Tout sur une pulsion nécessaire au trader et qui vient du fond des âges : le goût du risque
Lorsqu’une activité comporte une part d’incertitude, alors en obtenir un résultat élevé comporte une part de risque important.
Sur les marchés financiers, le risque est permanent et toise des sommets Himalayens.
Trop peu de paramètres se trouvent sous le contrôle du trader pour lui assurer une absence de risques.
Bien gagner sa vie en bourse revient à prendre le maximum de risque avec le maximum de précautions.
L’étude approfondie d’individus habitués à côtoyer des risques extrêmes, les traders financiers par exemple, explique de quels ressorts procèdent la logique du risque : c’est à dire comment le besoin de risque apparaît, comment il grandit, puis comment on l’assouvit.
Chez les preneurs de risque les plus performants, on observe que le risque répond carrément à un besoin physiologique à assouvir. Une pulsion très puissante et basique, à l’instar de celle de boire, de manger, ou de faire l’amour.
On prend alors un risque afin d’assouvir la sensation de besoin de risque .
Les recherches montrent, comme nous allons le découvrir plus loin, que cette soif de danger est inscrite aux tréfonds de nos réseaux cérébraux, et qu’elle remplit une fonction de survie qui est un legs de nos ancêtres éloignés.
Lorsque le besoin de risque du trader professionnel est à son paroxysme, il se sent prêt à tout pour agir.
Cependant, cela n’efface pas en lui la conscience du risque.
Notamment, son impulsivité est à un niveau anormalement bas … ce qui lui évite de tirer sur tout ce qui bouge !
En ces instants, le trader champion dispose d’une excellente maîtrise de ses actes, et il peut continuer de planifier ses activités de manière très lucide.
En somme, un trader à succès cherche le danger, tout en étant maître de ses actes, et surtout en demeurant bon gestionnaire du moment ou il va prendre des risques.
Cela contrastera avec le néophyte, ou le quidam qui seront incapables de différer la sensation d’entrée sur le marché.
Autrement dit, la recherche de sensations pure n’est pas le fil directeur du champion.
Une impulsivité très marquée n’est que l’apanage, au mieux du néophyte qui se cherche, au pire, d’individus possédant des pathologies mentales de degrés divers tels : des psychopathes, des toxicomanes, des suicidaires, des alcooliques, des joueurs compulsifs, …
Une fois l’entrée en position sur une valeur achevée par un acte d’achat, le besoin de risque du trader à succès revient immédiatement à son point zéro.
La faim du risque est apaisée. Les structures cérébrales qui créaient cet appétit ont été rassasiées.
Ce mécanisme est bien décrit de nos jours par les spécialistes du comportement.
Chez l’homme en quête de sensation, au sein du cerveau, des neurones à dopamines, autrement connus sous le nom de circuits cérébraux de la récompense, fonctionnent à plein régime.
Le fonctionnement de ces paquets de neurones est décuplé par la présence d’hormone male, la testostérone, dans l’organisme.
Ainsi, le comportement de recherche de sensations est plus marqué chez les hommes que chez les femmes, et plus courant chez les jeunes que chez les vieux.
Cette donnée éclaire les raisons de la composition sociologique des salles de marchés financiers (surtout composées d’hommes jeunes), ou de certaines branches professionnelles comme celle des pilotes de chasse !
Chez les hommes jeunes, le système de récompense cérébrale, qui se situe dans la partie du cerveau appelé méso-limbique, est très actif.
Au contraire, chez la femme, la présence d’hormones féminines, essentiellement la progestérone, stimule une enzyme de dégradation de la dopamine.
Ce qui explique que le comportement de recherche de sensation soit, en moyenne, moins courant chez elles.
On notera, par ailleurs, qu’un produit courant, à savoir la caféine, produit des effets analogues à ceux de la dopamine.
Ce produit permet de maintenir à un niveau élevé la prise de risque, là ou une fois l’acte consommé, elle devrait diminuer pour rejoindre son point nul.
