Vous n'êtes pas membre (devenir membre) ou pas connecté (se connecter)
Vincent Benard

Vincent Benard

Vincent Bénard est analyste à l'Institut Turgot (Paris) et, depuis mars 2008, directeur de l'Institut Hayek (Bruxelles). C'est un spécialiste du logement et  de la crise financière de 2007-2008 (subprimes). Grand défenseur du libéralisme économique, Vincent décortique tous les errements des Etats providence !

L'économie du bon sens : la croissance, pour quoi faire ?

Audience de l'article : 6276 lectures
Nombre de commentaires : 25 réactions

Il est courant d'entendre la question suivante : "Au fond, pourquoi nous casse-t-on les pieds avec la sacro-sainte croissance ? Pourquoi la vie politique semble-t-elle tourner toute entière autour de la croissance ?". Il est vrai que le discours politique ou idéologique sur ce sujet est souvent assez superficiel, et qu'un courant d'idées anti-croissance structuré a trouvé sa place dans le débat politique. Voyons pourquoi la croissance est importante, et pourquoi ses adversaires se trompent.

Comment définir la croissance ?

La définition la plus commune de la croissance est la suivante (wikipedia):
 

"La croissance économique désigne la variation positive de la production de biens et de services dans une économie sur une période donnée"


L'encyclopédie collaborative poursuit ainsi:
 

"En pratique, l'indicateur le plus utilisé pour la mesurer est le produit intérieur brut ou PIB. Il est mesuré « en volume » ou « à prix constants » pour corriger les effets de l'inflation."
 

Bof bof... Cette définition synthétique est insuffisante et doit être complétée.

Tout d'abord, il convient de bien séparer le phénomène (croissance) de l'instrument de mesure (PIB). Le PIB est une mesure de la production de valeur ajoutée à partir d'un étalon monétaire. Mais gardons à l'esprit que la monnaie est d'abord un intermédiaire d'échange, mais le but des échanges est bien d'échanger notre travail  contre des biens et services, la monnaie ne servant qu'a fluidifier cette échange.

La croissance, pour une personne, se traduit d'abord par la capacité d'augmenter la quantité et/ou la qualité de ses échanges.


Croissance et utilisation des ressources

Comparons le temps de travail nécessaire, en minutes, pour un salarié au salaire moyen, pour gagner le prix de quelques articles, premier prix en 1973, second en 2002 (source: Jacques Marseille, "la guerre des deux France"):




Lorsque nous diminuons le temps que nous nous donnons pour pouvoir obtenir un bien, nous augmentons, en contrepartie, le nombre de biens que nous pouvons obtenir à temps de travail identique.

La croissance est ce phénomène qui nous permet, entre autres, de diviser par 3 le temps de travail nécessaire pour acheter des produits de base. Mais elle n'est pas que cela.

Croissance par usage amélioré des ressources

Comment une telle baisse du prix relatif de ce que nous consommons est elle possible ?

Produire suppose d'employer des ressources, les économistes, dans leur jargon autoprotecteur (1), parlent "d'intrants", quand ils ne veulent pas utiliser l'anglais "input". Ces ressources sont donc: le travail humain, le capital, des matières premières entrant dans la composition des produits, et des ressources intermédiaires (énergie, eaux de lavage, etc...).

Ainsi, par exemple, le temps nécessaire pour étudier une automobile nouvelle de la feuille blanche à la commercialisation à été réduit à 30 mois, contre plus de 4 ans dans les années 80. C'est autant de coût de R&D en moins. Cela est également vrai pour tout une gamme de produits courants, comme les ordinateurs, les appareils ménagers ou électroniques, etc...

En 2006, l'usine Renault de Flins montait une clio en 22 heures. La dernière usine Kia, en Slovaquie, abaisse ce temps à 16 heures. Et le nombre d'employés sur la chaîne diminue, de nombreux ateliers pénibles, comme la peinture, ayant été automatisés, et chaque employé disposant de machines plus performantes que la génération précédente.

