Discours sur l’impossibilité de mettre du cœur à trader sans user son coeur
L’être humain possède plus de 600 muscles, ce qui représente la moitié du poids du corps.
L’un d’entre eux, qui fait moins d’une quinzaine de centimètres, se comporte comme un véritable forçat.
Humble, il œuvre sans se faire prier, et se contracte environ 90000 fois par jour.
Il est le seul représentant de sa catégorie dite myogénique car, contrairement aux muscles ordinaires, il s’auto excite lui-même sans intervention de la conscience.
Vous venez certainement de comprendre que je parlais du cœur.
Et, amis boursicoteurs, j’ai l’honneur de vous annoncer qu’à l’âge de 80 ans vous serez tous milliardaires … en battements de cœur (2 à 3 milliards de battements cardiaque !).
Imaginez une seconde que vous soyez une musaraigne, vous seriez archi-milliardaires … le cœur de ces petits animaux bat 600 fois par minutes, soit 10 fois le rythme cardiaque des hommes.
Il existe un lien général entre la longévité moyenne d’une espèce, et sa fréquence cardiaque … en général, plus le cœur bat lentement, et plus on vit longtemps.
Ainsi, réincarnés en musaraigne, vous seriez riches comme crésus (toujours en battement de cœur … malheureusement), mais votre vie serait trop courte pour en profiter.
Il convient d’ajouter à cela qu’une vie de musaraigne, ce n’est pas très enrichissant intellectuellement parlant : pas de livres, pas de télévisions, pas d’ordinateurs, pas de musées, …
Le coeur est l’unique muscle que les traders et les investisseurs font travailler.
Une sollicitation à mauvais escient malheureusement, car Dieu sait, tout comme eux, et maintenant comme vous, combien ils malmènent chaque jour cette pompe miraculeuse.
William Shakespeare écrivait que « Cœur insouciant vit longtemps !» … les marchés financiers génèrent de nombreux sentiments, mais certainement pas de l’insouciance …
Dans les lignes qui viennent, nous tenterons de comprendre pourquoi l’activité sur les marchés financiers est nocive pour nos cœurs, amoindrissant ainsi notre qualité de vie, tout autant que notre espérance de vie.
Dès qu’il s’agit d’optimiser une activité complexe qui requiert de la résistance physique, des facultés cognitives, des capacités de coordination, des prises de décision rapides, et une motivation très élevée, certains organes, dont le cœur au premier rang sont sollicités pour adapter le corps aux challenges.
Il s’agit concrètement de gaver avec du sang certains organes, comme le cerveau par exemple, afin d’en maximiser l’irrigation en oxygène, donc d’en doper le fonctionnement.
Ce travail s’effectue selon deux modes : la fréquence et l’amplitude.
De cette manière le cœur doit, soit battre plus vite (la fréquence), soit battre plus fort (l’amplitude).
Ces deux cas, qui sont combinés en réalité, génèrent respectivement des anomalies d’arythmie cardiaque pour la fréquence, et des problèmes de tension pour l’amplitude.
La fin du film de Steven Spielberg E.T. vous fait pleurer comme une madeleine ? Il vous est impossible de contenir des bouffées d’angoisse face aux attentats en Irak ? Vous avez des suées lorsque vous saisissez le combiné téléphonique pour contacter votre patron ? Vous êtes empli de bonheur à la vue d’un reportage du National Geographic ?
Alors, vous êtes probablement ce qu’une équipe Allemande de chercheurs spécialistes en psychophysiologie, nomment un individu doué de sensibilité intéroceptive.
Pour la partie cardiaque, on retient cet état sous le vocable Français d’individu cardio-perceptif.
Les bons cardio-perceptifs sont capables d’évaluer, avec une grande fiabilité leur fréquence cardiaque, uniquement en essayant de ressentir les battements de leur cœur dans leur poitrine.
Il en va de même pour de nombreux autres organes, bien entendu, mais la sensibilité vis-à-vis du cœur reste la plus répandue.
Les sujets en question sont hypersensibles, et perçoivent en général, la moindre variation des paramètres internes de leur organisme.
Cela provient des ramifications du système nerveux qui sont extrêmement et anormalement développées, sur-agissant à la moindre stimulation.
Ces sortes de tentacules nerveuses sont des passerelles au sein desquelles transitent les informations entre nos organes et trois zones particulières du cerveau : des secteurs appelés insula, cortex somatomoteur, et cortex cingulaire.
Les bons cardio-perceptifs possèdent un cœur qui réagit avec vigueur aux sollicitations émotives.
Et, le moindre que l’on puisse affirmer est que la bourse est une bonne pourvoyeuse d’émotions.
Pour les cardios-perceptifs, la pratique boursière équivaut donc à une mort à petit feu … au chaos total.
Car, une perception amplifiée de nos battements de cœur génère l’angoisse de la maladie, et des agissements inappropriés.
A cet égard, tous les médecins savent bien que des cercles pernicieux peuvent s’installer.
La perception des battements du cœur fait naître de l’angoisse, qui, à son tour, augmente encore le rythme cardiaque, ce qui aboutit à un crescendo de l’angoisse qui accélère le cœur ... Une spirale inarrêtable se met en route : c’est la crise d’angoisse.
Chez les cardio-perceptifs, une petite perturbation initiale peut ainsi se transformer en une crise de panique, et s’accompagner d’agissements inconséquents, voire d’une perte de conscience.
