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Guy Wagner

Guy Wagner

Je suis chief economist à la Banque de Luxembourg.

Dans mon blog, je commente les derniers développements sur les marchés financiers ainsi que mes évaluations sur leur future évolution.
Ces pages s’adressent aux investisseurs dans des fonds et actions avec un certain intérêt pour les marchés boursiers.


Mon parcours

Licencié en Sciences Economiques de l'Université Libre de Bruxelles, je rejoins la Banque de Luxembourg en 1986, où je fus successivement responsable des départements analyse financière et Asset Management. Depuis 2005, je suis administrateur-directeur de BLI - Banque de Luxembourg Investments.

Stratégie d'investissement 2013

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La question primordiale pour un investisseur en ce début d'année est de savoirquand aura lieu le retournement de tendance sur les taux d'intérêt. La manipulation des taux d'intérêt par les autorités monétaires et le niveau artificiellement bas du coût de l'argent qui en résulte ont en effet entraîné de nombreuses distorsions dans les marchés financiers et fortement réduit la prime de risque sur bon nombre de classes d'actifs. Ils pénalisent la prudence et incitent à l'achat d'actifs à risque à un moment où la fragilité des fondamentaux économiques plaiderait plutôt pour le contraire. Ils rendent aussi aléatoire le processus de valorisation des actifs financiers. Un investissement n'est rien d'autre qu'un échange d'une somme actuelle contre une somme de revenus (coupons, dividendes, bénéfices, fonds propres, ...) futurs. Pour actualiser ces revenus futurs, on utilise généralement un taux sans risque auquel on ajoute une prime de risque. Il est évident que si le niveau actuel des taux d'intérêt est utilisé dans cet exercice, la valeur de beaucoup d'actifs à risque, et notamment des actions, dépassera de loin leur cours actuel. La valeur présente d'1 million EUR reçue dans 10 ans sera de 385.000 EUR si elle est actualisée à un taux de 10 %. En utilisant un taux de 5 %, cette valeur présente augmentera à 614.000 EUR .

Le dilemme auquel est confronté un investisseur en actions (par opposition à un spéculateur qui sera moins intéressé par la valeur fondamentale de ce qu'il achète) peut être résumé comme suit : les bénéfices des entreprises risquent de reculer mais les taux d'intérêt utilisés pour actualiser ces bénéfices ne font que baisser. La hausse des marchés boursiers depuis le quatrième trimestre 2011 illustre bien ce point. Elle s'explique uniquement par l'expansion des multiples de valorisation. En d'autres mots, les cours n'ont pas monté parce que les entreprises gagnent beaucoup plus d'argent, mais parce que les investisseurs sont prêts à payer davantage pour ces bénéfices.

Ratio cours/bénéfice de l'indice MS des marchés développés depuis 2006
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Le principal argument en faveur des actions reste aujourd'hui leur valorisation relative. Dire qu'il faut acheter des actions parce que le rendement du dividende est supérieur au taux d'intérêt à long terme revient à dire qu'il faut les acheter parce que les taux d'intérêt sont bas et non pas parce que les perspectives des entreprises sous-jacentes ou les dividendes qu'elles payent seraient tellement bonnes. Au contraire, dans la mesure où le niveau actuel des taux d'intérêt reflète plutôt les importants problèmes structurels auxquels est confrontée l'économie mondiale, ces perspectives ne sont justement pas très réjouissantes. C'est pourquoi l'histoire boursière montre que des périodes de taux d'intérêt réels (c'est-à-dire ajustés pour l'inflation) très faibles n'ont généralement pas été favorables aux marchés boursiers. Durant ces périodes, les actions se sont traitées à des multiples de valorisation inférieurs à la moyenne, affectées par les problèmes économiques dont les taux bas n'étaient que le reflet. L'évolution de la bourse japonaise, qui se trouve actuellement quelque 70 % en-dessous de son niveau de la fin des années 80 malgré des taux d'intérêt proches de zéro depuis le milieu des années 90 illustre particulièrement bien ce point.

La question des multiples que les investisseurs sont prêts à payer pour les actions est très importante. L'évolution de ces multiples détermine en large mesure le type de marché dans lequel nous évoluons. Expansion des multiples égale vent de dos, contraction des multiples égale vent de face. La contraction des multiples depuis l'année 2000 explique ainsi la stagnation des indices boursiers depuis lors, tout comme l'expansion des multiples dans la deuxième moitié des années 90 avait été à l'origine des rendements boursiers très élevés durant cette période. 



