L’effet Barnum … ce n’est pas uniquement du cirque, mais aussi de la finance
Choisir son courtier en bourse n’est pas une mince affaire. Il y a pléthore d’offres en la matière et chacune se pare de ses plus beaux atours afin de vous séduire.
Les frais de transactions sont souvent le critère principal du choix final. Mais, il ne faut pas croire que l’aspect financier soit l’élément déterminant et unique du choix.
Par exemple, mon courtier en ligne est loin d’être le plus compétitif en terme de tarification, mais il me convient bien car sa plate-forme de trading est exceptionnelle, car il appartient à un grand groupe international solide, et enfin parce que je peux y trouver un interlocuteur avenant à toute heure.
Ce matin, en furetant sur le site Internet Boursier.com, et je me suis retrouvé à examiner attentivement une colonne de publicités pour des courtiers, toutes bien rangées dans un bandeau vertical.
J’ai été frappé par la nature hétérogène des offres puis par les stratagèmes utilisés par chaque société afin attirer l’attention du fureteur … et chasser le clic gagnant de souris.
Pour un publicitaire, il existe deux façons de mettre en scène un produit ou un service.
Ces deux manières s’opposent l’une à l’autre. Le choix entre les deux se nomme le dilemme du publicitaire et se résume à : quelle technique utiliser pour générer l’envie d’en savoir plus, puis l’adhésion ?
La première méthode pour alpaguer le chaland se nomme le transport narratif autoréférentiel .
Cela consiste à produire un environnement permettant au lecteur de s’imaginer dans un contexte agréable stimulant la douce rêverie.
Par exemple, si vous deviez vendre une voiture, vous diriez : « Imaginez vous au volant en bois rare de cette Jaguar XJ8. Quelle belle journée d’été qui débute. Vos cheveux flottent au vent. Le toit ouvrant est rabattu. Vous sentez la route ouatée qui défile à toute allure sous vos pieds. Le soleil est votre seul carburant. Le bonheur votre unique boussole. Et, si vous partiez à la mer avec nous ? ».
Une étude menée par une psychologue de l’université de Nashville montre que le simple fait de placer un individu dans une telle saynète charmante incite à l’achat sans qu’il soit nécessaire d’en venir aux réels attraits du produit.
La seconde option qui permet elle aussi de fixer l’attention consiste à livrer d’emblée et sans artefacts les arguments précis et concrets du produit.
A ce stade, le discours est « cash », et pour notre voiture de luxe donnerait : « Notre Jaguar XJ8, que du cuir et du bois rare. 200 chevaux de cylindrée dans notre V12. 8 couleurs possibles pour votre modèle. 15 m² de surface au sol, soit : 8 adultes assis. De 0 à 100 km/h en 6, 5 secondes. 120 ppm de monoxyde de carbone par heure. Boite de vitesse automatique».
Le dilemme du publicitaire reste l’épineuse question suivante : quand opter pour un discours analytique, et quand opter pour un discours narratif autoréférentiel ?
En fait, il semblerait qu’il faille opter pour le discours narratif autoréférentiel de préférence lors des moments de détente, et lorsque l’on est certain que la vigilance de l’acheteur est totalement relâchée.
En effet, ce type de discours suppose que l’on se laisse embarquer dans une belle histoire, et que, par pulsion, on achète un contexte onirique, lui préférant l’ennuyeuse énumération des caractéristiques techniques.
La garde de l’acquéreur doit donc être au plus bas, et son niveau de vigilance inexistant afin de laisser passer les coups du vendeur.
Je sais ce que vous allez me dire : « Ce n’est pas en bourse que l’on risque de s’écarter d’un discours analytique sans faille. Le pipeau ne sert qu’à charmer les serpents, et surtout pas à vendre des services financiers, hein ? ».
Allons voir ce que m’apprend mon bandeau vertical qui présente 6 sociétés de courtage en ligne ?
Pour le savoir, regardons ensemble, et attentivement, les trois premières sociétés de courtage.
Le premier bandeau est celui de Fortunéo. Cette entreprise est l’une des plus connues sur le marché Français.
Une petite animation tourne en continu. La couleur dominante du message est le vert. Cette couleur simule l’espérance, la confiance et suscite le choix.
Durant 3 secondes apparaît le logo « Fortunéo ». Puis, les 3 secondes suivantes apparaît en grosses lettres la phrase « 40 ordres » … ce qui se complète pour 3 nouvelles secondes par une incrustation fixant en rouge le mot : « GRATUITS ».
C’est un exemple de discours analytique très succinct basé, sur l’attrait d’une tarification avantageuse, que l’on peut découvrir en cliquant le logo de l’entreprise …
Le second bandeau appartient à ACM (Advanced Currency Markets). C’est une entreprise Suisse peu connue en France, mais fort active à l’international et qui se place sur un service de niche : la spéculation sur les taux de change et sur les transactions entre deux devises étrangères.
Un petit scénario animé tente d’attirer vos grâces. Sa teinte dominante est le noir : couleur qui est, par définition, et avec le rouge, le symbole de l’agressivité.
Le rythme de la présentation est légèrement supérieur à celui de Fortunéo. Le message apparaît en couleur blanche, petit à petit, par tranches de deux secondes.
Chaque mot, ou groupe de mot s’inscrit à la place du précédent, et dévoile le message complet suivant : « ACM … Marché des devises en ligne … Performance … Sécurité … Simplicité … Cliquez ici … ».
Ici, le message est toujours analytique, mais il se concentre sur des arguments factuels, liés, non pas au registre de l’argent, mais à celui des valeurs managériales et du cœur de métier.
Enfin, le troisième acteur est Cortal. C’est l’entreprise leader en France du courtage en ligne. Elle est une branche de la première banque Gauloise : BNP-Paribas.
La couleur dominante du petit film est celle de l’apaisement, c'est-à-dire le bleu. Le teaser est beaucoup plus élaboré que tous les autres.
Certains mots défilent, tandis que d’autres clignotent. Le cœur du message est un lion en ombre chinoise qui rugit sur la savane alors qu’un message passe en disant : « Réveillez l’instinct qui sommeille en vous ! ».
Ensuite diverses truculences s’engrènent, comme « Cortal consors – des conseils, de l’action, du placement !», ou alors « Régalez vous, cliquez maintenant ! », et même « 5 euros 45 l’ordre plus 200 euros offerts ».
Là, attention, respect ! C’est le grand jeu. Les publicitaires ont habilement juxtaposé des propos de style « narratif autoréférentiel », à d’autres plus explicitement analytiques.
C’est de l’effet Barnum. Il y a de tout, chacun peut y trouver son compte !
Je ne dispose pas des statistiques de fréquentation de chacun des bandeaux, mais je suis prêt à mettre ma main au feu que celui-là domine le palmarès des premiers « clicks ».
Pour résumer, on découvre de manière assez inattendue que les courtiers en ligne se mettent à vendre leurs services en utilisant les mêmes outils que Danone pour vendre des yaourts.
Le rêve est une accroche suffisamment forte pour que les arguments techniques et financiers ne soient pas mis en avant au premier abord.
Qui a dit que la finance était austère ? Pour vous vendre de la finance, on vous présente de l’évasion, du plaisir, et de l’action.
Bien entendu : un rêve de chocolat, ce n’est qu’un rêve, et pas du chocolat dans le réel.
Mais, un rêve de finance, c’est déjà de la finance !
Christophe Gautheron