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Guy Wagner

Guy Wagner

Je suis chief economist à la Banque de Luxembourg.

Dans mon blog, je commente les derniers développements sur les marchés financiers ainsi que mes évaluations sur leur future évolution.
Ces pages s’adressent aux investisseurs dans des fonds et actions avec un certain intérêt pour les marchés boursiers.


Mon parcours

Licencié en Sciences Economiques de l'Université Libre de Bruxelles, je rejoins la Banque de Luxembourg en 1986, où je fus successivement responsable des départements analyse financière et Asset Management. Depuis 2005, je suis administrateur-directeur de BLI - Banque de Luxembourg Investments.

L'heure des réformes

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Les jeux de Sotchi sont déjà bien loin. Désormais, c’est la Crimée qui se retrouve au centre de toutes les attentions. De fait, les perspectives concernant l’Ukraine et l’ensemble des pays d’Europe centrale et orientale doivent être revues. Depuis plusieurs mois déjà, d’autres pays émergents traversent une zone de turbulence qui tarde à s’estomper. Ci et là, les marchés sont à nouveau confrontés à des crises d’ordre exogène ou endogène. Surviennent des difficultés à boucler la balance des paiements. Des monnaies se déprécient et au Kazakhstan, on assiste même à une nouvelle dévaluation après celle de l’Argentine. La Banque populaire de Chine, quant à elle, a annoncé un élargissement de la marge de fluctuation quotidienne du yuan.

La question se pose quant à l’avenir de bon nombre de ces économies encore considérées comme prospères il y a peu. L’impact du retrait progressif des liquidités de la Réserve fédérale américaine déstabilise les comptes de plusieurs pays émergents en révélant leurs failles : croissance trop axée sur l’endettement du secteur privé et sur l’exportation de matières premières, ceci sans que les facteurs de croissance à long-terme n’aient été consolidés. Des mesures sont prises par quelques pays en vue de contrer la fuite des capitaux étrangers. De l’Inde au Brésil, les taux d’intérêt ont été relevés de manière agressive. Cela suffira-t-il à enrayer la crise des balances des paiements de ces pays ? La volatilité que nous avons connue au lendemain de l’annonce faite par Ben Bernanke, le 8 mai dernier, de réduire progressivement les mesures non conventionnelles d’assouplissement monétaire (QE3) a mis en exergue d’importants problèmes structurels. La dernière décennie de croissance affichée par les marchés émergents s’est accompagnée d’une désindustrialisation pour certains d’entre eux dont le Brésil, l’Inde ou la Colombie. Pour le premier en particulier, la baisse du poids relatif de l’industrie manufacturière dans la valeur ajoutée totale a été entretenue par le boom des exportations de matières premières. On peut parler d’une nouvelle forme de maladie hollandaise. Seules des réformes structurelles permettront de renouer avec une croissance pérenne.

Investissements en % du PIB (1960-2013)



Source : Capital Economics

A ce titre, la Chine a entrepris d’entamer une nouvelle génération de réformes lors du troisième plénum du Parti communiste. Ce dernier confirme que l’économie est au cœur du projet de réformes et que l’objectif doit être celui du développement continu d’un système de marché ouvert, concurrentiel et ordonné. Cette volonté d’embrasser de nouvelles réformes n’est pas partagée par tous les pays. Dans les lignes qui suivent nous passons en revue quelques cas.