Cette économie se retrouve sur d'autres postes de consommations de ressources. Ainsi, lorsqu'une télévision "type" passe d'un prix égal à 2/3 de mois de salaire médian, 55cm et 35 kilos dans les années 70, à 1/3 de salaire médian, 106cm et 15 kilos en 2010, il y a "croissance" à la fois en terme de temps de travail nécessaire pour son achat, mais aussi en terme d'optimisation de l'usage des ressources naturelles qui ont permis de la fabriquer, même si, basiquement, la télé rend le même service. En effet, la diminution de poids indique que l'appareil actuel est plus économe en ressources. La même observation peut être faite en terme de consommations intermédiaires (électricité, fluides) entrant dans la fabrication de la télévision. Et donc, même si certains vous disent qu'un écran plus plat et plus grand ne constitue pas à proprement parler un signe de "croissance", puisqu'en terme de service rendu, une télévision reste une télévision, l'évolution technologique du produit est en elle même un facteur de croissance, par la moindre consommation de ressource que sa production a nécessité.

Un exemple particulièrement parlant: quand bien même il faut en revenir à un indicateur monétaire pour l'illustrer, notons que la consommation d'intrants énergétiques fossiles par point de PIB produit a sévèrement diminué dans le monde ces dernières décennies:




C'est ce gain permanent en consommation d'intrants de toute nature qui permet de réduire les coûts de ce que nous consommons en terme de temps de travail nécessaire pour l'acquisition, ce qui, comptablement, se traduit par plus de croissance.


Croissance par "extension du champ des possibles"

Enfin, la croissance n'est pas que l'amélioration de la production de ce qui existe. C'est aussi, et peut être surtout, l'apparition de nouveaux produits et services, qui permettent de résoudre des problèmes auparavant insolubles, ou "d'élargir le champ des possibles". Ainsi, exemples parmi des milliers d'autres, l'invention de l'aviation commerciale a rendu possible l'explosion de l'industrie touristique. L'explosion de l'électronique et de l'informatique a rendu possible des millions de produits et services impensables avant, dans tous les domaines. L'invention de la pénicilline puis d'autres antibiotiques a sauvé des millions de vies humaines et considérablement réduit le coût de traitement de nombreuses maladies. L'automobile a joué un rôle majeur dans la possibilité, pour les personnes, de mettre des employeurs ou des fournisseurs  distants en concurrence. Etc, etc.

Bref, la croissance, c'est faire "mieux" avec "moins". C'est produire des choses de meilleure qualité, moins chères, ou des nouveautés qui rendent des services auparavant non concevables, en utilisant moins de peine humaine, en consommant moins de capital, en employant moins de ressources naturelles... La croissance, c'est le volet matériel du progrès.


La croissance, un phénomène hautement désirable et désiré

Je cite ici mon acolyte occasionnel Silvère Tajan sur objectif liberté :
 

"la croissance, a titre individuel, est un objectif louable. C'est simplement vouloir améliorer ses conditions de vie, vouloir plus de loisirs, mieux manger, vivre dans un appartement un peu plus grand, mieux équipé, bénéficier d'un confort supplémentaire, d'un nouveau traitement médical. La croissance, à titre individuel, c'est vouloir simplement améliorer ses conditions de vie, et c'est ce que fait l'homme depuis la nuit des temps".


Et j'ajouterai que la croissance, c'est vouloir tout cela en diminuant sa peine au travail, qu'elle soit exprimée en temps, en fatigue physique, etc...

Ceux qui prêchent "la décroissance" s'inscrivent donc en contradiction avec l'aspiration naturelle de milliards d'êtres humains de vouloir ce qu'ils estiment être une amélioration de leurs conditions de vie. La décroissance ne pourrait se produire que CONTRE la volonté des individus. La décroissance est donc un concept d'essence totalitaire.

Lorsque l'on passe du niveau individuel à un concept collectif, LA CROISSANCE EST D'ABORD LA RESULTANTE DE MILLIARDS D'ASPIRATIONS NATURELLES AU PROGRES MATERIEL. Ajoutons que le désir de croissance est d'autant plus aigu au sein des populations qui n'ont pas, à ce jour, bénéficié de notre niveau de développement matériel.