Ratio cours/bénéfice de l'indice MS des marchés développés depuis 1988

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La forte remontée des multiples depuis septembre 2011 marque-t-elle dès lors un retournement de tendance et le début d'une nouvelle expansion durable des ratios de valorisation? Ceux qui prétendent qu'il faut acheter des actions parce que les taux d'intérêt sont bas affirment implicitement que les actions deviendront plus chères parce que les investisseurs ne savent pas où mettre leur argent ailleurs.

Les perspectives en matière de bénéfices des entreprises - deuxième facteur à déterminer l'évolution des cours boursiers - ne sont en effet guère favorables. Sur les dernières années, la croissance des bénéfices a largement dépassé la croissance économique. Dans la mesure où "croissance bénéficiaire = augmentation des ventes x augmentation des marges" et où les marges bénéficiaires sont déjà à un niveau historiquement élevé et l'augmentation des ventes limitée par la faiblesse de la conjoncture, il semble pour le moins optimiste de croire à une forte hausse des bénéfices sur les trimestres à venir. Le rebond de l'activité économique après la crise de 2008/2009 a été anormalement faible à cause des problèmes structurels souvent mentionnés dans ces articles et la prochaine récession risque d'arriver avant que de nombreux indicateurs économiques n'aient retrouvé leur niveau de 2007. L'indice Citigroup Economic Surprise qui classe les chiffres économiques selon qu'ils sont meilleurs ou moins bons que prévus  montre d'ailleurs que si la remontée des marchés boursiers entre août et novembre 2012 pouvait s'expliquer par une amélioration à court terme des indicateurs économiques, tel n'est plus le cas depuis lors.

Citigroup Economic Surprise Index - Major Economies

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L'environnement exceptionnel dans lequel nous nous trouvons et les politiques monétaires peu orthodoxes actuellement menées font que les issues possibles en termes de rendement des marchés boursiers pour l'année en courssont particulièrement disparates. Une forte hausse des cours à cause des politiques monétaires peu orthodoxes menées dans la plupart des pays industrialisés? Une forte baisse de ces cours à cause d'une résurgence des tendances déflationnistes, d'une nouvelle aggravation de la crise européenne ou d'un retournement de tendance sur les taux plus rapide qu'actuellement anticipé? Il est dès lors d'autant plus important de construire des portefeuilles capables de tenir la route sous différents scénarios plutôt que de rechercher coûte que coûte un rendement aussi élevé que possible. Il en résulte qu'une stratégie d'investissement devrait s'articuler autour des axes suivants :

- acheter des actions, pas le marché. L'environnement actuel plaide en faveur d'une stratégie active. Plutôt que de se poser la question de ce que fera le S&P500, le DAX ou le CAC40, la priorité devrait être accordée à la recherche d'entreprises de qualité (faible endettement, rentabilité élevée, faible intensité capitalistique) à des prix raisonnables. S'il est impossible de trouver de telles sociétés, mieux vaudra rester à l'écart du marché même si le coût d'opportunité ('rater' une hausse) peut sembler élevé;

- favoriser les entreprises peu cycliques payant des dividendes réguliers et croissants;

- favoriser les pays émergents. Ces pays ne sont pas affectés par les problèmes de surendettement et de vieillissement de la population qui pèsent sur les pays industrialisés et la valorisation de leurs marchés reste raisonnable. A nouveau, il s'agira toutefois d'activement rechercher des entreprises bénéficiant des tendances structurelles ayant lieu dans ces régions (et notamment de la transition vers une croissance basée sur la demande interne) plutôt que de simplement acheter des indices; 

- acheter de l'or comme une forme d'assurance contre un scénario catastrophe et comme valeur refuge dans un environnement marqué par la détérioration des finances publiques et des politiques monétaires irresponsables dans les pays industrialisés. D'autant plus que le rapport entre l'offre et la demande d'or reste très favorable. L'achat de mines d'or a également du sens aux cours actuels, à condition d'en accepter la volatilité.

Enfin, il convient de souligner que les obligations peuvent également avoir un rôle à jouer dans un portefeuille. Il est vrai qu'un investissement à long terme dans les emprunts d'Etat de nombreux pays ne se justifie plus d'un point de vue risque/rendement puisque le rendement à l'échéance de ces emprunts est souvent inférieur à l'inflation, entraînant une perte de pouvoir d'achat. Il reste cependant que sur des périodes d'investissement plus courtes, ces emprunts vont générer un rendement attrayant si les taux d'intérêt à long terme continuent à reculer. Contrairement au passé et de manière quelque peu paradoxale, on achètera donc les obligations pour une éventuelle appréciation de leur cours alors que c'est plutôt du côté des actions (à dividende) qu'il faudra regarder pour des revenus récurrents.  


Guy Wagner
Source: http://www.guywagnerblog.com/fre/entry/la-question-primordiale-pour-un 
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