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Bourse, ritualisation et croyances

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La bourse est un monde d’adultes animée de croyances d’enfants

Chaque matin qui se lève est une leçon de courage … ce matin, une fois de plus, il va falloir batailler âprement sur les marchés financiers. 

Sitôt levé, je mets en route mes ordinateurs, et je déjeune tranquillement, bercé par le vrombissement de mes satanées machines qui initialisent les logiciels de trading.

Ensuite, dans mon immense bureau décoré à la Japonaise, totalement apaisé, je fais le tour des indicateurs internationaux, et je lis la presse financière sur différents sites Internet, tout en attendant l’ouverture des marchés.

Les grands points de ma stratégie du jour sont déjà fixés depuis mon bilan de la veille, car j’ai bidouillé depuis longtemps quelques programmes qui me pointent du doigt les valeurs sur lesquelles il y a des mouvements de troupes.

Cependant, je vérifie systématiquement qu’il ne s’est rien passé d’extraordinaire pendant la nuit sur les grandes places internationales.

Je suis toujours à l’affût de signes qui remettraient en cause mes schémas court terme et mon plan de trading.

Durant cette phase de travail, de temps à autre, je jette un coup d’œil à la petite étoile rouge qui est posée en plein milieu de mes écrans. C’est mon compagnon favori. Nous passons 12 heures par jour ensemble depuis 3 ans.

Autant dire que ma mascotte est ma seconde épouse !

C’est une petite étoile en velours rouge. Elle est toute dodue de la mousse qui la compose. Elle me regarde fixement avec son sourire joyeux et ses yeux pétillants de bienveillance.

Cet objet est, vous l’avez compris, mon porte-bonheur.

Il fait « Pouet-Pouet » lorsque je le touche car c’est un jouet, honte à moi,  que j’ai chipé à ma petite fille de 36 mois, Gabrielle (prénom d’ange pour un petit démon).

Je trouvais l’esthétique de ce micro nounours conforme aux valeurs qui sont les miennes, c'est-à-dire la joie, et la bienveillance.

 Et, il faut dire que je cherchais aussi un symbole pour m’accompagner dans ma quête de l’algorithme financier parfait … mon étoile rouge est mon étoile du berger … elle me montre la voie au sein des ténèbres.

Ma petite fille Gabrielle a bien du mal à comprendre pourquoi son papa se fâche si fort lorsqu’elle décide de toucher … le roudoudou rouge en forme d’étoile posé sur le bureau, et qui lui appartient après tout !

Sur une petite étiquette, il est possible de lire cette phrase de taille  microscopique : « Ne convient pas à un enfant de plus de 3 ans » …pour moi, c’est autre chose qu’un objet banal, et il me convient bien, malgré ma date de péremption …

 L’étoile se marre, elle est  devenue l’observatrice muette de mon travail acharné, de mes réussites, et de mes échecs.

Cette figurine est comme la protectrice du respect de mes bonnes pratiques.

Elle est l’ange gardien qui veille à ce qu’il ne m’arrive plus rien de grave sur les marchés.

De nombreux traders possèdent ce genre de gri-gri.

Certes, tous n’ont pas d’objet fétiche, mais ils s’adonnent volontiers à de petits rituels destinés influencer l’avenir de manière favorable.

Ce trader ci se rive la journée durant à sa tasse de café vide avec le symbole $ car cela maintient son esprit en alerte.

Celui là ne peut travailler qu’avec les manches de chemises retroussées car ainsi  il est plus fort et plus agressif sur son suivi. Il avoue volontiers que ces plus beaux coups, il les fit en chemise à manches courtes durant l’été.

Cet autre encore reste à l’écart du marché de 11 heures à 12 heures chaque jour, et ne prend jamais position en date du 18 d’un mois quelconque, depuis le jour ou il eut un accident de scooter, ce qui l’empêcha de couper ses pertes sur un minikrach. 

Que dire de cette personne qui refuse de parler et de regarder les autres pendant les heures d’ouvertures de marchés sous le prétexte qu’un manque de concentration et une infidélité au marché pourrait provoquer un retournement des cours ?

 Que penser de celui qui refuse d’investir les jours pendant lesquels son fils est malade ?