Enfin, l'accroissement de notre espérance de vie et de notre durée d'études fait que nous devons financer un nombre croissant d'années de vie inactive par notre période d'activité, quel que soit le mécanisme de transfert financier retenu. Par conséquent, nous devons faire des gains de productivité considérables si nous ne voulons pas trimer lorsque nous serons des vieillards. Et qui dit "gain de productivité" induit la croissance.

Bref, la croissance est ce qui nous permet de vivre "plus", "mieux", en donnant "moins".

Pour toutes ces raisons, la croissance est un phénomène nécessaire et hautement désirable, et même ceux qui prétendent nous en détourner, voire nous en dégoûter, profitent très largement de ses bienfaits. Adopter des politiques de "renoncement à la croissance" au nom de principes politiques fumeux serait absolument suicidaire, économiquement et politiquement.

---------
La suite au prochain numéro : Ce qui précède légitime-t-il la volonté des gouvernements de "faire quelque chose pour la croissance" ? Dans l'article suivant, voyons que toutes les façons d'envisager la croissance ne se valent pas.

---------
Notes:
(1) Toute corporation développe un langage visant à donner des noms prétentieux à des concepts simples. L'objectif est de faire croire que l'appartenance à ladite corporation exige bien plus de compétences qu'en réalité, et de renforcer la "posture d'autorité" des cuistres. L'économie est particulièrement touchée par cette "jargonite" aiguë. Les linguistes et grammairiens ne sont pas mauvais non plus dans cet exercice.

En savoir plus :

Quelques théologiens de la décroissance: Serge Latouche, Nicholas Georgescu Roegen.

----------
Articles liés :

La valeur ajoutée, concept de base de l'économie.

Quelques réflexions autour de la notion de progrès
----------

Poster un commentaire

25 commentaires

  • Lien vers le commentaire cedric jeudi, 31 mai 2012 05:37 Posté par cedric

    @jesuisunhommelibre


    Si on reprend votre formule : Pouvoir = Effort humain * Capital * Energie

    Vous constaterez que le capital croît en permanence (puisqu’il est le cumul de toutes les productions antérieures), ainsi que l’effort humain (au moins par l’augmentation de la population et l’accélération des échanges).


    Sauf qu'il y a deux effets que vous negligez, le capital s'use avec le temps et les energies sont incompatible entre elle (Essayait d'utiliser un diesel avec du charbon). Il faut donc constament consommer de l'energie, du capital et de l'effort humain pour juste maintenir notre niveau actuel. Il n'y a pas de courbe exponentielle qui se cache de ce cote la non plus.

    Le progrès tendant, naturellement, à économiser l’énergie et à en trouver de nouvelle source, la croissance à donc encore de beaux jours devant elle.


    Oui, mais comme le graphique le montre, notre dependance est encore tres eleve. Nous nous en defaisons a un rythme largement inferieur a la croissance mondiale. La seule conclusion est que toute croissance supplementaire est exclusivement du a l'augmentation de la consommation d'energie.

    La seule solution est donc soit d'avoir un plan pour sortir du petrole a marche forcer (et il faut commencer maintenant) soit s'organiser pour gerer une decroissance. Sortir du petrole et maintenir notre niveau de vie semble a peu pres jouable avec les technologie actuelle. Mais il faudrait une demarche totalitaire, car le marche n'anticipe pas un retournement de tendance d'une tel ampleur (probablement du fait de biais positif chez la generation au commande) et quand on y sera, on n'aura plus d'energie pour changer notre outil de production et renouveler notre capital.

  • Lien vers le commentaire helios lundi, 28 mai 2012 18:49 Posté par helios

    Vous comparez ce qui se passait dans les années 70 ou 80 et maintenant pour illustrer la croissance importante que nous avons eue.
    Ayant vécu ces périodes et même les années 60, j'ai pourtant l'impression que c'était mieux avant, et donc que cette fameuse croissance est en fait un chemin vers le moins bien. Sur beaucoup de plans la situation était bien meilleure :
    - on quittait l'école sans faire des études inutiles en trouvant quasiment immédiatement un emploi, le plus souvent près de chez soi.
    - on devenait propriétaire de son logement sans s'endetter au maximum de ses possibilités pendant 25 ans.
    - on circulait et stationnait avec facilité quasiment partout.
    La quasi totalité des progrès technologiques me semblent en grande partie inutiles. Il me semble par exemple que ce que l'on voit de nos jours sur les grands écrans plats haute définition est loin de valoir ce qu'on voyait sur les télés à tube en noir et blanc. Toute cette croissance est une vaste illusion.

