Un piège original à connaître et à éviter pour performer en bourse : l’impression de « déjà vu »
La semaine est bientôt finie, nous sommes Vendredi. Plus que deux heures à tenir et la semaine de trading sera terminée.
En cette journée d’Automne, il fait froid, et le soleil projette dans le bureau d’étonnants rayons de soleil glacés qui éclairent mais ne chauffent pas.
Tout est calme, et j’ai l’impression de me repasser un doux petit film que j’aime sur l’écran de mes souvenirs.
Dans l’arène des marchés, le temps semble figé. Sur mes écrans de trading plus rien ne clignote.
Wall Street va bientôt ouvrir. Tous les opérateurs sont en apnée tant ils retiennent leur souffle.
Je n’ai pas très bien mangé ce midi, et une vague nausée m’étreint.
Je tapote des doigts sur le dos de ma souris. Je regarde en même temps par la fenêtre les arbres qui s’agitent au rythme magique du tempo de mes doigts.
Je suis soudain crucifié par une impression de déjà-ressenti.
« I feel good », la chanson mythique de feu James Brown qui me sert d’alerte vient de se déclencher.
Plusieurs James Brown hurlent à l’unisson leur joie en écho.
Mes courbent grimpent à pics et me tirent de ma somnolence.
Plusieurs seuils que je surveille viennent de sauter en même temps.
Une impression de déjà-vu me saisit. Un rapide coup d’œil à l’indice Cac 40 me montre que la hausse est globale, et qu’elle se comporte en impulsion de Dirac (Pour les non mathématiciens : comprendre un signal qui se développe à la verticale en un temps presque nul).
Je le savais. Les cours explosent. J’ai l’impression d’avoir vécu cela dans le passé.
Immédiatement, je bascule sur l’onglet « Alertes » de mon logiciel de trading afin de cibler les valeurs qui sont catapultées dans l’atmosphère.
Les multiples James Brown qui lancent leur sérénade de concert ralentissent ma machine. L’affichage devient lent. Cela fait plusieurs secondes que j’attends un rafraîchissement d’écran pour y voir quelque chose.
Je lâche ma souris, et je me gratte furieusement le crâne. L’impression de déjà vu s’amplifie encore.
Tout cela s’est déjà passé, et j’ai le sentiment de savoir ce qu’il va arriver.
Plusieurs secondes passent encore, je n’ai toujours pas le contrôle de ma machine alors que les opportunistes du marché font leurs emplettes à la vitesse de la lumière, et que les cours s’envolent.
Je débranche ma souris de son port USB, puis je la rebranche.
Avec frénésie, j’appuie alternativement la touche « Entrée » et la touche « Espace » de mon clavier. Rien ne se passe… je suis temporairement coupé du marché.
J’ai vraiment l’impression d’avoir vécu, il y a quelques temps, cette scène dans son intégralité.
Des images fixes et rapides de moi-même échouant à reprendre le contrôle de mes outils informatiques assaillent mes pensées.
C’est dingue, tout se passe comme si j’avais déjà vécu tout cela dans une autre vie, et que je sois entrain de tout rejouer à l’identique.
J’ai le sentiment intime de connaître le prochain évènement qui va se passer, même si je me heurte à l’entrevoir clairement.
Une chose est certaine, une fois les évènements passés, je sais que je les ai déjà vécu.
Mon onglet s’initialise enfin correctement, je vais pouvoir déterminer les cibles sur lesquelles je vais fondre immédiatement …
A l’instar de 70% des Français, je viens de subir une illusion des sens que l’on nomme un « déjà vu ».
La force du déjà vu est si saisissante qu’on l’on a l’impression de savoir à l’avance ce qui va être dit ou fait.
L’impression de déjà vu est une sensation très troublante. Elle est très connue des philosophes et des écrivains qui la décrive depuis plusieurs siècles.
Selon les lieux et les époques, le déjà vu se trouva affublé d’autres patronymes très suggestifs : paramnésie, sentiment de préexistence, état de rêve, sensation de déjà vécu, illusion d’avoir été là avant, sentiment de réminiscence …
Et, Cocorico … vive la France, faites donner la Marseillaise, le terme déjà vu , aujourd’hui utilisé tel quel par les chercheurs dans toutes les langues du monde, est le fruit des observations d’un médecin Français, Emile Boirac un précurseur, qui, en 1876 s’aventura sur les terres inconnues de ce sujet sulfureux à l’époque.
Cependant, l’étude réelle et sérieuse du phénomène ne date que de la fin du 20 ème siècle.
En effet, de part sa nature très subjective et extraordinairement puissante, l’expérience fut classée au sein des phénomènes paranormaux, au même titre que les expériences de sortie du corps, la télépathie, ou la psychokinèse …
Cette assimilation avec des phénomènes farfelus biaisa les premières études en leur donnant un contenu de roman fantastique, et joua le rôle de répulsif auprès des scientifiques les plus renommés.
