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Bourse et confiance

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La confiance est-elle une menace ou une opportunité pour le trader ?

Dans quelle direction iront les marchés ? Qui vivra, verra !

En bourse, la notion de pole magnétique n’existe pas vraiment, ou plutôt si, mais par le biais d’une agaçante intermittence imprévisible.

Il est toujours difficile de projeter l’issue des débats : la hausse, la baisse, ou le status quo.

Cela fait deux chances sur trois de faire le mauvais choix.

Cependant, avec l’aide des outils fournis par l’analyse technique, le trader peut estimer rationnellement ses chances de succès, avant même l’ouverture des marchés.

Il s’ensuit, dès que la cloche sonne, que le trader scrute avec patience, l’apparition  d’un signal de confirmation des hypothèses délivrées par l’analyse technique en pré-séance.

Lorsque le top départ résonne, le trader explose alors de ses starting-blocks à la manière d’un athlète de haut niveau.

La force du trader est de mettre sans état d’âme la bonne taille, c'est-à-dire la bonne quantité d’argent, exactement au bon moment.

L’acte de prendre un risque sur les marchés financiers révèle une dimension psychologique essentielle au trader : la confiance en ses chances de succès.

Etymologiquement parlant, le mot confiance est construit sur la base du mot latin fides. 

Celui-ci se rattache à une vieille racine indo-Européenne, bheidh : avoir confiance.

Le mot confiance dérive donc du mot : foi (=fides).

Et, il est intéressant de noter que le mot, tant dans son acception originelle, que dans celle latine, n’a aucune connotation religieuse.

Il est issu du vocabulaire profane, et évoque simplement la confiance que l’on peut avoir en quelqu’un.

Pour la plupart des auteurs, la confiance est le fruit d’un effet de l’expérience : c’est la réussite répétée d’une action qui construit la confiance.

Ils s’accordent tous sur la nature incrémentale du processus de construction de la confiance :  elle est cumulative en forme de spirale … positive ou négative.

La confiance en soi est d’une certaine manière réaliste car

elle s’appuie sur l’expérience réelle accumulée.

Mais, elle demeure une forme de prédiction du résultat final, donc elle n’est jamais acquise définitivement.

Elle est temporaire car ancrée dans l’expérience.

Ainsi, s’abandonner à sa confiance, est une idée aussi géniale que conduire une automobile avec pour seule vision : celle du rétroviseur …

La confiance est par construction fragile  car elle est avant tout un sentiment.

Conséquence directe : c’est une position qui n’est pas basée sur la raison.

Héritier de ses expériences profitables, l’individu doté de confiance se détermine spontanément, en faisant l’économie d’une analyse fouillée et rationnelle.

En fait, plutôt que l’on s’y livre éperdument, la confiance mériterait au contraire, une bonne dose de méfiance.

Car, la confiance laisse l’être humain aux prises avec de nombreux  biais cognitifs et émotionnels hasardeux, donc dangereux.

Au cours des années 70, les Shadocks, dans leur lutte obsessionnelle contre les délicieux petits Gibis, relevaient que : « On n’est jamais aussi bien battu que par soi-même ».

En effet, chez l’homme, la rationalité voudrait que les choix se basent sur des raisonnements qui optimisent le calcul coût/bénéfice de leur choix.

En réalité, que nenni … la machinerie humaine est trop imparfaite pour cela. 

Pour forger un choix, l’homme se laisse aller avec une grande volupté à d’autres mécanismes qui ressemblent fort à des dysfonctionnements.

Par exemple : nous accordons trop de poids à l’information qui nous parvient en dernier.

Nous ne sommes pas sensibles à la taille de l’échantillon, et nous accordons la même valeur au résultat d’une théorie des grands nombres, qu’à un phénomène rare.

Ou, nous tendons à réagir bien plus à la faveur de la forme, qu’au fond …

Au sein du monde sportif, les effets positifs de la confiance sur la performance sont reconnus depuis longtemps.

Tous les coachs sportifs sont devenus des spécialistes de la question.

Peu de publications nous relatent ce qu’ils savent en la matière, et qu’ils enseignent aux champions.

Mais, des fuites récurrentes nous mettent en exergue les points les plus intéressants.

Pour eux, la confiance est la résultante de trois processus imbriqués.

Le premier se nomme le processus par accumulation . Il s’agit là, d’accumuler des expériences de réussites, jusqu’à ce que le sportif prenne lentement conscience de ses points de force, et qu’il sache qu’il peut compter sur ceux ci.

  Ensuite, il y a le processus par déclic. Il est question ici, de créer des événements pour lesquels l’intensité émotionnelle est telle qu’elle imprime immédiatement en profondeur le cerveau du sportif.

Pour finir, il y a le processus de la croyance positive fondamentale. On entend, à ce niveau, établir une configuration mentale qui fasse que le champion garde en permanence, quels que soient les résultats, une foi indestructible en son potentiel.

Faisons un petit détour par les marchés financiers, avant de poursuivre notre étude sur  la notion de confiance.

La théorie des marchés efficients soutient que les marchés fonctionnent de manière parfaite.

Les intervenants sur le marché sont tous intelligents, et ils cherchent à générer le maximum de profit.

Par conséquent, à tout instant, les prix réels sont l’objet d’un consensus qui reflète leur valeur intrinsèque.

Donc, pour simplifier, les mouvements de prix ne peuvent être prédits en aucune façon.

A partir de la valeur courante d’un titre, la cotation suivante possède 50% de chances de s’effectuer à la hausse, et 50% de chances de s’opérer à la baisse !

