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Guy Wagner

Guy Wagner

Je suis chief economist à la Banque de Luxembourg.

Dans mon blog, je commente les derniers développements sur les marchés financiers ainsi que mes évaluations sur leur future évolution.
Ces pages s’adressent aux investisseurs dans des fonds et actions avec un certain intérêt pour les marchés boursiers.


Mon parcours

Licencié en Sciences Economiques de l'Université Libre de Bruxelles, je rejoins la Banque de Luxembourg en 1986, où je fus successivement responsable des départements analyse financière et Asset Management. Depuis 2005, je suis administrateur-directeur de BLI - Banque de Luxembourg Investments.

Quelle stratégie d'investissement pour 2014 ?

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Dans l’établissement d’une stratégie d’investissement, il est à mon avis important de différencier le cadre structurel de l’environnement à court terme.

Cadre structurel

Un potentiel de croissance plus faible
La croissance dans la plupart des pays industrialisés sera inférieure à ce qu’elle a été au cours des dernières décennies. Le niveau d’endettement élevé dans les secteurs privés et publics et les tendances démographiques constituent des freins structurels à l’activité économique. De manière plus académique, pour améliorer le potentiel de croissance, il convient d’augmenter le nombre de personnes qui travaillent et/ou augmenter la productivité de ceux qui travaillent. Le premier facteur, la croissance de la population active, est lié aux tendances démographiques, aux évolutions sociales (taux de participation des femmes, …) et aux réformes structurelles (dé-régularisation de certains secteurs, attitudes face à l’Etat-providence). Le deuxième facteur, l’augmentation de la productivité, a notamment trait à des éléments tels que la qualité du système éducatif et de l’infrastructure, la défense de l’Etat de droit et l’innovation. Il est à l’heure actuelle difficile d’être très optimiste sur ces 2 facteurs.

Des taux zéro qui n'améliorent pas la situation économique
L’expérience des dernières années montre que les politiques de taux zéro et d’assouplissement monétaire quantitatif (quantitative easing) n’améliorent pas la situation économique. Ceci est logique : dans une économie de marché, les prix donnent des signaux très importants pour équilibrer offre et demande. Le taux d’intérêt est le prix de l’argent. En manipulant ce prix et en le maintenant à un niveau artificiellement bas, les autorités créent de nombreux déséquilibres, des bulles spéculatives et une mauvaise allocation des ressources. De plus, plutôt que de stimuler la consommation, le niveau bas des taux d’intérêt la pénalise dans la mesure où la faible rémunération de l’épargne oblige à épargner davantage. Quant aux entreprises, elles réalisent que les fondements de l’économie ne sont pas bons et deviennent dès lors réticentes à investir.

Des politiques monétaires dangereuses
Les éléments à l’origine du recul de l’inflation sont en train de s’estomper. Les banques centrales des pays industrialisés semblent notamment avoir abandonné leur objectif de stabilité des prix, la plupart d’entre elles visant aujourd’hui ouvertement des taux d’inflation plus élevés. De plus, elles utilisent de plus en plus leur politique monétaire à des fins telles que stimuler la croissance ou réduire le taux de chômage, pour lesquelles ces politiques ne sont pas adaptées . Enfin, elles ont succombé à la dictature des marchés financiers, leurs décisions semblant souvent prendre en compte les intérêts de ces derniers plutôt que ceux de l’économie réelle.

Les rendements à long terme à attendre des placements financiers sont très limités. Pour les placements à revenu fixe, ceci est une conséquence directe du niveau bas des taux d’intérêt, pour les placements boursiers, des niveaux de valorisation élevés. L’histoire boursière montre que le rendement (annualisé) sur 5 à 10 ans obtenu par un investisseur par le passé en achetant le marché américain à un niveau de valorisation similaire à celui d’aujourd’hui aurait été proche de zéro. Le niveau de valorisation du marché européen est moins élevé, mais ceci est partiellement dû à la composition de l’indice.

Indice MSCI All Countries World en euro
BLI - Banque de Luxembourg Investment 

2014

Les points mentionnés supra définissent le cadre structurel qu’un investisseur ne devrait jamais perdre de vue. Ils ne définissent cependant pas nécessairement l’environnement pour cette année.

