Guy Wagner
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Je suis chief economist à la Banque de Luxembourg.
Dans mon blog, je commente les derniers développements sur les marchés financiers ainsi que mes évaluations sur leur future évolution.
Ces pages s’adressent aux investisseurs dans des fonds et actions avec un certain intérêt pour les marchés boursiers.
Mon parcours
Licencié en Sciences Economiques de l'Université Libre de Bruxelles, je rejoins la Banque de Luxembourg en 1986, où je fus successivement responsable des départements analyse financière et Asset Management. Depuis 2005, je suis administrateur-directeur de BLI - Banque de Luxembourg Investments.
La dette d’entreprise : Glencore, VW, Petrobras…
Audience de l'article : 1874 lecturesLe taux de défaut des entreprises est à son niveau le plus haut depuis 2009. Dans sa dernière étude datant du 30 novembre dernier (1), Standard & Poor’s fait état d’une forte progression du nombre d'entreprises ayant fait défaut sur l’année. 101 émetteurs n’ont pas respecté leurs obligations. Il faut remonter à l’année 2009 pour observer un chiffre aussi élevé. Les deux dernières entreprises n’ayant pu rembourser leur dette sont Uralsib, une banque russe et China Fishery, fournisseur mondial de poisson et fruits de mer. Il est à noter que parmi cette centaine d’entreprises, seules 21, soit 1/5 d’entre elles, sont issues des marchés émergents. Elles proviennent majoritairement du Brésil et de la Russie. Et le premier secteur concerné est celui du pétrole et du gaz.
Défauts des entreprises par région (2004-11/2015)
Source : Standard & Poor's
Les dernières nouvelles concernant Petrobras, Glencore, Valeant ou encore VW ne sont pas sans nous rappeler la crise vécue durant les années 2000 sur le marché de la dette d’entreprises. Un certain nombre de sociétés affichaient alors des niveaux d’endettement record qui avaient fini par les mener à la faillite ou à une importante restructuration : WorldCom, Enron, General Motors et France Télécom en faisaient partie. Comme souvent, la question se pose de savoir si la situation est différente cette fois-ci. Si tel n’est pas le cas, cela signifie-t-il que le cycle d’endettement du secteur privé est sur le point de s’inverser ? Sommes-nous à la veille d’importantes restructurations ? Infra, nous retraçons l’évolution du cours de l’obligation Glencore 1.25% échéant en mars 2021. En 2012, Glencore lançait son projet d’acquisition du producteur de minerais suisseXstrata. En 2013, elle absorbait le négociant canadien Viterra et en 2015 elle se lançait dans une opération de fusion avec Rio Tinto. Cette dernière n’a finalement pas abouti.
Evolution du prix de l'obligation Glencore 1,25% échéance 03/2021
Source : Bloomberg
Déjà vu dans les années 2000
Nous avons encore tous en mémoire ces noms de sociétés qui ont défrayé la chronique il y a un peu plus d’une dizaine d’années : AOL Time Warner, Vivendi Universal, WorldCom, Alcatel, Nortel, Lucent, Cable & Wireless, etc.
A la fin de la décennie passée, au lendemain de l’explosion de la bulle des valeurs Internet, le secteur des télécoms avait entamé un nouveau cycle de désendettement. L’opérateur français Orange, anciennementFrance Télécom, constitue un cas d’école. Notée AA en 2000, l’entreprise a vu sa note abaissée au fur et à mesure de la dégradation de son bilan (du fait d’une série d’acquisitions dont le rachat de l’opérateur de téléphonie mobile Orange à Vodafone). Devenue l’une des entreprises les plus endettées d’alors, elle avaitapproché le niveau d’investissement spéculatif en juillet 2002 avec un ultime abaissement de sa note au rang de BBB-. C’est cette année que Thierry Breton fut nommé à la tête de la société dont il redressa les finances durant les deux années qui suivirent. Les graphiques suivant retracent l’évolution de la dette nette de l’entreprise ramenée à son résultat opérationnel (Dette nette/EBITDA) (2), le ratio de couverture des charges d'intérêt par ce même résultat et son rating S&P.