Rapidement, les psychiatres, les psychologues, et les neurologues durent conclure que le déjà vu était une expérience trop commune pour pouvoir être considérée comme paranormale.
Nous devons la définition scientifique moderne la plus répandue de ce phénomène au neuropsychologue Américain Vernon Neppe : « une impression subjective et inappropriée de familiarisation de l’expérience en cours non associée à un souvenir précis ».
Le déjà vu est une expérience que l’on observe au sein de deux types de populations précises : chez les sujets sains, et chez les sujets atteints d’épilepsie du lobe temporal.
L’épilepsie du lobe temporal est une décharge excessive, prolongée et hyper synchrone (comprendre simultanée) des neurones de cette région.
Souvent, ce sont les régions les plus profondes du lobe temporal qui sont en cause.
Ces épilepsies sont la plupart du temps pharmaco résistantes , c'est-à-dire que les malades continuent de faire des crises malgré la prise de plusieurs médicaments de concert.
Pour la guérison, on propose une intervention chirurgicale qui vise à enlever les structures temporales défaillantes.
On connaît relativement bien ce type d’épilepsie, notamment du fait que le déjà vu est un symptôme qui se manifeste fréquemment en tout début de crise.
Les patients sont donc à même de décrire précisément ce qui les habite.
Dans les cas les plus impressionnants, les malades affirment carrément pouvoir prédire l’avenir de la civilisation …
Les causes du déjà vu chez l’individu lambda sont restées énigmatiques jusqu’à une période très récente.
C’est à un autre Français … Cocorico … vive la France, faites donner une seconde fois la Marseillaise, que l’on doit l’explication scientifique du déjà vu.
Pour un groupe de neurologues Marseillais de premier plan, le déjà vu est perçu comme un bref dysfonctionnement du cerveau.
Le hiatus provient d’une panne temporaire affectant un des maillons du cerveau investis dans la reconnaissance et la mémorisation de scènes visuelles nouvelles.
Au sein du cerveau, les informations visuelles suivent un parcours bien établi à partir du nerf optique jusqu’à la reconnaissance des formes ou des couleurs.
Un des maillons de cette chaîne se nomme la région rhinale qui se trouve dans le lobe temporal, tiens donc, comme pour les épileptiques !
La région rhinale se décompose en deux sous systèmes :le cortex entorhinal et le cortex périrhinal.
Normalement, face à une situation nouvelle, les informations sensorielles convergent vers le cortex périrhinal (lieu de convergence et de macro traitement des informations sensorielles : images, sons, odeurs) avant d’être transmises au cortex entorhinal (endroit ou l’on détecte ce qui est nouveau dans une scène) puis à l’hippocampe (où elles sont en partie mémorisées).
Si le cortex entorhinal cesse momentanément de fonctionner, le caractère nouveau de la situation ne peut pas être identifié et la scène semble donc familière. Nous aurons alors l’impression de l’avoir déjà vécue.
Certaines études affirment que 10% de la population fait état d’un phénomène de déjà vu fréquent et que l’adulte jeune y est plus souvent soumis.
Elles prouvent aussi que le déjà vu tend à devenir plus rare après la quarantaine.
Ces recherches semblent montrer que certaines conditions favorisent le déjà vu : notamment la fatigue et le stress.
D’autres travaux établissent une corrélation entre le déjà-vu et le niveau scolaire ou socio-économique des sujets.
Les personnes ayant suivi de longues études, et/ou ayant un niveau social élevé rapportent de manière significative plus d’expériences de déjà-vu .
Et oui, amis traders, vous venez probablement de comprendre que vous êtes une des cibles favorites du déjà vu .
Le déjà vu est un ennemi redoutable pour celui qui tente de mémoriser de nombreuses configurations chartristes.
Il arrive parfois de prendre, en intraday, une position en fonction d’un signal rare dont on est certain qu’il donne de fortes chances de succès … tout en constatant quelques heures plus tard, que ce signal rare était en fait un inconnu que l’on pensait relativement familier.
Cela n’est pas grave lorsque l’on sait couper à temps sa position.
Mais, cela devient une opération, au mieux « scratchée » (c'est-à-dire à bénéfice nul), au pire une grosse perte lorsque l’on est trop attaché à une configuration graphique.
Cet acte manqué deviendra alors un passif qui entamera votre moral tout autant que vos statistiques de pertes, et qui fera surtout fondre votre confiance de trader vis-à-vis de vos figures de prédilection.
A-t-on « déjà vu » quelqu'un embrasser l'instant qui passe ?
Oui, le sage … et le trader, mais ce dernier doit faire attention aux périls du déjà vu tandis que le premier se délectera de la poésie puissante du déjà vu .
Le bon trader est un sage, mais le vrai sage en cela est supérieur au trader !
Christophe Gautheron