Pour de nombreux chercheurs, le risque fonctionne comme un système à boucle de rétroaction que l’on nomme système asservi .
Un exemple de système asservi est le thermostat de radiateur. Quand la chaleur au sein d’une pièce est trop élevée, le thermostat coupe la vanne du radiateur. A l’inverse, lorsque la température in situ dérive en baissant, la vanne s’ouvre et le radiateur chauffe de nouveau jusqu’au moment ou la chaleur est trop élevée … retour au point de départ …
Quand le niveau de propension à prendre des risques augmente de manière vertigineuse, il faut un mécanisme pour le faire redescendre.
Ce mécanisme est la prise de risque. Le besoin comblé, une nouvelle mise en pression de l’individu se met lentement en marche, et ce, jusqu’au nouveau passage à l’acte.
La prise de risque est à l’homme ce que le thermostat est au radiateur.
Dès la plus tendre enfance, nous savons intuitivement que l’exposition au risque est une question d’équilibre.
Les enfants se mettent régulièrement en danger physique et/ou intellectuel.
Mais, point trop n’en faut, car l’excès et l’insuffisance sont néfastes à l’intégrité mentale et corporelle.
D’ailleurs, le médecin et psychanalyste Français Norbert Bensaïd affirmait à ce sujet : « A vouloir supprimer tous les risques, c’est la vie elle-même que l’on réduit à rien ! ».
Fait intéressant, c’est le risque perçu , et non pas le risque réel qui fait l’objet chez l’homme d’une régulation.
Ainsi, une personne qui se croit perchée au dessus du vide, étanchera sa soif de risque, même si elle n’est qu’à 10 centimètres du sol, et que le risque réel est, par conséquent, nul.
D’où vient l’instinct du risque ? Comment s’est formée la propension à se mettre en danger régulièrement ?
Nos ancêtres de la préhistoire prenaient des risques importants quotidiennement pour obtenir de la nourriture.
Pour manger, il fallait tuer des animaux. Cette tâche comportait une probabilité non négligeable d’y laisser la vie.
En ces temps là, les neurones dopaminergiques étaient indispensables à la survie.
Seuls ceux qui disposaient les réseaux neuronaux les mieux adaptés survivaient, et transmettaient ce trait à leur descendance.
C’est ainsi que les neurones du risque se mirent en place progressivement et durablement.
A des degrés divers, nous sommes tous leurs héritiers, et l’on peut affirmer que le risque est chez l’homme un besoin biologique.
Au sein des sociétés modernes, nous avons banni le risque de nos cadres de vie.
Cette sécurisation à outrance apparaît à tous les niveaux : assurance chômage, sécurité sociale, assurance auto, assurance habitation, assurance vie, vaccination, pasteurisation, comité d’hygiène et de sécurité du travail, législation sur le tabac, législation sur la vitesse au volant, avertissement contre le sucre, avertissement contre le gras, avertissement contre le sel, normes sur la pollution de l’air, normes sur la pollution de l’eau, etc …
Héritant d’un passé qui remonte à la surface, et dont nous ne pouvons nous extraire, certains individus disposent d’un thermostat à la température réglée très haut.
Il leur faut obligatoirement trouver des exutoires : la bourse est l’un d’entre eux … un des derniers … encore autorisé … la porte d’entrée se trouve à proximité, celle de sortie est encore plus proche, et le tour de manège coûtera cher aux impulsifs.
Sur les chemins sans risques, on ne voit que les faibles.
Car, ce que l’on risque révèle ce que l’on vaut, ce que l’on est. La bourse révèle la nature profonde de chaque homme.
Moi, au tréfonds de l’âme du trader, je cerne un grand homme, et aussi, je cerne la résurgence d’un comportement atavique qui nous vient du fond des âges … celui du chasseur qui se nourrit dans la peur pour satisfaire quelques amas de neurones à dopamine plongés dans le bain tiède du liquide céphalo-rachidien.
Christophe Gautheron