Une petite perturbation initiale qui aboutit à un résultat dévastateur sans commune mesure avec l’amplitude de son déclencheur : c’est une définition très simple de la célèbre théorie … du chaos !
Un athlète s’échauffe et étire ses muscles avant l’effort : un trader doit en faire tout autant avec ses « muscles émotionnels », sinon, un jour ou l’autre, ce sera l’explosion en plein vol.
Si vous êtes cardio-perceptifs, point n’est besoin de savoir si cela vous arrivera … la seule incertitude, c’est le Quand !
Il est aujourd’hui largement admis que le psychisme possède une influence sur le somatique, c'est-à-dire qu’il existe, contre toute attente, un lien entre le corps et l’esprit.
C’est ce phénomène qui est à l’œuvre dans la cardio-perception.
Pour comprendre ce qu’il se passe, il faut s’intéresser au système nerveux sympathique.
C’est à lui qu’incombe la tâche de l’équilibre organique du corps. Il gère le fonctionnement de nos viscères : la rate, les poumons, le foie, les intestins, le cœur, etc…, et nous n’avons habituellement pas la conscience de ce qui s’y passe.
En dépit d’un caractère longtemps réputé autonome, ce système nerveux a démontré une sensibilité particulière au psychisme : les faits heureux semblent le doper, tandis que les histoires préoccupantes tendent à le pousser au dysfonctionnement.
Le système sympathique a deux types de fibres. Les unes sécrètent de l’acétylcholine, et les autres de l’adrénaline.
Ce sont deux neurotransmetteurs qui ont des effets totalement opposés sur les organes.
Ainsi, à chaque organe parvient des fibres de chacune des deux sortes. Lorsqu’une des fibres a un effet activateur, l’autre a forcément un effet inhibiteur.
Et, si une fibre est activatrice pour un organe, elle peut fort bien être inhibitrice pour un autre organe.
Ce n’est pas grave, l’important, c’est que les deux sortes de fibres aient toujours des effets opposés pour le même organe. Il n’y a pas qu’en informatique que la connectique soit vitale et compliquée …
Dans le cas d’émotions fortes, et répétées, un certain nombre d’organes peuvent être hyper activés par le système sympathique, l’estomac par exemple, ce qui entraîne à la longue des ulcères ; ou le cœur, ce qui provoquera au fil du temps de la tension.
Pour ne pas tomber malade dans le monde de la finance, il faut obligatoirement alterner les phases de travail, puis celles de détentes (le sport essentiellement), afin justement de forcer le système sympathique à inhiber son contrôle sur les organes trop sollicités.
Le système sympathique (pas si sympa que ça, à dire vrai !) inhibe ici, active là, et gère à sa guise tout le fonctionnement organique.
La grande inconnue est de savoir sur la base de quel corpus de règles il procède à cette gestion.
La question est simple ; la réponse est formidablement complexe. A ce jour, personne n’a formulé une réponse satisfaisante.
Car, phénomène hors du commun, des expérimentations animales montrent que même en l’absence de cerveau, le système sympathique continue de fonctionner et gère adéquatement l’équilibre organique.
La résultante de ceci est, qu’en principe, le système sympathique n’a pas utilité du cerveau, et encore moins de sa couche noble : le cortex, pour mener à bien sa mission !
Par conséquent, on peut se demander comment le psychisme chez les animaux influence le système sympathique, et par voie de conséquence, la régulation de la vie organique.
Par quels canaux le cerveau peut-il influencer le fonctionnement des organes ?
Les physiologistes pensent néanmoins que le dysfonctionnement est imputable au simple fait hasardeux que quelques canaux seraient communs à la fois au système nerveux central et au système sympathique.
Le système sympathique, et par la suite les organes, font en quelque sorte écho aux influx nerveux du système nerveux central, si ceux-ci sont importants et répétés.
Chaque individu ayant une carte d’identité nerveuse unique, il possède donc des seuils de tolérance, et des spécificités de fonctionnement organique qui lui sont propres, et ce, tout en ondulant autour de grandes constantes qui structurent la vie organique.
Ainsi, la peur ou l’anxiété des traders finit-elle, par des stimulations trop récurrentes, trop intensives, à générer des maux de têtes, des tensions dans le dos, ou les problèmes cardiaques avec une reproductibilité hasardeuse mais tangible d’un individu à un autre.
Gandhi nous montre la voie afin de tenter de résister à cette usure organique consécutive à de l’usure mentale.
Il affirmait : « La force réside dans l’absence de crainte, et non dans la quantité de muscles, et de chairs que nous avons dans notre corps ».
Comme d’habitude avec la bourse, il faut domestiquer le sentiment de peur ; c’est simple, évident, et pourtant si difficile à mettre en œuvre.
La peur est une moisissure naturelle qui s’implante sur les excroissances lépreuses et moites de nos actes incertains.
Vous savez donc comment nettoyer vos plaies : ne plus intervenir sur les marchés financiers, ou le faire avec l’obsession de limiter les dangers.
Le remède est simple, mais la nature humaine est ainsi produite qu’à tout problème simple émergera une solution complexe … qui ne fonctionnera pas.
Ce sont les vérités les plus simples que l’homme découvre toujours en dernier … le bon trader … comme à l’accoutumée, saisira la réalité toujours un peu avant tous ses congénères.
C’est en cela qu’il excelle. C’est pour cela qu’il survit : un cœur vaillant en quelque sorte !
Christophe Gautheron