L’actualité fourmille de rumeurs concernant diverses réformes de la fiscalité française( suppression éventuelle de l’ISF et du bouclier fiscal, taxation accrue des plus-values immobilières ou mobilières, TVA sociale, etc.). S’il est clair qu’une mise à plat de la fiscalité s’impose, il est également évident qu’une telle entreprise est difficile à réaliser, à la veille d’une élection présidentielle. Il est donc probable que nos gouvernants se contenteront, hélas, de « réformettes », nullement à la hauteur du problème soulevé. Là encore, il faudrait éviter de « mettre la charrue avant les bœufs » et réfléchir au préalable à l’objectif essentiel que doit viser une réforme de la fiscalité.
Avant de vouloir favoriser une redistribution des richesses, une fiscalité « intelligente » doit favoriser l’émergence d’une croissance économique « durable » ; en effet, on ne peut distribuer que si auparavant on a produit des richesses.
Pourquoi la croissance est elle une « ardente obligation » ? Tout d’abord, parce qu’elle est historiquement en chute libre dans notre pays : dans les années 60, elle atteignait 5% ; dans la décade suivante on était passé à 3,5%, puis 2,5% entre 1980 et 1990 et 2% dans les années 90, pour atteindre 1,3% dans le nouveau millénaire (avec seulement 1,5% en 2010, à la sortie d’une crise sévère où nous avons enregistré plus de 2% de récession). Les chiffres sont donc sans appel. Dans le même temps, la France bénéficie d’une démographie bien meilleure que nos voisins, ce qui supposerait que notre croissance soit plus forte que la leur ; ce n’est malheureusement pas le cas. D’où un chômage élevé (plus de 9%), dont les victimes sont en particulier les jeunes, ce qui est inadmissible.
L’autre manie du moment est de se comparer à notre partenaire principal : l’Allemagne. Là aussi, il faut consulter les chiffres. Si on considère le coût du travail horaire de la main d’œuvre, l’Allemagne se situait à 26, 3 euros en 2000 et la France à 24,4 euros ; en 2010, le coût français atteignait 37,2 euros, contre 30,2 euros pour les Allemands. Sans commentaire !
Si maintenant, on considère le nombre d’heures travaillées par habitant, l’Allemagne, avec 700 heures en 2008 nous dépasse largement (620 heures en France) et ne parlons pas du Japon (900 heures) ou des Etats-Unis (850 heures). Prenons maintenant les prélèvements obligatoires, par rapport à la valeur ajoutée : ils dépassent les 26 % en 2008, contre 13% pour l’Allemagne, soit le double ! Dernier indice pertinent : le nombre mondial de brevets en biotechnologie déposés auprès de l’Office européen des brevets en 2005 et en pourcentage: 11,2 en Allemagne et 4,6% en France (les chiffres comparables sont de 36.9% aux Etats-Unis et 14,1 % au Japon) (1).
Dans le domaine du commerce extérieur, on constate que nos exportations représentaient 55% des exportations allemandes en 2000 ; elles atteignent à peine 40% en 2010. Du coup, la valeur ajoutée de l’industrie française (plus particulièrement de son secteur manufacturier) est passée de 17,1% en 2000 à 14,3 % en 2010.
Quelles conclusions pouvons-nous en tirer ? La première, c’est clairement la nocivité absolue de la loi des 35 heures que le gouvernement n’a pas eu le courage d’abroger; en plus de diminuer fortement le volume total d’heures travaillées de la France, les inévitables mesures d’ajustement (heures supplémentaires) coûtent actuellement plus de 26 milliards d’euros à notre budget. Deuxièmement, on souffre depuis de nombreuses années de l’absence d’une véritable politique industrielle en France, alors que nos concurrents (y compris les pays émergents, tels que la Chine) la renforcent. Ainsi nous avons abandonné Pechiney et Arcelor, laissé Schneider échouer dans sa tentative de rachat de Legrand. Aujourd’hui, c’est la place financière de Paris qui va être marginalisée, à la suite du rachat (probable) d’Euronext par Deutsche Börse.
Enfin, l’Etat ne fait pas suffisamment d’efforts pour soutenir l’essor des entreprises de taille moyenne. Alors que l’Allemagne s’appuie sur son « Mittelstand » pour réussir ses performances à l’exportation (le nombre d’entreprises allemandes de cette taille représente plus de deux fois celui des entreprises françaises comparables !). La France pénalise les dites entreprises (taxation élevée(2), coût du travail, grevé par des cotisations sociales élevées, manque de dynamisme dans l’aide à l’exportation, etc.) Or ce sont ces sociétés qui créent les nouveaux emplois. Dans le même ordre d’idée, la France est incapable de favoriser l’investissement à long terme dans les entreprises : fiscalité discriminante (on y retrouve l’ISF), méfiance envers les marchés boursiers et insuffisance de « business angels » (à force de campagnes d’opinion « contre les riches », on décourage la prise de risque de ceux qui pourraient investir dans nos PME, pour leur permettre de croître), à un moment où diverses règlementations prudentielles (Solvency II, Bâle III) vont réduire la contribution des établissements financiers au financement en capitaux propres des entreprises.
On voit qu’en 10 ans, nous avons régressé économiquement (ce que confirme l’évolution de nos parts de marché mondiales). Malheureusement, on ne voit pas venir un quelconque rebond.
(1) Ces statistiques sont tirées de Valeurs Actuelles, 10 février 2011, p.43, ainsi que du rapport « Pour une comptabilité équitable », MEDEF, 2011.
(2) Par comparaison, nos grandes entreprises subissent une fiscalité sur les bénéfices d’environ 11% en moyenne (cf. étude du Club Finance HEC), grâce à leur internationalisation, contre 33% pour les entreprises moyennes.
Bernard MAROIS
Professeur Emérite HEC
Président d’Honneur du Club Finance HEC