 Enfin, que se passe-t-il dans la tête de ce dernier individu qui pense qu’un bureau net, sans feuille, sans stylo, sans gomme, sans agrafeuse … sans rien sauf une souris d’ordinateur est le gage de gains plus élevés ?

Je ne connais pas de trader qui ne soit pas tombé dans un état de superstition excédant démesurément les superstitions communes de son entourage.

La superstition s’installe insidieusement dans la vie du trader. Lentement, celle-ci lui fait perdre une partie non négligeable de son objectivité, prêtant à des évènements anodins, ou des objets inoffensifs et non signifiants pour le commun, une force cachée attirant le succès.

Il s’agit là d’une pathologie mentale contre laquelle il convient de lutter.

D’ailleurs, certains psychologues n’hésitent pas à rapprocher les comportements excessifs de ce type à de la paranoïa, et même de la psychose. Sic !

Qu’en est-il réellement ? Que penser de ces superstitions individualisées qui prennent en considération un ordre supérieur, invisible, magique, qu’il est rare de pouvoir décrire, mais qui est là, continuellement présent aux côtés du trader, et lui impose souvent sa loi afin de l’aider à faire face à ses défis quotidiens ?

Il y a presque cent ans de cela, le psychiatre Carl Gustav Jung notait que l’inconscient humain semblait structuré religieusement.

Ainsi, pour lui, la tendance à l’attribution d’une dimension cachée aux choses visibles est inhérente à notre manière de penser.

Le philosophe Alain, quant a lui, pour aller dans le même sens, affirmait « La superstition est naturelle à l’homme ; je la crois même indestructible en un sens ».

Pour décrire le sujet, le sociologue Durkheim, évoquait la notion de  pensée magique, affirmant que celle-ci, depuis l’enfance, est au cœur de nos vies quotidiennes, à l’intérieur de nous, mais que nous ne sommes pas toujours à même de le saisir clairement, ou que peut être nous avons honte de le reconnaître.

En fait, toutes les éminences grises qui se penchent sur le sujet de la superstition individuelle aboutissent à la même conclusion … la propension à ce que les spécialistes de Freud connaissent sous le thème du « For da » est normale !

Houra, amis traders vous êtes sains d’esprit !

En fait, archéologues, anthropologues, et historiens attestent à travers leurs fouilles et leurs découvertes de ce penchant ancestral.

 Ils relèvent tous que l’homme semble s’être livré à des pratiques superstitieuses depuis bien avant le néolithique.

Souvent, ces pratiques s’appliquent à la collectivité entière, et, de nos jours encore, des superstitions perdurent. Les exemples sont nombreux.

Dans de nombreux pays, le nombre 13 porte malheur par référence au nombre des convives du dernier repas de Jésus avant la crucifixion … conclusion, il n’y a pas de salle 13 dans de nombreux cinémas, pas de rangée 13 dans les avions, pas d’étage 13 dans les hôtels ...

En Italie, c’est le nombre 17 qui est honni. La raison ? 17 s'écrit en chiffres romains XVII, ce qui est l'anagramme de VIXI, signifiant « j'ai vécu » en latin, et donc, par extension  « je suis mort ».

En Asie, c’est le chiffre 4 qui fait trembler les foules : 4 se prononce  en Chinois comme le mot : « Mort ».

Pour certains, c’est la couleur verte qui est à éviter. Le vert est la couleur des fées. Celles-ci deviendraient furieuses de voir les hommes les porter, et cela, plus particulièrement le vendredi … jour de la mort du Christ.

La crainte du chat noir existe pour de nombreux individus en France … Napoléon aurait vu un chat noir avant une défaite contre les armées de sa majesté … mais le chat noir, à contrario, porte bonheur au Royaume-Uni.

Dans l’imaginaire Breton, il est tabou de présenter le pain à l’envers sur une table … cela attirerait le diable … du fait qu’au Moyen-Âge, le boulanger gardait le pain du bourreau en le stockant à l’envers.

En fait, partout, de tous temps, l’homme lorsqu’il se sent en défi avec le monde qui l’entoure, en vient à créer des petites règles visant à lui indiquer si les augures lui seront favorables.

Une fois ces règles fixées, plus question de les bouger. Ce serait perturber une intime communion avec le monde.