Turquie : Crise politique sur fonds de vulnérabilité externe 

La mainmise de son premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, sur l’appareil de l’Etat est indiscutable. La politique monétaire en a pâti et il n’y a que dans la période de volatilité récente que la banque centrale a été contrainte d’opérer un relèvement substantiel de l’ensemble de ses taux dont celui au jour le jour qui est passé de 7,75% à 12%. La décision fut prise contre l’avis du Premier Ministre Erdogan. Nous entrons dans une année électorale durant laquelle se succèderont les élections municipales puis présidentielles. La volonté d’Erdogan de conserver le pouvoir ne fait aucun doute même si cela implique un aménagement de la constitution en vue de conférer plus de pouvoir à la fonction présidentielle qu’il entend occuper. Quel que soit le scénario qui l’emportera, nous passerons certainement par une phase trouble sur le plan politique avec un impact sur la monnaie, les comptes publics et l’économie. De l’avis même du FMI, la Turquie peut être considérée comme un pays prometteur bénéficiant d’une position géographique exceptionnelle, d’une démographie favorable et d’un secteur privé dynamique. Successivement en 2012 et 2013, sa dette a été élevée au rang d’Investment Grade par les agences Fitch et Moody’s. Elle est citée par plusieurs économistes comme faisant partie d’un nouveau groupe de pays dont le dynamisme devrait succéder à celui des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et regroupés sous l’acronyme MINT (Mexique, Indonésie, Nigéria et Turquie). Malheureusement, outre l’épisode d’instabilité politique que nous traversons, la Turquie affiche un déficit extérieur conséquent.

En plus d’une normalisation de sa politique monétaire permettant une stabilisation à court-terme, des réformes macroéconomiques visant à renforcer l’épargne permettraient de réduire cette vulnérabilité à plus long-terme. Le taux d’épargne turc ramené au PIB est passé de près de 24% en 1998 à moins de 15% aujourd’hui. C’est le plus bas niveau observé dans la catégorie dont font partie le Brésil, l’Inde ou encore la Pologne.

Prévisions pour 2014



Source : Standard & Poor's

Mexique : des réformes structurelles actées 

Les réformes longtemps attendues ont finalement été adoptées et elles ont concerné plusieurs secteurs (de l’éducation à l’énergie en passant par les télécommunications et le secteur bancaire). Il se dégage un large consensus sur une amélioration de la croissance avec un impact positif sur le MXN. Malgré tout, le peso mexicain a longtemps sous-performé les autres devises parce qu’il constitue un outil de couverture idéal dans certains cas comme la remontée des taux 10 ans US.

Le Mexique fait aussi partie de ce nouveau groupe de pays dynamiques appelés plus haut les MINTs. A ce jour il est le seul à avoir poussé les réformes aussi loin.

Brésil : boom des matières premières, endettement et primarisation

Après une décennie de forte croissance, le constat actuel sur l’économie brésilienne n’est pas des plus encourageants même si nous continuons à avoir affaire à un pays affichant une densité industrielle relativement supérieure au reste de la région. Le pays a bénéficié de l’émergence de la Chine, de sa demande pour les matières premières mais aussi de l’amalgame fait sur l’ensemble des pays BRICs. Malheureusement, il a retardé la mise en place des réformes structurelles nécessaires à l’installation d’une croissance basée sur une politique industrielle appropriée pour son économie. En privilégiant l’exportation de produits primaires d’origine agricole et minière, la structure de ses exportations (minerais de fer, soja, café,…) a évolué à l’opposé de celle de la Chine où 90% des produits exportés sont d’origine industrielle. En 2002, au lendemain de l’avènement de Lula da Silva comme président jusqu’au milieu de l’année 2011, le Brésil a vu sa monnaie s’apprécier en même temps que se matérialisait le boom du prix des matières premières (cfr. graphique infra). Ceci, couplé à des taux d’intérêt élevés consolida la primarisation de l’économie brésilienne.

Evolution du prix du café et du BRL de février 2000 à décembre 2013 (base 100)



Source : BLI, Bloomberg

Par ailleurs, alors que la production stagne, la consommation augmente du fait de l’appréciation des salaires minimum et de la hausse des prêts accordés par les banques. Ceci pèse sur la balance courante. La fin du boom des matières premières et le tapering entamé par la Réserve fédérale conduisent à un tarissement des liquidités. Le gouvernement remonte ses taux d’intérêt et impose une réduction des volumes de crédits. L’impact sur la croissance est immédiat.

Crédits en cours (en milliards BRL)



Source : Capital Economics

Le 24 mars dernier, Standard&Poor’s abaissait la note du Brésil de BBB à BBB- conformément aux attentes du marché. 