Ici aussi, l’expérience accumulée par nos amis oiseaux les Shadocks est riche d’enseignements : « Quand on ne sait pas où l’on va, il faut y aller … Et, le plus vite possible ! ».

L’origine de la thèse des marchés efficients se trouve dans des travaux datant de 1965, et que l’on doit à l’économiste Américain désormais célèbre : Eugène Fama.

Soulignons qu’il existe, depuis plus de 40 ans, une foultitude d’études sur le sujet… qui valident toutes, sans exception, cette hypothèse de la non prédictibilité des marchés.

Face à cette indétermination, le trader se lance tout de même.

Il a une propension à penser surestimer ses chances … à avoir un excès de confiance.

Jeff Cooper, le trader Américain, écrivait dans son ouvrage à succès, Hit and run, je cite : « Mes configurations donnent en moyenne 60% de trades gagnants, et 40% de trades perdants ».

Des études menées depuis 1983, par des équipes de chercheurs basés à Harvard et à Stanford, montrent  que les intervenants professionnels en situation d’incertitude, par exemple les traders, les assureurs ou les diplomates, évaluent à 65% leurs chances de gagner.

Ceci est bien supérieur à la moyenne constatée sur le long terme dans toutes les activités humaines : 50%, et bien au-delà de ce que nous enseigne la théorie des marchés efficients pour la finance : 50%.

Les professionnels du métier de l’incertitude sont donc les victimes de ce qui semble être un excès de confiance.

Pourquoi, et quels sont les rouages qui expliquent ce phénomène ?

Les travaux du psychologue Américain Oskamp nous apprennent que les professionnels de l’incertitude deviennent d’autant plus convaincus de leurs jugements qu’ils reçoivent de nouvelles informations.

C’est la raison qui  explique la foultitude d’informations que nous livrent AOF, Bloomberg, Reuters, Dow Jones, … et qui barbouillent les écrans d’ordinateurs des traders, jusqu’à atteindre une forme de pollution visuelle qui suggère, par instant, une vague nausée à tous les amateurs de zen et d’épure.

Le plus étonnant de ce que nous révèle Oskamp, c’est que la confiance de l’intervenant financier est totalement indépendante de la conformité des informations avec leur hypothèse initiale : même en cas de flot de nouvelles catastrophiques, il ne retiendra que les éléments qui confirmeront la stratégie initiale.

Le trader occulte donc inconsciemment, les éléments qui contredisent sa thèse.

D’ailleurs, au sein des salles de marchés, combien de fois n’entend-t-on pas « Tais-toi. Ne me parle pas de ça, tu vas m’apporter la mouise. Raconte moi des choses plus gaies …».

L’abondance d’informations sert uniquement à trouver de bonnes raisons pour confirmer un ancrage dans une position.

Et, on peut affirmer que chacun fera sienne une devise de Shadock du style : « Pas de qualité, que de la quantité ! ».

Le célèbre prix Nobel d’économie Daniel Kahneman, et son compagnon d’études Amos Tversky, devenus à eux deux, le pape bicéphale de la finance comportementale, nous livrent deux clefs pour expliquer ce phénomène.

La première est l’aversion à la dépossession, c’est-à-dire que le détenteur d’un titre tend à considérer, par une sorte d’attachement, que ce qu’il détient vaut plus que ce que le marché en propose, et que personne ne le dépossèdera injustement de ce bien.

C’est une attitude qualifiée d’irrationnelle.

Si, elle est largement partagée par les intervenants, cela génère une viscosité des cours dans laquelle les prix ne s’alignent pas naturellement sur la valeur réelle.

On se retrouve donc avec des cours d’actions dont la valorisation est incompréhensible du fait de l’écart entre valeur échangée et valeur intrinsèque.

La seconde clef est la conséquence d’un raccourci mental  que nous utilisons dans les situations d’incertitude pour faire des choix.

On parle de biais de confirmation. Ce point  rejoint l’idée de Oskamp évoquée plus tôt, tout en la complétant un tantinet.

Le biais de confirmation  est un mécanisme mental naturel qui fait que nous avons tendance à chercher des exemples confirmant une règle déjà posée, plutôt que d’éléments l’infirmant.

Et, il se trouve que ce petit bout de logiciel au sein de nos inconscients, en plus d’être anti-logique, est aussi buggé.

Car, ces quelques lignes de programme font que nous nous entêtons d’autant plus que la situation est incertaine … encore une devise de Shadock à notre actif … « A plus ça rate, et à plus il y a de chances que cela finisse par réussir » !

L’écrivain Italien Primo Levi remarquait pour sa part : « Il est possible que la confiance ne soit pas rationnelle. Mais, le désespoir est lui aussi irrationnel : il ne résout aucun problème, il en crée même de nouveaux, et il est par nature une souffrance ».

D’après lui, rappelons-le, il est un des seuls rescapés du camp de la mort d’Aushwitz, les seules attitudes de vie valable sont la confiance et l’optimisme.

La confiance est la voie d'une puissance intérieure tant qu’elle reste sous contrôle, tant qu’elle ne dégénère pas en un optimisme débridé.

En bourse, l’optimisme à outrance mène droit au fond du puits, avec les dégâts moraux et financiers que l’on sait.

Et, c’est Jacques Rouxel, le méconnu

papa des Shadocks, qui va clore ce chapitre, et qui nous rappelle une fois de plus l’essentiel au travers du  dérisoire « Avec un escalier prévu pour la montée, on réussit souvent à monter plus bas qu'on ne serait descendu avec un escalier prévu pour la descente ».

 

 

Christophe Gauthero

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