Les relations commerciales entre l’Orient et l’Occident ont toujours été très actives. Ainsi les « routes de la soie », établies dès le deuxième siècle avant JC, ont continué à être sillonnées pendant tout le Moyen-âge, le thé et les épices venant s’ajouter aux soieries. Au niveau militaire, les conflits ont été plus rares. Notons la campagne d’Alexandre le Grand contre les Perses puis en Asie Centrale (il détruisit Samarcande) et son échec face au roi Poros (plaines de l’Indus). On peut y ajouter les multiples guerres des Romains face aux Parthes et, ensuite, les croisades face au monde islamique.
Dans un premier temps, c’est l’Orient qui développe les innovations technologiques : invention du papier en Chine, dès le VIème siècle, puis des livres imprimés, et création des premiers billets de banque vers le Xème siècle, ainsi que la mise au point de la poudre et la découverte du compas de marine. Ajoutons que les premiers essais d’éclairage urbain à partir du gaz naturel ont été observés dans l’Empire du Milieu, dès le XIIème siècle. N’oublions pas non plus l’utilisation des chiffres (dits « arabes ») et du zéro, qui peut être attribuée à l’Inde et nous ont été transmis par l’Islam. Enfin, à l’époque où les capitales européennes peinent à rassembler plus de 50 000 âmes, les grandes villes asiatiques dépassent plusieurs centaines de milliers d’habitants à l’instar d’Angkor, capitale du royaume khmer.
C’est le quinzième siècle qui va marquer le tournant historique d’un retournement de situation remarquable. En effet, au début de ce siècle « charnière », l’empire chinois est en pleine expansion : il envoie ses navires dans toute l’Asie et reçoit des tributs de tous les peuples d’Orient. Par ailleurs, sa flotte, sous le commandement de l’amiral Zheng He, est envoyée vers le Golfe Persique et les côtes africaines. On sait même (documents récents) qu’une importante expédition chinoise a accosté rapidement en Amérique an 1421. A l’époque, les Européens se sont à peine aventurés sur les côtes du Maroc, leurs caravelles étant considérées comme petites face aux énormes jonques chinoises. Soudainement, l’Empire du Milieu se replie sur son centre, abandonnant la périphérie et les continents lointains, au moment même où les Européens se lancent à la découverte de nouvelles terres : Vasco de Gama arrive en Inde et Christophe Colomb découvre l’Amérique. Au début du 16ème siècle, l’équipage de Magellan boucle le premier tour du monde.
Les siècles suivants vont voir l’hégémonie progressive de l’Europe. D’une part, la colonisation de nouvelles terres et la confiscation des richesses qui s’y trouvent, accompagnées de l’essor de l’esclavage (main d’œuvre très bon marché) va faciliter l’accumulation d’actifs et le développement du capitalisme industriel, dont le centre, à partir du 18ème siècle, sera la Grande Bretagne. Celle-ci, en prenant possession de l’Inde, contribuera à faire disparaître l’industrie textile locale, au profit des usines britanniques. D’autre part, la Chine, principale puissance de l’Orient, se fermera aux marchands étrangers et, par ce biais, au développement industriel, à tel point qu’à partir de 1840 et des guerres de « l’opium », elle sera elle-même colonisée et « dépecée » entre les principaux Etats européens (régime des « concessions »). Cette situation perdurera jusqu’en 1945.
Depuis lors, un rééquilibrage a commencé à se faire jour, favorisé par l’indépendance obtenue par les pays d’Asie (Inde en 1948 - Indonésie en 1947 etc.) et l’arrivée des communistes au pouvoir en Chine (1949). D’un point de vue économique, ce mouvement de bascule s’est amplifié depuis la fin du siècle précédent, avec, entre autres, les réformes introduites par Deng en Chine et l’ouverture progressive de l’Inde sur le monde : la Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale(1) ; l’Indonésie, la Corée et le Vietnam progressent rapidement. Quelques statistiques le confirment : en 10 ans, les échanges sino-indiens ont été multipliés par 28 (62 milliards de dollars en 2010).
De même, le commerce sino-russe a été multiplié par 7 pendant la même période (55 milliards en 2010) et les relations commerciales entre l’Asie et l’Amérique du Sud dépasse 270 milliards de dollars (multipliées aussi par 7 en 10 ans).
Aujourd’hui, la Chine est le principal investisseur au Brésil, avant même les Etats-Unis. Par ailleurs, la Chine, l’Inde et la Corée du Sud ont acheté récemment des millions d’hectares en Afrique (Ethiopie, Mozambique, Soudan) et investissent des sommes considérables dans les gisements de matières premières africains (à titre d’illustration, on notera que les échanges commerciaux entre l’Inde et l’Afrique sont passés de 1 à 50 milliards de dollars en 10 ans).
Face à ce rééquilibrage, l’Occident apparaît relativement peu préparé à une remise en cause de son hégémonie. Les Américains souhaitent une réévaluation du renminbi chinois, mais appréhendent l’arrivée de cette devise, en tant que monnaie de réserve. Autre sujet d’inquiétude : l’augmentation prévue des échanges Sud-Sud (2), qui ne profiteront pas aux pays développés. De ce fait, si la croissance mondiale dépassera les 3% en 2012, elle sera limitée à 1,5% dans les pays développés. Le mouvement entamé, surtout depuis le début du siècle, n’est pas prêt de s’inverser ! A nous d’en tirer les conséquences.
(1) Par ailleurs, le part de la Chine dans les échanges internationaux est passé de 3,5% en 2000 à 10% en 2011.
(2) Selon de récentes statistiques, les flux d’échanges et de capitaux entre les pays émergents devraient être multipliés par 10 lors des 40 prochaines années.
Bernard MAROIS
Professeur Emérite HEC Paris
Président d’Honneur Club Finance HEC