Aux Etats-Unis, il se pourrait ainsi que l’économie surprenne agréablement en 2014, aidée par une moindre austérité budgétaire, une reprise des investissements privés en cas d’amélioration du climat politique ou les effets positifs de la révolution énergétique. Une accélération temporaire de la croissance aux Etats-Unis aurait des répercussions positives sur les autres régions.

De même, le danger inflationniste qui existe à moyen et long terme est lié au risque que les autorités monétaires ne sauront, à un moment donné, plus contrôler l’inflation qu’elles essaient aujourd’hui de créer. Un retour de l’inflation ne semble cependant pas encore imminent en 2014 dans la mesure où les tendances déflationnistes inhérentes à un problème de surendettement et de faible croissance économique restent à l’heure actuelle encore bien présentes.

Enfin, le fait que le rendement annualisé à long terme d’un placement boursier est faible ne dit rien sur le rendement à court terme. La valorisation des actions est le principal facteur déterminant leur rendement sur le long terme mais n’est pas très utile pour prévoir leur rendement à court terme. A titre d’exemple, les séquences qui suivent aboutissent toutes à un rendement annualisé de 2 % sur 10 ans (il ne s???agit évidemment pas de prévisions) :

  • + 10 %, + 10%, - 15 %, + 3 %, - 12%, + 6 %, - 40%, + 30 %, + 15 %, + 37 %
  • - 20 %, + 10 %, - 5 %, + 12 % , + 5 %, + 7 %, + 7 %, - 10 %, + 15 %, + 5 %
ou, de manière à illustrer encore mieux cette idée :

  • + 25 %, + 25 %, - 3 %, - 3 %, - 3 %, - 3 %, - 3 %, - 3 %, - 3 %, - 3 %
  • - 25 %, - 25 %, + 10 %, + 10 %, + 10 %, + 10 %, + 10 %, + 10 %, + 10 %, + 10 %
Les facteurs importants
2 paramètres devraient déterminer le comportement des marchés financiers en 2014 : la croissance économique aux Etats-Unis et la politique monétaire de la Réserve fédérale. Ceci ne veut pas dire que l’activité économique dans les autres régions (à commencer par la Chine) ou les politiques monétaires des autres banques centrales ne sont pas importantes. Toutefois, la pratique montre que c’est l’état de l’économie américaine qui détermine la façon dont les investisseurs appréhendent l’économie mondiale. Et c’est la politique monétaire de la Réserve fédérale qui conditionne celles des autres banques centrales.

La décision de la Réserve fédérale du 18 décembre enlève à cet égard un facteur d’incertitude et augmente la visibilité sur le deuxième paramètre. La banque centrale américaine a décidé de légèrement réduire ses achats d’actifs à 75 milliards de dollars par mois contre 85 milliards jusqu’à présent. Elle a insisté en même temps sur la possibilité de maintenir son taux directeur à 0 %, même longtemps après que le taux de chômage sera passé sous la barre des 6,5 % (actuellement 7,3 %). Il est toujours possible que la banque change d’avis mais cette décision signifie en gros que la politique monétaire américaine restera expansive et, surtout, qu’il n’y aura pas de relèvement des taux directeurs en 2014. Un environnement marqué par une croissance plus forte, une inflation contenue et une politique monétaire expansive serait a priori à nouveaufavorable pour les marchés boursiers. De plus, de nombreuses entreprises restent réticentes à augmenter leurs dépenses d’investissement, préférant racheter leurs propres actions ou augmenter leur dividende, facteurs souvent favorables à leur cours de bourse. Dans le même ordre d’idée, nous pourrions assister en 2014 à une reprise de la vague des fusions et acquisitions.

