Le CADTM (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde) ne partage pas l’expression sur la dette publique de Christophe Ramaux parue dans le n° 1074 de Politis. A notre avis, il se trompe quand il décrit la dette publique, il a aussi tort de vouloir la relativiser et il fait des omissions importantes quand il parle de sa dynamique. Quant à la solution préconisée qui, selon lui, coulerait de source, elle omet 2 éléments décisifs : l’exercice du droit d’intervention et de contrôle des citoyens et une mobilisation sociale de haut niveau.
Quand on parle de dette publique de quoi parle-t-on ?
Tout comme nos penseurs libéraux, C. Ramaux commence par amalgamer la dette de l’État avec celle des collectivités locales et de la Sécurité sociale. C’est la définition donnée par le traité de Maastricht, ce n’est pas la nôtre.
La dette des collectivités locales est une conséquence directe des transferts de compétences de l’État sans les moyens correspondants. Lequel État a donc réalisé des économies dont le coût a été transféré sur les collectivités obligées d’emprunter ou sur les ménages via la fiscalité locale. Elle était insignifiante, il y a 15 ans encore. Elle met aujourd’hui un certain nombre de collectivités, communes et départements, en difficulté. La réalité de la « dette » des organismes de Sécurité sociale est, elle, très contestée, y compris à la lecture des différents rapports de la Cour des comptes. Elle est essentiellement comptable et ne représente qu’un faible pourcentage de son budget global (540 Mds d’€ contre 320 pour celui de l’État). Son affichage exclut les créances de la protection sociale envers l’État (taxes affectées non reversées,…) et les entreprises (plus marginales). Ce « trou » de la sécu a surtout une finalité politique qui est de justifier des politiques de remises en cause des régimes de protection sociale (santé, retraite, etc.). La Cades, instituée sous Juppé en 1996, est financée par la CRDS (à 85% payée par les salariés). Elle « vend », de façon très différente de l’AFT, la dette de la protection sociale sur les marchés financiers de façon très opaque et très douteuse, notamment au Luxembourg. Denis Robert en a retrouvé la trace dans l’annuaire (public) de Clearstream.
Cet amalgame qu’on doit au Pacte de Stabilité et au Traité de Maastricht a pour objet de contraindre les gouvernements à remettre en cause les régimes par répartition, payés par les employeurs pour les remplacer par des régimes par des systèmes assurantiels par capitalisation
Un autre aspect contestable de la relativisation prônée par C. Ramaux, est le parallèle qu’il fait entre la dette par habitant et la part de l’actif que chacun détiendrait.
Le citoyen « lambda » (qui n’existe pas) ne possède pas une partie des biens publics (services publics, écoles, routes, armée, police, …). Tout juste, les gouvernements successifs lui en accordent-il un usage particulier en fonction du rapport de forces et des acquis sociaux (cf. la Poste). Mais en aucun cas, il ne l’autorise à décider de son sort, de ses orientations, de ses destinations. Le citoyen, contrairement à un propriétaire immobilier en a un « usufruit » concédé et limité mais en aucun cas la « nue-propriété », la réunion des 2 réalisant la pleine propriété. C’est la limite de la démocratie bourgeoise dont l’essence est de mettre les biens collectifs au service d’une partie seulement de la population. C’est la « nature » de lÉtat bourgeois que de mettre les biens publics au service d’une minorité, propriétaire, elle, de la rente et du capital.
Pas plus qu’il ne possède de part de la dette publique. Par contre, il en subit les conséquences, et de façon très inégale selon son appartenance sociale, lors de l’établissement des budgets nationaux avec les reculs de l’action publique.
La dette de lÉtat résulte de 3 causes principales :
les déficits budgétaires cumulés, conséquence directe d’une fiscalité marquée depuis le début des années 80 par les cadeaux fiscaux et sociaux aux entreprises et aux ménages fortunés et, pour la dernière période, la baisse de rendement de l’Impôt sur les Sociétés, conséquence directe de la récession économique. Cette baisse des recettes fiscales se fait sur fonds de maintien des dépenses publiques, ce qui aggrave mécaniquement le déficit et la montée de la dette. Ce qui est certain est que la dette publique n’aide pas à lutter contre la récession.
les « plans de sauvetage » accordés sans contrôle aucun aux banques et au secteur automobile. La dette publique risque fort de s’aggraver encore avec le « grand emprunt » dont le montant n’est pas encore décidé (entre 30 et 100 Mds d’euros).
l’effet « boule de neige » : pour payer les intérêts, l’État vend des obligations qui génèrent des intérêts qui appellent des emprunts qui… Cet effet « boule de neige » représente environ un tiers du stock de la dette (entre 350 et 380 Mds d’euros). L’autre incidence du traité constitutionnel est d’obliger les États à se rendre sur les marchés financiers pour vendre les titres de la dette, ce qui surenchérit leur coût. A la sortie, ce sont les populations qui règlent l’addition.
Un aspect volontairement tu et ignoré de la gestion de cette dette est qu’elle transite (avec profit) entre les mains des banques. Sur les 18 banques reconnues comme intermédiaires privilégiés de l’Agence France Trésor (les Spécialistes en Valeurs du Trésor), figurent 4 banques françaises, toutes 4 bénéficiaires des plans de sauvetage. Les banques ont donc un intérêt certain à l’augmentation des émissions des titres dÉtat de la dette, à rentabilité garantie. Elles y gagnent 2 fois (tout comme les entreprises et les classes aisées avec les baisses d’impôt et les produits de leurs créances sur l’État) : une première fois avec leur refinancement par les États qui se sont endettés à cet effet, une seconde fois comme intermédiaires privilégiés dans la vente des obligations d’État.
