Vous n'êtes pas membre (devenir membre) ou pas connecté (se connecter)

Bourse et jeu de hasard

Audience de l'article : 3010 lectures
Nombre de commentaires : 0 réactions

Si vous lisez ceci, ce n’est pas par hasard … si vous gagnez en bourse c’est certainement par hasard

Ce matin, j’ai fureté sur le site Internet du leader du courtage en ligne Français. Mon attention s’est rapidement portée sur le bandeau clignotant qui affichait en lettres fluorescentes bleues « Défi Français du trading 2008 : le classement ! ».

Par curiosité, j’ai cliqué l’accroche, et je me suis retrouvé devant le palmarès des 500 participants à ce concours.

Je suis resté pétrifié et dubitatif devant les performances des 10 premiers.

Le classement affichait des performances allant de 30% à 200% en 40  jours de compétition seulement, et cela, sans effet levier, tandis que sur la même période l’indice CAC rendait 20%.

Comment de tels résultats étaient-ils possibles ?

J’ai examiné attentivement les positions détenues par ces traders époustouflants.

Et là, je suis resté le souffle coupé : ils ne pariaient que sur des valeurs sans aucune liquidité (forte volatilité, et quasi impossibilité à trouver des contre parties pour la vente), ainsi que sur des nanards au bord du dépôt de bilan (risque de perdre sa mise).

Bref, la compétition était dominée par des stratégies très risquées qui semblent payer pour une minorité à court terme, mais qui révèlent un mode opératoire s’apparentant plus à un jeu de roulette Russe … jeu meurtrier auquel les chances de rester vivant à long terme sont dramatiquement proches de zéro.

On peut s’interroger sur les rouages psychiques qui poussent à prendre des risques inconsidérés sur les marchés financiers.

Les travaux de nombreux spécialistes du comportement peuvent nous soutenir dans cette tâche.

Les psychologues évoquent fréquemment le phénomène dit  d’optimisme irréaliste .

Ce biais d’optimisme est statistiquement largement répandu au sein de toutes les populations humaines, et cela sans distinction de sexe, d’âge, de regroupement sociologique, ou de niveau d’éducation.

L’optimisme irréaliste se manifeste sous la pression de trois facteurs concomitants qui génèrent une distorsion des probabilités favorables à l’individu engagé dans une action.

Le premier élément est la  désirabilité  d’un évènement. Plus un phénomène est attendu, et plus nous tendons à surestimer les chances qu’il advienne.

Ainsi, l’attente de gagner le premier prix du défi Français du trading  pousse les concurrents à prendre des risques par l’intermédiaire d’une certitude non raisonnable de gagner.

Le second élément est un comportement appelé  illusion de contrôle .

 Le simple fait de pouvoir choisir une société sur laquelle parier provoque l’illusion de contrôler les variations ultérieures de cours. Le choix d’une valeur exercé en toute liberté provoque chez les spéculateurs l’illusion d’avoir une part active dans le déroulement des opérations, et cela, quand bien même il serait connu dès le départ que l’issue de la position serait totalement déterminée par le hasard.

Enfin, le dernier point est lié à l’impossibilité pour l’être humain d’évaluer des probabilités, même basiques, dès lors que l’on est confronté à des cas peu courants dans la vie quotidienne.

Cet élément est donc la  rareté  d’un évènement. Plus un cas est rare, plus nous tendons à surestimer la probabilité qu’il ne se produise.

Cet effet joue pleinement chez le joueur de loto … pour le spéculateur cela se résume à la certitude de  la captation du mouvement parfait, celui qui se compose de l’amplitude maximum captée en un minimum de temps.  En mathématique, on nomme cette configuration une impulsion de Dirac … un maximum d’énergie sur un temps infiniment petit.

Tous les physiciens savent pertinemment que cela existe … mais tous prient pour ne pas être confrontés à cette onde destructrice car trop chargée de puissance.

En fait, les populations sont naturellement vulnérables vis-à-vis de l’optimisme irréaliste. Pourquoi donc sommes nous dotés de ce mécanisme qui se montre désavantageux tout en nous faisant croire l’inverse ? Répondre à cette question, c’est se concentrer sur les aspects motivationnels de l’optimisme irréaliste.

A l’heure actuelle, les chercheurs avancent l’idée que ce mode de comportement serait inconscient, et qu’il aurait un but secret : le maintien d’une bonne image de soi.

L’être humain éprouverait une grande jouissance à se comparer aux autres, surtout pour mettre en avant qu’il est plus favorisé que ces derniers par le sort.

Etre différent et meilleur … voilà le ressort secret de l’homme.

Il est évident que tout le monde ne peut être mieux loti que la moyenne. Donc, des mécanismes mentaux se sont mis en place au cours de l’évolution afin de continuer à pouvoir évoluer sans se décourager face à l’adversité. Que cela se fasse au prix d’une illusion irréaliste n’est pas important pour l’individu. L’essentiel est que ce système contribue à son équilibre mental.

Le génial philosophe Friedrich Nietzsche dont la vie ne fut remplie que de fulgurances sur la nature de la psychologie humaine, relevait déjà il y a plus d’un siècle, que « La vie a besoin d’illusions, c'est-à-dire de non vérités tenues pour des vérités ».

A l’époque, il avait déjà mis en exergue la tendance des êtres humains à se  bercer, consciemment ou non, d’illusions afin d’engendrer de la stabilité émotionnelle.

Tous les traders, tous les investisseurs, sans exception aucune,  disposent d’un lien particulier et spécifique à la notion d’illusion … une forme de signature comportementale qui empreint profondément les résultats boursiers. L’illusion irréaliste engendre la croyance en des jours plus heureux, ce qui encourage l’attitude de ne pas prendre ses pertes. Tout intervenant sur les marchés sait parfaitement qu’il faut couper à tout prix des positions défavorables au plus tôt. Le cas échéant, et je n’y connaît pas d’autre sort à long terme est la chute vertigineuse, voire la disparition totale du capital. En ce qui me concerne, mon rapport à l’illusion est comme mon amour propre … j’en ai bien peu. Et cela est une chance car, ce « bien peu », je le conjugue à la sauce de cette récurrence mathématique de Rémy de Gourmont « Si tout est illusion, nos illusions sont illusoires ».

La combinaison de ces deux propositions est un objet exotique qui est mon empreinte digitale, marque à laquelle je vous laisse réfléchir !

 

Christophe Gautheron

Poster un commentaire