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Guy Wagner

Guy Wagner

Je suis chief economist à la Banque de Luxembourg.

Dans mon blog, je commente les derniers développements sur les marchés financiers ainsi que mes évaluations sur leur future évolution.
Ces pages s’adressent aux investisseurs dans des fonds et actions avec un certain intérêt pour les marchés boursiers.


Mon parcours

Licencié en Sciences Economiques de l'Université Libre de Bruxelles, je rejoins la Banque de Luxembourg en 1986, où je fus successivement responsable des départements analyse financière et Asset Management. Depuis 2005, je suis administrateur-directeur de BLI - Banque de Luxembourg Investments.

Déflation : une série (2ème partie)

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Dans le premier billet de cette série nous avons appréhendé la déflation à travers les gains de productivité et le rapport entre l'offre et la demande. Nous avons vu qu'un changement de comportement des consommateurs en matière de dépenses et la politique monétaire des banques centrales ont du moins dans un passé récent rarement généré de la déflation dans les pays industrialisés occidentaux.

Un fantôme hante le monde : le fantôme de la déflation

Ce ne fut pas toujours le cas. Avant 1914 les déflations n'étaient pas inhabituelles. Cela était dû au fait que

  • l'étalon-or avait rendu pratiquement impossible une politique monétaire active,

  • qu'il n'y avait pas encore de banques centrales au sens actuel du terme qui auraient pu mener une telle politique monétaire active,

  • en raison d'une part, des évolutions enregistrées à l'époque dans l'industrie et l'agriculture et, d'autre part, de la mondialisation rapide du fait par exemple du chemin de fer  et des bateaux à vapeur, on a assisté à des gains de productivité exceptionnellement élevés.
Ces nouvelles technologies ont enthousiasmé la population, comme aujourd'hui l'informatique, les nanotechnologies ou les biotechnologies. Cela a généré différentes bulles spéculatives financées par le crédit. Leur éclatement a déclenché des crises de confiance qui ont engendré à leur tour une baisse généralisée de la demande. Les prix des marchandises et des prestations de services ont baissé par conséquent, ce qui a entrainé des déflations.

La plus importante déflation avant la Première guerre mondiale a été la "Gründerkrise" de 1873, qui rappelle à plus d'un titre la crise financière de 2008/09 : au cours de la seconde moitié du 19ème siècle, pendant les années prospères de l'époque de la fondation, on a assisté en Allemagne et en Autriche à la formation d'unebulle sur les marchés immobiliers et boursiers qui a conduit à une surchauffe de l'économie. La bulle a éclaté en 1873, ce qui a eu tout d'abord des répercussions sur toutes les autres places boursières du monde. Par la suite, plus de 60 banques ont fait faillite en Allemagne et en Autriche. La crise de confiance qui a suivi est devenue une crise économique mondiale qui s'est muée en déflation en raison du choc de la demande mentionné précédemment.

Ces déflations et les dépressions qui ont suivi sont aujourd'hui considérées comme une compensation du taux de croissance trop élevé enregistré dans les années précédentes, et sont appelées stagnations. On a même tendance à considérer leurs conséquences économiques comme « bonnes » ou « opportunes ».

Mais cette analyse ne s'applique pas à la dernière grande déflation mondiale - la grande crise économique mondiale des années 1930. Compte tenu de sa durée et de sa gravité, ainsi que des conséquences sociales, la « Grande dépression » reste présente dans la mémoire collective, en particulier aux États-Unis. Non seulement cette crise a été étudiée par pratiquement tous les grands économistes, mais elle a également inspiré de manière très diverse de grands artistes américains de l'époque.(1)

Le facteur déclencheur a été la forte chute du marché boursier américain à partir de septembre 1929. Le 29 octobre 1929, notamment, entre dans les livres d'histoire comme le « Jeudi noir ». Entre son plus haut enregistré le 3 septembre 1929 et son plus bas enregistré le 8 juillet 1932, l'indice Dow Jones Index a chuté de presque 90 %, retombant à la valeur de sa première cotation du 26 mai 1896.

Le krach boursier n'était évidemment qu'un symptôme et non la cause de la dépression. Selon les écoles, un certain nombre de théories ont été élaborées. Je souhaite présenter brièvement les deux explications les plus courantes, car elles

  • sont à la base de l'interprétation actuelle des événements,
  • illustrent le cercle vicieux qui est lié à une déflation prolongée,
  • et expliquent les réactions actuelles des gouvernements et des banques centrales.
Un troisième facteur de la Grande dépression, la « déflation de la dette », fera l'objet de notre prochain billet, car elle revêt une importance particulière pour nos économies modernes fondées sur l'endettement.