La gravité de la dette publique tient en 3 raisons principales :
Sa fonction économique : depuis le début des années 80, elle a compensé les déficits budgétaires et n’a jamais servi à générer des investissements socialement utiles, productifs d’emploi ou/et susceptibles d’améliorer les conditions de vie de la population. Comme le souligne C. Ramaux, elle a profité essentiellement aux créanciers bénéficiaires des cadeaux sociaux et fiscaux.
Ses conséquences économiques : le marché obligataire de la dette capte la majeure partie de l’épargne disponible et est d’un rendement garanti. Les banques et les autres fonds d’investissement et assurances la préfèrent aux prêts à consentir aux particuliers et aux entreprises. De ce point de vue la dette est un obstacle à une relance des investissements productifs et donc à l’emploi.
Sa fonction idéologique et politique : agitée en épouvantail (« les caisses sont vides », « l’État est en faillite » « la dette est insoutenable »), elle cautionne les baisses de dépenses publiques, les dizaines de milliers de suppressions d’emplois de fonctionnaires (100 000 en 5 ans), les politiques de régression sociale (politique de santé, recul de l’âge de départ en retraite, baisse du niveau des retraites du privé comme des pensions du secteur public, etc.). De ce point de vue là, la « gauche » au pouvoir, leader es privatisations, n’a pas fait autre chose que la droite. Les premiers plans de sauvetage ont eu pour effet de permettre aux banques de reconstituer temporairement leurs disponibilités, de liquider une partie de leurs actifs toxiques et de recommencer à jouer au casino boursier comme si de rien n’était. Le but est de tenter de recréer les conditions à l’origine de l’éclatement de la bulle immobilière de 2007. Une partie seulement des actifs toxiques est liquidée. Le FMI estime, fin juin 2009, à 700 Mds de $ le stock d’actifs pourris encore détenus par les banques européennes.
A ce propos, une autre génération de « produits toxiques » du type « subprime » arrive à maturité, prêts à exploser. Ce sont les ALT-A. Leur « éclosion » est prévue pour les toutes prochaines années (2010, 2011 et 2012). Les mêmes causes produisant les mêmes effets, d’autres crises financières éclateront, d’autres plans de sauvetage verront le jour, aggravant la dette publique, réduisant les dépenses publiques et la protection sociale, etc… Malgré les discours hypocrites, les milliards de $ et d’euros accordés par les États aux banques et aux assurances les plus importantes pour éviter l’effondrement du système financier n’ont pas eu comme destination une facilitation des crédits aux entreprises ou aux particuliers. Ces derniers sont en recul continu aujourd’hui.
Conséquences : les fermetures en séries d’entreprises continuent et le chômage ne cesse d’augmenter. Selon les modes de comptabilisation officiels (Eurostat), le chômage atteint à la fin septembre 10% en France, 9.7% pour la zone euro et 9.2% pour l’Union Européenne. Pour cette dernière, 22,123 millions de chômeurs vérifient la gravité de la gestion de la dette publique. Plus de 200 millions de salariés européens et leurs familles risquent de mesurer à court terme la réalité du recul de leur protection sociale. Si la dette publique n’est pas la cause principale de leur situation, sa gestion néolibérale y contribue activement. Par contre, la bourse, elle, s’en réjouit. Mais son plaisir risque d’être passager, les causes structurelles de la crise n’étant pas résolues. La dette publique est un facteur aggravant de la situation économique et sociale. Il ne faut donc surtout pas la relativiser.
La solution coule de source !
Pour conclure, C. Ramaux propose de rompre avec les politiques libérales au moyen d’une autre politique monétaire, d’une fiscalité progressive et d’une relance budgétaire ciblée sur certains besoins (éducation, santé et écologie). Ces intentions semblent louables mais je crains que cela soit bien insuffisant pour résoudre les problématiques posées par la crise économique mondiale. Il faut aller bien au-delà d’un ensemble de belles mesures techniques.
Pour mener une politique monétaire profitable à la collectivité, encore faut-il que celle-ci s’approprie ses outils, en premier lieu en nationalisant (sans indemnités, ni rachat) et en plaçant sous contrôle la totalité du système financier et bancaire.
Il faut aussi et surtout une mobilisation sociale de haut niveau pour les porter. Cette mobilisation sociale n’a de sens que si elle implique le contrôle citoyen et l’appropriation collective à tous les niveaux de ce que produit la société. Il en est de la dette publique comme de l’écologie : sans transformation sociale radicale de la société, pas de solution durable.
De ce point de vue, la dette publique est un bon exemple. Un audit citoyen de cette dette est nécessaire pour décider de la légitimité ou non de celle-ci et pour imposer, au cas fort probable d’une réponse négative, son annulation pure et simple.
Au CADTM, nous souhaitons que la mobilisation sociale s’empare de cette revendication : si la dette est publique, alors auditons-la publiquement, totalement et collectivement et décidons ensemble de son sort !
Pascal Franchet