  • Lien vers le commentaire sigsegv vendredi, 25 mai 2012 18:59 Posté par sigsegv

    "La décroissance est donc un concept d'essence totalitaire." rien que ça...

  • Lien vers le commentaire cedric vendredi, 25 mai 2012 10:01 Posté par cedric

    Definir ce qu'est la croissance et ce que les gens en esperent me semble louable. Tout au tant que de prendre comme fait que la croissance est ce que tout le monde aspire reellement. On veut tous obtenir plus avec moins.

    Maintenant, est-ce qu'on a vraiment le choix ? Est-ce que les lois de la physique et les capacites de notre planete le permettent.

    De mon point de vue notre capacite, notre force reelle a modifier le monde et donc a obtenir plus avec moins cache une formule assez simple :
    Pouvoir = Effort humain * Capital * Energie

    Le capital regroupant finalement ce que l'effort humain a ete capable de creer au cout du temps et que l'on est capable d'optimiser. L'energie, c'est la quantite d'energie disponible et necessaire pour faire agir ce capital. La question qui me preoccupe, est assez simple.

    Le capital qui contient les robots, les transports et tout un tas d'automatisme electronique, electrique et mecanique, developpe une puissance d'un ordre de grandeur 1000 fois superieurs a ce que l'homme le plus entraine peut developper. C'est donc principalement par l'augmentation des capacites de ce capital et de l'energie qu'il consomme qu'on a eu notre croissance passe. Cela veut aussi dire que c'est uniquement sur ces deux valeurs que l'on peut jouer.

    Or nous aurons de moins en moins d'energie accessible vu que nous sommes sur un plateau depuis 2005 a peu pres. La question etant est-ce que historiquement la majorite de notre progres est du a l'utilisation exponentiel d'energie ou bien est-ce que le progres technique et les optimisations du capital permettrons de compenser cette baisse d'energie disponible. Et est-ce que le futur nous permet d'esperer des gains sur l'utilisation du capital ?

    Si la reponse est non, alors nous n'aurons pas d'autre choix que de gerer une decroissance. Et la, ca a du sens de preparer tout le monde a gerer cette frustration. Si la reponse est oui, alors effectivement vouloir la decroissance absolument c'est se creer des problemes sans raison. Donc etons capable d'ameliorer exponentiellement notre technologie dans les annees a venir ou bien sommes nous encore trop lie au source d'energie stocke depuis des millenaires sur terre ?

    D'apres votre graphique la croissance lie au progres technologique a ete de 1.4% de maniere a peu pres constante sur les 35 dernieres annees. Ce qui me fait pencher vers la conclusion que l'on doit se preparer pour la decroissance des que notre production de gaz, petrole et charbon diminuera de 1.4% par an. Pour l'instant, la production est quasi stable et deja le systeme est instable. Il parait donc sage de se preparer a la decroissance maintenant pour eviter la casse au maximum.

  • Lien vers le commentaire Henri Dumas vendredi, 25 mai 2012 07:30 Posté par Henri Dumas

    Bonjour Vincent,

    Encore un billet excellent. Vous êtes un pédagogue hors pair. Vous savez faire apparaître la pépite au milieu du tas de roches. C'est très fort et très utile.

    Pour ceux qui sont, comme moi, en pleine tempête de l'action, entourés de galériens malades vomissant partout, enchainés par le pouvoir, le phare de la connaissance est souvent sujet d'ironie, s'il n'est pas modeste et accessible.

    Vous n'êtes jamais dans cette situation, félicitations sincères. Cordialement. Henri Dumas

  • Lien vers le commentaire Vincent BENARD jeudi, 24 mai 2012 21:38 Posté par Vincent BENARD

    @patrick: ""Plus de croissance" ou "mieux de croissance"...

    Vous lisez dans mes pensées ? C'est le thème de l'article suivant. Mardi.