« Si tu savais changer de nature quand changent les circonstances, ta fortune ne changerait point » - Nicolas Machiavel – Le Prince.
On ne peut disconvenir du bilan suivant : depuis un siècle, la finance est une grande malade capricieuse qui rechigne à se soigner.
Elle n’est plus qu’une répugnante et vieille carcasse épileptique qui trouve cependant toujours autant de soupirants.
Alors, elle butine d’amants en amants pour oublier son infortune, tout en défaisant la fortune de ses plus beaux galants.
Avec la finance, quels que soient les coins où le regard se porte, aussi loin que l’acuité visuelle soit pertinente, un seul et unique constant s’impose : ça frissonne, ça ondule, ça frétille, ça remue, ça dodeline, ça s’agite, ça se meut, ça se saccade, ça hoquette, ça oscille, ça bouge, ça gigote, ça vibre, ça se mue, ça se transmute … bref cela CHANGE !
Prenez quelques instants pour jeter un coup d’oeil aux courbes temps réel « au tick » des valeurs du CAC 40, et vous visualiserez fidèlement le frémissement ce que je décris.
De temps à autre, une impulsion imprévue et d’une intensité inconcevable traverse le grand corps malade.
Bien des êtres immatures et trop peu adaptés disparaissent alors.
L’investisseur survivant n’a de cesse que d’adapter son âme, son corps, et ses outils aux bouleversements qui le chahute.
Combien de fois vous êtes vous posé la question de modifier radicalement, ou à la marge, vos interventions sur le marché … y compris en période d’embellie, hein ?
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Sur des périodes relativement longues, bien peu de courtisans subsistent aux étreintes mortelles de la vieille rombière.
L’extinction récurrente et violente de la plupart des « homos-financiarus » semble faire partie de l’ADN du genre, tant l’adaptation nécessaire est soudaine, tant la spécialisation de certains compétiteurs est un frein à la survie des autres.
Les chroniques uniques en leur genre de S. Rondot livrent au sujet de la « survivance » du trader en milieu hostile, un témoignage extraordinaire qui irrite maints lecteurs, et qui ne laissent aucun oxygène, ni à la chance, ni au rêve, ni à l’amateurisme.
Et, l’adaptation transparaît-elle, de manière certaine, comme le poumon de la réussite sur les marchés.
A l’instar de Nietzsche qui affirmait que « Le serpent qui ne peut changer de peau, meurt », le trader doit, pour pérenniser son existence sur les marchés, muer sans cesse et laisser ses vieux apparats loin derrière.
Mais au fait, qu’est ce que changer ? Changer quoi ? Et d’ailleurs, est-ce vraiment possible ?
Lorsque l’on étudie la notion de changement, on reste estomaqué par le premier constat.
S’il est vrai que l’homme possède une marge de manœuvre pour changer volontairement, on constate que cette possibilité est d’une étroitesse surprenante, et que, de surcroît, cela prend profusément du temps … « Very time consuming » comme disent nos cousins des Amériques.
Du temps … vu son âge, la vieille taupe justement, elle en manque … alors, elle préfère changer d’acteurs … plutôt que d’octroyer la possibilité d’une adaptation en douceur des amoureux du moment.
Une génération d’intervenants est, sans ambages, substituée à une autre.
L’une et l’autre n’ayant pour unique liens que la cupidité, la peur, et … la mémoire évanouie.
En dehors des ondes de convulsion « en fréquence de résonance » qui balayent de temps à autre des légions de traders, une sage adaptation des modes de pensée et des comportements peut se faire.
De nombreuses aires cérébrales sont impliquées dans la conscience de soi ; définissant ce que je suis, comment je fonctionne ; et figurant le socle de ce qui est à transformer.
D’où, la difficulté à changer tout un système complexe qui repose sur une certaine homogénéité et un fonctionnement synchrone.
Bref, sur le plan neurologique, le cerveau ne possède pas la plasticité requise pour des transformations majeures et rapides de la personnalité.
Vous comprenez donc la source de votre effarement et de votre incapacité à agir en périodes chahutées, telles que celles du dernier trimestre 2008.
Ces instants de disgrâce où l’on voyait une volatilité supérieure à 10% certains jours, ainsi que des volumes de plus de 10 milliards d’euros (des robots faisaient le job … et vous finissiez pauvres comme Job).