Le dilemme de l'investisseur
Un investisseur se trouve donc dans une situation délicate (en supposant qu’il partage notre analyse du cadre structurel) :

  • les fondamentaux économiques restent précaires et les politiques monétaires actuellement menées les fragilisent encore davantage sur le long terme;
  • la hausse des marchés boursiers des 18 derniers mois ne se justifie pas par l’évolution des bénéficesdes entreprises;
  • la valorisation de la plupart des marchés boursiers n’est pas attrayante et laisse prévoir des rendements décevants sur le long terme;
MAIS :

  • ne pas être investi en actions en 2014 signifie accepter un rendement faible, voire négatif après prise en compte de l’inflation (si on se limite aux placements financiers traditionnels).
La manipulation des taux d’intérêt des banques centrales plaide en faveur d’une stratégie d’investissement quelque peu perverse, consistant à investir en actions pour le court terme, mais pas nécessairement pour le long terme alors que le propre d’un investissement en actions devrait être de s’inscrire dans une optique à long terme.

Risques potentiels
En adoptant une telle stratégie, il est dès lors d’autant plus important d’être conscient des risques potentiels. J’aurais tendance à les classer en 3 catégories :

  • la possibilité d’une correction limitée des marchés boursiers (0 - 10 %) :
après près de 5 années de hausse des cours , et surtout après une année 2013 très favorable, cette possibilité existe à tout moment, n’est pas nécessairement liée à un facteur précis et donc impossible àprévoir. Elle pourrait simplement résulter de la décision d’un certain nombre d’investisseurs de prendre des bénéfices. Une telle correction pourrait même être qualifiée de très saine à un moment où la complaisance de bon nombre d’intervenants est élevée;

  • la possibilité d’une correction plus importante des marchés boursiers (10 - 20 %) :
une telle correction pourrait notamment résulter d’un changement inattendu dans la politique monétaire des banques centrales, d’un dérapage des taux longs malgré des taux courts à zéro, d’une détérioration massive des indicateurs économiques dans les pays industrialisés ou d’un effet ‘boule de neige’ des marchés financiers de certains pays émergents (Turquie, Brésil, Thaïlande, …) vers ceux des pays industrialisés (à l’image de ce qui s’était passé en 1997/1998);

  • la possibilité d’un écroulement des cours boursiers (20 % - ?) :
un tel écroulement serait en principe lié à un nouveau choc externe. Une grande partie de la hausse des multiples de valorisation sur les 18 derniers mois est ainsi due à la disparition de certains ‘risques extrêmes’ (tail risks) tels que le risque systémique lié à la chute d’une grande institution financière ou le risque d’un éclatement de l’euro. Ces risques ont-ils néanmoins vraiment complètement disparu ? La plupart des experts sont d’avis que les banques européennes restent massivement sous-capitalisées. Quant à lamonnaie unique, sa force actuelle et le calme qui semble régner dans la zone euro depuis plus d’un an ne signifient pas que les problèmes structurels aient été réglés. Certains pays n’échapperont pas à une restructuration de leur dette, la France risque de perdre tôt ou tard la confiance des investisseurs, l’Allemagne s’inquiète de plus en plus de la montée des prix immobiliers qui résulte d’une politique monétaire beaucoup trop expansive par rapport à sa situation économique, les pays du Sud enregistrent des taux de chômage très élevés (notamment chez les jeunes), … Il serait étonnant que ces éléments ne provoquent pas de nouvelles secousses.

Un autre risque est celui d’une perte de confiance des marchés financiers dans les autorités monétaires. Il se pourrait qu’arrive un moment où les investisseurs réalisent que "le roi est nu", que les politiques monétaires actuellement menées ne font rien pour améliorer la situation économique et sont dangereuses sur le long terme. Des taux bas ne seraient alors plus interprétés comme une raison pour investir en actionsmais comme le reflet d’une situation économique dangereuse, à l’image de ce qui s’est passé au Japon au cours des vingt dernières années. Le découplage entre économie réelle et marchés financiers s’arrêterait. Le réveil risquerait d’être douloureux!

La liste des risques n’est évidemment pas exhaustive. Comme toujours, la meilleure façon pour un investisseur de limiter ces risques est d’acheter des actions de qualité à des prix raisonnables. Ces actions souffriraient également en cas de forte baisse des marchés, mais leur recul ne serait que temporaire . La bonne nouvelle est qu’après une année où ce sont souvent les entreprises de moindre qualité qui ont enregistré les progressions les plus importantes, de telles opportunités existent.
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