Le trader : un chasseur moderne héritier de talents archaïques
Quelles sont donc les qualités d’un bon trader ?
Par le biais de ce chapitre, je tenterai de donner à cette interrogation une réponse très personnelle, et je l’espère originale.
Au terme de nombreuses recherches, j’ai mis en exergue de multiples facteurs psychologiques, physiologiques et comportementaux qui affectent la performance du trader, mais je reste indéterminé sur la hiérarchie de ces points.
Quelle est le plus saillant ? Quel est le plus mineur ?
En fait, à défaut de saisir la nature exacte du comment, j’ai fini par être fixé sur la nature du quoi !
Le trader est semblable à un plat de spaghettis : son cheminement intellectuel est la résultante d’un ensemble de facteurs simples, intriqués de manière complexe, dont le général dispose de sens, mais pour lequel le particulier est tordu …
Trêve de plaisanterie, à cette même question, tous les chercheurs coincent à trouver une réponse simple et satisfaisante.
Le trader est comme la divinité Romaine Janus qui possédait une seule tête mais deux visages opposés.
Le trader est à la fois un opérateur : il passe à l’action, et un analyste : il cherche les bonnes valeurs.
Elaborer des hypothèses, les vérifier, donner de la cohérence à des informations disparates pour en déduire des principes génériques, ce sont quelques unes des grandes lignes du travail du trader.
A ce petit jeu, certains sont considérablement plus habiles que les autres.
Des études récentes de psychologie suggèrent que les aptitudes si particulières du trader sont héritées d’une autre, plus ancienne : celle des chasseurs du Paléolithique qui analysaient les traces du gibier, et en tiraient des règles efficaces pour la traque.
L’activité de trading, au regard de l’histoire l’évolution des gènes, est une activité trop récente pour avoir creusé un quelconque sillon au sein de nos encéphales.
Les qualités exceptionnelles du trader à succès reposent fatalement sur un autre processus cognitif plus ancien, en l’occurrence, celui de la chasse … un trait de personnalité inné que le tarder exploite inconsciemment à son avantage.
De nombreuses recherches suggèrent aujourd’hui que les fondements cognitifs de l’esprit du chasseur datent des débuts de l’évolution de l’homo sapiens … nous voilà projetés 100 000 ans dans le passé.
Les hommes de Neandertal, moins bien dotés à cet égard que nos ancêtres directs les hommes de Cro-Magnon, disparurent en ne nous laissant comme unique testament que quelques traces fossilisées de leur fugace passage.
Les anthropologues modernes nous enseignent que la chasse fit faire un bond considérable à l’homme dans son évolution.
En effet, la chasse en fournissant une alimentation carnée récurrente contribua à l’augmentation du volume cérébral.
Quelques traces autour d’un point d’eau, quelques feuilles retournées au pied d’un arbre, quelques végétaux spécifiques à un endroit, une configuration de terrain particulière, sont des indices indiquant par où un animal est passé, par où d’autres passeront.
L’homme primitif savait lire une grande diversité de signes. Il malaxait adroitement ces informations dans son esprit pour diriger sa chasse et la rendre fructueuse.
Nos ancêtres chasseurs acquieraient des données, et ils les compilaient. Ils élaboraient des hypothèses, puis les vérifiaient.
Ces chasseurs devaient spéculer sur les comportements et la psychologie de différents animaux. Ils devaient prendre en compte des phénomènes qui échappaient à leur vue, mais qui avaient des répercussions notables sur le résultat de la chasse … c’est le même genre d’opérations que pratiquent quotidiennement les traders … eux aussi pour se nourrir !
Les anthropologues travaillant en Afrique nous rapportent qu’à l’instar des Inuits qui possèdent plus d’une trentaine de mots pour désigner la couleur et la texture de la neige, les chasseurs Africains disposent d’une vingtaine de mots pour distinguer la personnalité de leurs proies, et adapter leur stratégie en conséquence.
Le monde de la finance et du trading dispose aussi de son jargon spécifique et très étendu !
Pour les chasseurs Africains, le déchiffrage des traces, l’estimation des comportements de fuites, la projection des modes de survie des proies est un exercice de haute volée.
Un adulte normal n’y excelle généralement pas avant l’âge de 40 ans, tandis que la durée moyenne de vie n’est guère supérieure …
Un jeune chasseur de moins de 20 ans possède déjà une grande expérience de la chasse, mais il ne ramène, en quantité, qu’un quart des proies débusquées par un chasseur expérimenté.