Orange (France Télécom) : dette nette/EBITDA (part de la dette ramenée aux revenus opérationnels)
Source : Bloomberg
Orange (France Télécom) : EBITDA/charges d'intérêt (x) (ratio de couverture des charges d'intérêt par les revenus opérationnels)
Source : Bloomberg
Evolution de la notation d'Orange (France Télécom)
Source : Standard & Poor's
Dettes dans le primaire et prêts bancaires
Aujourd’hui, bon nombre de sociétés affichent des niveaux d’endettement et de liquidité équivalents à ceux du secteur des télécommunications du début des années 2000. Pour cause, les volumes d’émission globaux ont enregistré une forte progression. En 2014, ils ont été de 3.500 milliards de dollars contre 2.100 milliards en 2008 (3). La faiblesse de la croissance et les pressions déflationnistes qui en résultent entraînent une baisse des revenus. Les premières entreprises touchées sont liées aux secteurs pétrolier et minier.
Au sein des pays émergents c’est le Brésil et la Russie qui affichent le plus grand nombre de sociétés en difficulté. Petroleo Brasileiro (Petrobras) et la banque brésilienne de développement (BNDES) incarnent à elles seules la nature des problèmes rencontrés sur le marché de la dette d’entreprise : effondrement du prix des matières premières concomitamment à l'augmentation de la dette privée. Petrobras est l’entreprise étatique brésilienne active dans l’extraction et la commercialisation du pétrole. La BNDES est le bras financier de l’état brésilien pour divers projets financés tant au Brésil qu’ailleurs, en particulier sur le continent sud-américain, allant de l’agriculture aux infrastructures. Les graphiques suivants rendent compte de l’évolution de l'endettement de Petrobras par rapport à son secteur. Ce sont les mêmes ratios que ceux présentés plus haut pour France Télécom. L'entité brésilienne affiche des niveaux équivalents à ceux de l’opérateur français dans les années 2000 et relativement moins bons que l’ensemble du secteur.
Petrobras vs comparables : dette nette/EBITDA (x)
Source : Standard & Poor's
Petrobras vs. comparables : EBITDA/charges d'intérêt (x)
Source : Standard & Poor's
Les programmes d’assouplissement quantitatif menés par les pays développés et en particulier par la Réserve fédérale américaine ont généré d’importants flux financiers vers les pays émergents entre 2008 et 2014. Ces flux se sont traduits par une hausse non seulement des émissions obligataires mais aussi des prêts bancaires. Le total avoisinant les 7.000 milliards de dollars (4).
Le cas de la BNDES illustre la situation du secteur privé au sein des pays émergents. L’année passée, après une progression continue de son portefeuille de prêts et avec 330 milliards de dollars d’actifs, elle était sur le point de supplanter la Banque mondiale comme deuxième banque de développement au monde derrière la China Development Bank. Malheureusement, en 2015, elle a souffert d’un fort ralentissement de ses activités. Cela s’est traduit par un recul des déboursements enregistrés. En effet, de janvier à octobre, le montant total des prêts réalisés par la banque avoisine les R$ 105 milliards, ce qui correspond à un recul de 28% par rapport aux montants déboursés sur la même période en 2014. De janvier à septembre, le résultat net de la banque se situe à R$ 6,6 milliards soit 10,3% en dessous du niveau enregistré sur la même période en 2014.
BNDES : évolution des déboursements en milliards de BRL (real brésilien)
Source : BNDES
Une crise de la dette privée à venir ?
Des craintes éventuelles sur le marché de la dette « corporate » s’avèrent justifiées. Les niveaux d’endettement sont élevés. Les revenus sont en baisse. Les politiques monétaires ont pris ou prendront un virage moins accommodant (malgré les annonces récentes de Mario Draghi, président de la BCE). En particulier, le retour vers un cycle de hausse des taux américains couplé à une force relative du dollarplanent sur le marché. Dans le cas contraire, cela signifie que la situation économique ne s'améliore pas. Les entreprises qui se sont fortement endettées se retrouvent donc entre le marteau et l'enclume, notamment celles qui sont présentes dans les secteurs sensibles aux cycles économiques. Pour les mois à venir, il paraît logique de tabler sur une continuité de la dégradation de leur capacité de remboursement.
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(1) Default, Transition, and Recovery : Global Corporate Default Tally Tops 100 So Far In 2005, Standard & Poor's, 30 novembre 2015.
(2) Ce ratio peut être interprété comme le nombre d’années qu’il faut à l’entreprise pour rembourser sa dette sur base de son résultat opérationnel.
(3) Selon l’article du FT : Corporate Shocks Show Swift in Credit Risk, publié le 04/11/2015.
(4) Deeper Into The Red, Financial Times, 17/11/2015
Jean-Philippe Donge
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