 5 cinq dernières années. Durant cette période, le cours de change EUR/USD avait atteint un plus-haut de 1,50 (octobre 2009 et avril 2011) et un plus-bas de 1,20 (juin 2010 et juillet 2012), mais son cours moyen s’établissait à 1,35. Depuis septembre 2012, ce cours de change se situe essentiellement dans une fourchette allant de 1,30 à 1,40. Sur l’ensemble du premier trimestre 2014, il n’a guère évolué puisque le dollar a terminé ce trimestre presque exactement au même niveau qu’il ne l’a commencé.Ensuite, si on peut parler d’un dollar relativement faible lorsqu’on le compare à l’euro, tel n’est pas le cas lorsqu’on regarde son évolution par rapport à d’autres devises. L’indice ‘trade-weighted’ du dollar, qui reprend son évolution par rapport aux principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis, a ainsi légèrement augmenté sur les 12 derniers mois, période durant laquelle le dollar s’est notamment apprécié par rapport au yen et aux devises des pays émergents.
Cours de change EUR/USD sur 5 ans
Source : Bloomberg
Les éléments qui soutiennent la monnaie unique
Il y a dès lors lieu de parler d’un euro fort, plutôt que d’un dollar faible. Il reste cependant que la force de l’euro peut surprendre dans un contexte marqué par une faible croissance économique et des tendances déflationnistes.Elle s’explique en premier lieu par les éléments suivants :
- l’augmentation du surplus de la balance courante de la zone euro
- le regain d’intérêt des investisseurs étrangers pour les marchés financiers de la zone euro
- l’évolution des bilans des banques centrales
- autres facteurs
Vers un euro plus faible ?
C’est dès lors aussi du côté de ces facteurs qu’il faut regarder pour identifier un éventuel changement de tendance durable sur l’euro.Le premier élément, l’augmentation du surplus de la balance courante de la zone euro, devrait se poursuivre. La faiblesse de la demande interne continuera notamment à peser sur les importations européennes. L’exemple du yen dans les années 1990 montre que morosité économique ne signifie pas nécessairement dépréciation de la monnaie. La devise nippone s’est nettement appréciée durant cette période malgré une croissance très faible, nettement inférieure à celle enregistrée en Europe ou aux Etats-Unis. Tout comme pour la zone euro actuellement, la faiblesse de la demande interne avait contribué à des surplus extérieurs de plus en plus importants, surplus qui se traduisaient par une appréciation du yen.
Le deuxième élément, l’intérêt des investisseurs étrangers pour les marchés financiers de la zone euro, est par définition impossible à prévoir. A l’heure actuelle, il reste soutenu, de nombreux observateurs arguant que les marchés de la périphérie sont toujours bon marché.
Le troisième élément, l’évolution des politiques monétaires des banques centrales américaine et européenne, est souvent cité comme élément de nature à renforcer le dollar dans les mois à venir. L’idée derrière ceci est que la Réserve fédérale est en train d’arrêter son processus d’assouplissement monétaire quantitatif et pourrait procéder à un premier relèvement de son taux directeur dès le deuxième trimestre de l’année prochaine. A l’inverse, la Banque centrale européenne pourrait démarrer son propre programme d’assouplissement monétaire quantitatif au cas où les tendances déflationnistes à l’intérieur de la zone euro s’intensifieraient. D’autant plus que les récentes déclarations du président de la Bundesbank ont été interprétées comme un signe que la banque allemande ne s’opposerait plus à de telles mesures. Indépendamment de la possibilité d’un assouplissement monétaire, les récentes déclarations des membres de la BCE montrent que la banque centrale se montre davantage préoccupée par le niveau élevé de l’euro qui renforce le risque de déflation.
Il reste néanmoins qu’un éventuel resserrement de la politique monétaire américaine dès le deuxième trimestre 2015 est loin d’être sûr. Certains des éléments qui avaient stimulé la croissance américaine au deuxième semestre 2013, le restockage des entreprises et les exportations, sont en train de s’estomper. Le grand problème de l’économie américaine reste cependant l’absence de croissance des revenus disponibles, étant donné le rôle prépondérant joué par la consommation privée dans le Produit Intérieur Brut américain. A noter aussi qu’une augmentation des taux d’intérêt ferait exploser le coût du service de la dette et poserait un problème sérieux pour la politique fiscale.
En ce qui concerne les autres facteurs, la vente d’emprunts américains par la Chine semble s’expliquer par la volonté des autorités chinoises de diminuer la part du dollar dans leurs réserves de change. Il s’agit toutefois là d’un objectif à long terme qui n'exclut pas que de temps en temps, la Chine redevienne acheteur d'emprunts américains.
Still confused, but on a higher level
L’analyse de ces différents facteurs ne permet pas d’arriver à une conclusion claire sur l’évolution du cours de change EUR/USD. Force est d’ailleurs de constater qu’essayer de prévoir l’évolution des monnaies reste un exercice quelque peu futile. Contrairement aux actions qui représentent des participations dans des entreprises qu’il est possible de valoriser, les monnaies n’ont pas de valeur intrinsèque. Il est donc difficile de conclure qu’une monnaie est surévaluée ou sous-évaluée. Des théories comme celle de la parité des pouvoirs d’achat essaient bien de le faire mais ne fonctionnent au mieux que sur le (très) long terme. Dans le cas d’une monnaie comme la monnaie européenne, se pose en outre le problème que dans la zone euro figurent des pays aussi différents que l’Allemagne et la Grèce et que l’euro est peut-être trop bas pour l’Allemagne et trop haut pour la Grèce.Couvrir ou ne pas couvrir?
Les actions américaines figurant dans nos portefeuilles sont pour la plupart celles d’entreprises internationales, réalisant une partie importante de leur chiffre d’affaires en-dehors des Etats-Unis. Dans la mesure où une dépréciation du dollar augmente les bénéfices (exprimés en USD) de ces entreprises, elles offrent en quelque sorte une couverture naturelle contre une telle dépréciation. Nous ne couvrons dès lors pas le risque de change sur ces positions. Nous procédons par contre à une couverture (partielle ou totale) de ce risque sur nos positions en emprunts d’Etat américains.A noter finalement qu’en cas de situations extrêmes, le billet vert garde jusqu’à preuve du contraire soncaractère de valeur refuge. Parmi les risques plus importants qu’on peut identifier à l’heure actuelle figure celui d’une nouvelle aggravation de la crise à l’intérieur de la zone euro, nonobstant le calme apparent régnant depuis plus de 18 mois. Une telle aggravation serait en principe bénéfique au dollar. De même, le caractère de valeur réserve du dollar fait que les variations dans la balance courante des Etats-Unis sont partiellement le reflet de phases d’expansion ou de contraction de la conjoncture mondiale. Durant les phases d’expansion, la balance courante américaine a tendance à devenir de plus en plus déficitaire (entraînant un dollar plus faible), l’inverse étant vrai durant les phases de contraction (entraînant un dollar plus fort). La plupart des analystes mise sur une accélération de la conjoncture mondiale durant l’année en cours. Les nombreux problèmes structurels présents actuellement font toutefois que ces attentes pourraient être déçues avec un impact négatif sur les marchés boursiers. Dans un portefeuille diversifié, le dollar constitue dès lors aussi une sorte de couverture du risque actions.
Guy Wagner