C'est à John Maynard Keynes que l'on doit la théorie selon laquelle une perte de confiance générale - notamment déclenchée par le krach boursier - entraîne une augmentation soudaine de l'épargne et donc unebaisse de la consommation. Laquelle entraîne une baisse des ventes des entreprises qui réduisent ensuite leurs capacités à travers une baisse des investissements, des licenciements et des réductions de salaires, ce qui conduit à son tour à un accroissement de l'épargne par peur des incertitudes qui pèsent sur l'avenir.

Spirale déflationniste

 





Si cette spirale déflationniste n'est pas interrompue, les agents économiques anticiperont que les prix vont continuer de baisser.  Il sera alors judicieux d'amasser de l'argent au lieu de l'investir ou de le dépenser ; par la suite, le cercle vicieux s'accélèrera.

La solution proposée par Keynes pour mettre un terme à cette spirale : les gouvernements devraient, durant les périodes de ralentissement de l'activité, utiliser l'épargne privée pour financer l'accroissement de la dette publique ou une réduction d'impôts, et compenser ainsi la baisse de la demande. Cette recommandation a été suivie depuis lors par la plupart des gouvernements, en grande partie dernièrement après la crise financière de 2008/09. Ainsi, le gouvernement américain a décidé un programme de dépenses, qui a fait passer le déficit budgétaire de 1,3 % du PNB (2007) à plus de 10 % (2009).(2)

Contemporains de Keynes, Milton Friedman et Anna Schwartz ont développé la théorie quantitative de la monnaie, ce que l’on appelle également le « monétarisme ». Pour eux, l'inflation - et donc également la déflation - étant toujours un problème monétaire, ils voient dans la crise bancaire la cause majeure de la dépression. Il est vrai que, dans les années 1930, suite au krach boursier, de très nombreux crédits garantis par des portefeuilles d'actions sont restés impayés. Près d'un tiers de toutes les banques américaines, dont certains grands établissements comme la New York Bank of the United States, ont été contraintes de fermer leurs guichets. Elles ont vu leur fonds propres chuter fortement. La quantité de monnaie a chuté de 35 %, ce qui a empêché les entreprises d'obtenir de nouveaux crédits et de refinancer d'anciens crédits. Cela a également permis à la déflation d'atteindre 33 %.

Friedman et Schwartz ont propagé l'idée que la banque centrale devait augmenter la quantité de monnaieen baissant les taux d'intérêt, en injectant des liquidités pour les banques clés et en achetant des emprunts d'État, afin que les consommateurs et les entreprises disposent de suffisamment d'argent pour les crédits à la consommation ou à l'investissement et qu'une récession ne se transforme pas en dépression. Les mesures prises par les grandes banques centrales au cours des dernières années, notamment depuis la crise financière de 2008/09, reposent sur ces recommandations. Toutefois, à l'époque de la Grande dépression (dans les années 30), la banque centrale américaine n'aurait pas pu appliquer ces méthodes, même si elle l'avait voulu et ce, étaient en raison d'exigences légales strictes relatives à l'étalon-or.

Au départ, les deux théories étaient sujettes à controverse ; aujourd'hui, la théorie la plus acceptée est une combinaison des deux : en temps normal, la demande et la quantité de monnaie sont maintenues à un niveau stable. Mais si, comme pendant la crise financière de 2008/09, le risque d'une dépression se dessine, les gouvernements doivent adapter leur politique fiscale et leurs dépenses afin que l'on n'assiste pas à un choc de la demande, et les banques centrales doivent définir leur politique monétaire - si nécessaire avec les moyens susmentionnés - de telle sorte que l'économie et en particulier les banques disposent de suffisamment de liquidités et de capitaux.

Comme déjà mentionné, nous expliquerons dans un prochain billet la théorie de la « déflation de la dette » selon Irving Fisher et indiquerons pourquoi la déflation représenterait un grand danger pour notre société de consommation moderne fondée sur l'endettement.

(1) Par ex. dans le roman « Les raisins de la colère » (1939) du prix Nobel de littérature John Steinbeck (1962)

(2) Les gouvernements ont néanmoins ignoré la deuxième partie de la recommandation de John Maynard Keynes, selon laquelle les dettes doivent être réduites pendant les périodes d'essor économique. De ce fait, les montagnes de dettes de la plupart des économies n'ont cessé d'augmenter. Il est de plus en plus difficile pour un grand nombre d'Etats de contracter de nouvelles dettes pour relancer l'économie en cas de nouveau ralentissement économique.
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