En ces instants là, on troque son costume d’Acteur … pour celui de Spectateur … tout en étant toujours sur la scène … sans connaître ni le nom de la pièce, ni son texte, ni le décor, ni l’auteur, ni ses partenaires … FIASCO !
L’essentiel des entités du cerveau où sont stockés les logiciels à « patcher » pour changer, se situe au sien d’un gros amas de cellules en forme de banane qui traverse d’avant en arrière la boite crânienne, à peu près en son milieu.
On nomme cela de l’acronyme barbare CMS : Cortical Midline Strutures.
C’est à la complexité de cet ensemble, tout autant qu’à sa diversité fonctionnelle, que nous devons le manque de plasticité de nos comportements, ainsi que la quasi impossibilité à dompter avec vélocité nos émotions.
C’est pourtant là que se situe la cause de nos rengaines habituelles, celles qui nous collent aux doigts comme un scotch, et dont on ne peut se départir.
« Pourquoi ai-je fait cela ? Je le Savais ! »
« Je n’aurai pas dû acheter sur un sommet comme l’autre jour ! »
« Je savais que je ne devais pas pyramider à la baisse ! »
« Jamais se positionner sur une valeur la veille d’une publication … Pourquoi l’ai-je fait ? »
« Je m’étais promis de ne plus acheter une valeur dont les fondamentaux sont pourris … pourquoi ai-je recommencé ? »
« Je devais couper à -10 % si je n’étais pas dans le bon sens. J’en suis à -50% et je ne fais rien. Pourquoi ? »
« Tiens, je viens encore d’acheter sur un coup de tête car le Cac baissait. Et, j’ai une moins value record. Pourquoi ? »
« J’ai coupé trop tôt sur une petite perte … et maintenant on gagne 10 %. Pourquoi n’ai-je pas laissé le cours respirer ? »
…
Tout cela a été écrit mille fois. Tout cela a été lu des millions de fois …
Et pourtant, nous sommes tous contraints par la viscosité goudronneuse de ces satanés réseaux de neurones qui se refusent à muter de manière élégante, élémentaire, continuelle, et rapide !
Faire de la finance, c’est accepter d’échanger de l’argent contre du temps et de l’expérience.
C’est la grande loi de la finance, mais aussi de la vie tout court si l’on omet de la phrase précédente le mot argent : Vivre, c’est accepter d’échanger du temps contre de l’expérience.
Pour ne rien arranger à nos difficultés d’adaptation, il convient de rajouter que notre CMS est une structure imposante qui fonctionne en synergie avec quelques satellites situés un peu partout sur la surface externe du cerveau … la partie « noble » du bestiau, ainsi que d’autres parties ancestrales, bien calées en profondeur … comme l’amygdale cérébrale : le siège de la peur (voir à ce sujet cette chronique ).
C’est donc au sein de ce substrat neurologique incroyablement complexe que se produisent nos pensées, et que maturent nos actes.
Des changements lents et marginaux de cette typographie sont possibles.
Depuis 50 ans, des chercheurs oeuvrent à renforcer, à optimiser nos possibilités de modification de comportements.
Comment donc ?
L’état actuel des recherches est à ce que l’on nomme de manière barbare de « Thérapies comportementales et cognitives de 3ème vague ».
Derrière ce surprenant terme abscons se cache de beaux concepts et de jolis outils qui permettent de mettre en œuvre efficacement la notion de changement de comportement.
Et, ce sera le sujet de ma prochaine chronique : comment réussir la transformation ?
L’humoriste, tout comme le financier averti, aiment en public à manier le contrepet suivant, qui est proche de l’aphorisme dans sa force : « Mieux vaut penser le changement que changer le pansement » … vous avez le choix, comme Néo, l’élu dans le film Matrix, entre la pilule rouge, et la pilule bleue …
Laquelle choisir ? Peu importe, réfléchissez bien … les deux mèneront au même port, si vous êtes un bel être.
Malgré l’adversité du voyage, ayez le sourire, gardez ce contrepet à l’esprit, et, prenez garde aux spasmes de la vieille mante religieuse obscène.
Bon trades à tous.
Christophe Gautheron