Et pourtant, le jeune est plus véloce, plus puissant que ses aînés.
La différence entre les deux générations réside en le temps que requiert l’établissement d’une banque de données de situations, puis en la faculté innée, ensuite travaillée, d’exploiter ces informations le moment venu.
Si l’on se base sur ces considérations, un bon trader serait un vieux trader … plutôt vrai … à condition qu’il ne soit pas encorné par un brusque revirement de marché avant ses vieux jours !
Le trader, tout comme le chasseur, configure ses actes sur la base des indices qu’il a noté, et qu’il traduit ensuite en la probabilité de survenue d’un évènement futur.
Cela permet d’anticiper les situations favorables. Le trader et le chasseur, l’un comme l’autre, sont confrontés au dilemme d’avancer sans jamais aucunes certitudes.
Un psychologue de l’Université de Fresno en Californie, a montré que l’aptitude à reconnaître des traces d’animaux est un don instinctif de l’être humain.
L’homme mémorise particulièrement bien tous les signes qui sont typographiquement assimilables à des empreintes d’animaux.
De plus, on notera la fascination que les enfants possèdent pour les jeux de devinettes mettant en scène des empreintes de pas d’animaux qu’il s’agit pour eux de reconnaître.
C’est d’ailleurs cette capacité de reconnaissance des traces que certains anthropologues tiennent pour être le ferment de la lecture et de l’écriture.
Les aires cérébrales mobilisées pour la lecture et l’écriture ont pour support les mêmes aires que celles mobilisées par le décryptage des empreintes d’animaux.
On situe cet endroit dans ce que l’on appelle le gyrus angulaire, une circonvolution du cerveau située dans le lobe pariétal … c'est-à-dire à l’arrière du crâne, approximativement dans la zone ou une tonsure apparaît parfois dans la chevelure.
Au sein des tribus aborigènes d’Australie, les enfants apprennent le décryptage des empreintes et les rudiments de la chasse à … l’âge ou les petits Français apprennent la lecture … on stimule des aires cérébrales identiques au même état de maturité !
Au sein des sociétés archaïques, tout le monde n’était pas un surdoué du pistage.
Quelques experts chasseurs suffisaient à assurer la subsistance de toute la communauté.
D’après les lois de l’évolution, les chasseurs les plus performants auraient dû avoir plus de chances de survie, et donc de descendance portant leurs gènes.
Bref, nous devrions tous être les enfants de chasseurs champions, et nous devrions tous être de grands traders.
Il n’en est rien. D’où vient ce paradoxe ?
En fait, la solidarité sociale n’a pas permis cela.
La structuration des groupes humains fit que ses membres se spécialisèrent très tôt chacun sur des sujets d’excellence, puis ils mirent en commun le résultat du travail de chaque expert.
Ainsi, un individu (notre chasseur) nourrissait le groupe, tandis qu’un autre l’habillait, qu’un autre l’abritait, qu’un autre le défendait, qu’un autre en cultivait la terre, et ainsi de suite pour l’ensemble des fonctions nécessaires à la survie du groupe.
Bref, le chasseur ne retirait pas l’avantage stratégique gagnant que l’on aurait pu attendre de son talent du fait de sa socialisation, et du partage inter groupements.
Cependant, il n’en est pas de même pour le trader à succès moderne.
Son argent, ses caractéristiques intellectuelles, son statut social sont des atouts évidents: il dispose des faveurs des femmes qui chercheront en lui la sécurité pour elles mêmes, et leur progéniture.
Le trader à succès moderne peut donc transmettre son patrimoine génétique avec plus de succès que la moyenne.
Le métier a de l’avenir, mais il y aura de plus en plus de compétiteurs sur les rangs.
Finalement, les gènes du chasseur archaïque finiront par triompher et s’imposer dans le monde moderne sous le déguisement inattendu du trader à succès.
Mais, une communauté de destin unira toujours le chasseur au trader.
Un vieux proverbe Malinké dit « Le chasseur rencontre le gibier là où ils n’ont pas pris rendez-vous ».
Le trader rencontrera toujours sa plus grosse perte là où il n’a pas pris rendez-vous avec !
Christophe Gautheron