Ce serait déséquilibrer un fragile système favorable qui donne le sentiment unique de contrôler son existence au sein d’un chahut continuel.

Pour certains chercheurs, cette appétence aux constructions mentales de bric et de broc remonterait au stade de nourrisson, et perdurerait ensuite tout au long de la vie.

Ainsi, le bébé qui pleure, et qui fait  accourir sa mère à toute allure construit le sentiment d’une toute-puissance  sur le monde qui l’entoure.

Ensuite, la vie durant, l’individu cherchera inconsciemment à relier un stimulus quelconque à un évènement heureux.

L’analyse des fondements naturels des superstitions est une entreprise scientifique intéressante qui mobilise de nombreuses équipes de recherches dans le monde, notamment celles de la Queen’s University de Belfast en Irlande.

L’ensemble de la communauté internationale des chercheurs semble en accord sur le fait que notre manière de penser porte l’empreinte de l’évolution, au même titre que nos caractères physiques qui ne sont que le produit d’une sélection naturelle … c’est la thèse bien connue de la star internationale de l’adaptation : Charles Darwin.

Bref, pour eux, la superstition n’est pas une erreur dans le logiciel qui pilote nos comportements, mais plutôt le résultat d’une adaptation qui permit à nos ancêtres de survivre.

Le professeur Bering de la Queen’s University sans remettre en cause le dogme établi éclaire la notion de superstition d’une manière plus complète que tous les autres chercheurs.

Pour lui, la croyance superstitieuse est plutôt ce que l’on nomme une exaptation , c'est-à-dire un caractère qui n’a pas été sélectionné par l’évolution pour la fonction qu’on lui connaît aujourd’hui. La superstition serait la conséquence opportuniste d’un autre processus !

Dès l’apparition des premières groupes organisés, des comportements malicieux du style le mensonge ou la duperie sont apparus.

Ces attitudes pathogènes pour la cohésion de l’ensemble ont été combattues. La conséquence de ces conflits était le rejet de l’individu déviant.

En conséquence, ceux qui respectaient les règles étaient aussi ceux qui pouvaient se reproduire avec les meilleures femelles.

L’obéissance se reproduisait avec l’obéissance, sélectionnant ainsi des configurations de génomes identiques, qui, au fil des générations et des millénaires imposèrent la personnalité docile  comme la norme.

Les leaders des sociétés de l’époque, afin d’assurer plus fortement encore la cohésion des groupes et le respect des règles, inventèrent un effet magique style « Big brother » de George Orwell… l’œil qui voit tout, partout, à tout instant.

Ils convinrent que tous les êtres vivants étaient constamment sous l’observation de forces invisibles qui puniraient les « tricheurs ».

Cette croyance limitait encore plus les comportements anti-sociaux. De là sont nées certaines religions … mais c’est une autre histoire.

Cette caractéristique est restée une composante de la personnalité humaine.

D’ailleurs, la croyance en des forces punitives est tellement enracinée dans l’inconscient, que de nos jours encore, au sein des sociétés grégaires de chasseurs-cueilleurs, lorsqu’un malheur survient, il est le signe sans conteste que quelqu’un a commis une faute.

Et dans nos sociétés modernes, combien de fois avons-nous entendu « Qu’ai-je fait au bon dieu pour mériter cela ? ».

Le lien de l’homme à l’invisible se situe à ce point.

Et, c’est pour cela qu’aujourd’hui les traders s’en remettent inconsciemment, en des moments difficiles, à l’augure de petites divinités ou de croyances favorables … le « contrat social et morale » entre le visible et l’invisible demeure enfoui en chacun de nous !

Il est impossible d’échapper à ce biais de la pensée car il n’est pas seulement en nous, il est nous !

A ma connaissance, avant les travaux des chercheurs de Belfast, une seule personne eut clairement la fulgurance de l’explication

des petites superstitions.

 

Cet individu surprenant laissa dans ses écrits « Un peuple sans superstitions serait un peuple de philosophes, et les philosophes ne veulent jamais obéir … ».

Cette citation provient d’un individu célèbre, surprenant et fort connaisseur du fonctionnement de l’esprit humain, je vous présente son auteur : Casanova !

 

Christophe Gautheron

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