Ukraine & Russie : matières premières sur toile de carence institutionnelle

Le conflit en Ukraine est symptomatique des problèmes liés à l’absence d’institutions solides. La crise qui s’y joue a nui aux économies des deux principaux protagonistes : l’Ukraine et la Russie. Le départ de Yanukovich posait un problème sur le plan de la politique russe car il signifiait, aux yeux des russes, une sortie de l’Ukraine de leur sphère d’influence en faveur de l’Union européenne. Justement, ce rapprochement à l’Union européenne et les perspectives d’adhésion qui en découlent, c’est ce qui permit aux pays d’Europe centrale et orientale de mettre en place les réformes économiques et institutionnelles nécessaires assurant leur solidité relative aujourd’hui. Les banques ukrainiennes avaient souffert une première fois en 2008 (hausse des créances douteuses à 40% du total des encours de crédits). En février les dépôts bancaires chutaient de 7%. Le déficit du compte courant est de 9% du PIB et la hauteur des besoins de financement externes sur les douze prochains mois est de 20 milliards de dollars. La Russie, pour sa part, est la seconde victime immédiate de ce qui n’est encore qu’une crise politique au niveau régionale mais qui s’est déjà muée en crise financière sur le « terrain » russe. En effet, le 3 mars dernier, son principal indice boursier, le MICEX perdait plus de 10% et sa devise, le rouble, atteignait un plus-bas historique en s’échangeant à 36,9 roubles pour un dollar. La pression fut telle que la Banque centrale russe dû intervenir pour stabiliser sa monnaie en augmentant son principal taux directeur de 150 points de base à 7%. En réalité, l’épisode ukrainien ne vient qu’aggraver les difficultés d’ordre structurel que la Russie traverse. Elles se traduisent par une croissance faible, une dégradation progressive de ses comptes externes et impliquent un besoin d’entretenir l’afflux de capitaux  plutôt que le contraire. En regard de cette fragilité caractérisant les économies russe et ukrainienne, les pays d’Europe centrale et orientale s’avèrent plus stables car économiquement plus intégrés à l’Europe occidentale qu’à la Russie. Leur niveau d’exportation vers la Russie et l’Ukraine ne représentent que 4% de leur PIB contre plus de 50% pour ce qui est des exportations vers l’Europe occidentale. Au niveau financier, le risque pour ces pays proviendrait plutôt de tensions au sein de la zone euro que d’un effondrement du secteur bancaire ukrainien. Certes, le risque pour la région demeure au niveau de l’approvisionnement en gaz.

Reformes : où et quand ? 

Pour bon nombre de pays et pour ceux d’Amérique latine en particulier, nous concluons que les enjeux sont d’abord d’ordre politique. Politique, parce que les réformes nécessaires à la transformation de l’économie ne peuvent être mises en place qu’à ce niveau. La vague des réformes des années 90 qui a permis à l’Amérique latine de venir à bout de l’hyperinflation est derrière nous. Ailleurs, la première génération de réformes, entamée dans les années 80 en Chine avec la libéralisation du marché sous Deng Xiaoping et la chute du communisme en Europe de l’Est, ne suffit plus. Les pays émergents, en fonction de l’essor de leur classe moyenne, doivent mettre en œuvre une nouvelle vague de réformes. Plusieurs études montrent que la Chine est à nouveau bien positionnée. Cet effort chinois est continu, il a connu plusieurs étapes dont une majeure lors de son entrée dans l’OMC en 2001. Aujourd’hui, il s’est matérialisé lors de la tenue du troisième plenum du Parti communiste et devrait assurer la pérennité de la croissance chinoise. Le projet est ambitieux, cependant.

Pour les pays dont il est question plus haut, qu’ils fassent ou non partie des « Fragiles », les défis à relever sont connus. Quelques-uns et non des moindres sont confrontés à des échéances électorales qui contraignent leurs marges de manœuvre. C’est le cas pour l’Inde, l’Indonésie, la Turquie ou encore le Brésil. Pour le moment, l’inertie y est importante. Il faudra attendre la période post-électorale pour juger des motivations réelles des gouvernants et de leur efficacité. Entre temps, certains pays méritent qu’on s’y attarde. Capital Economics identifie un groupe de 4 pays prometteurs qu’il oppose aux MINTs, les Reforming 4 composé du Nigéria, des Philippines, du Mexique et de la Pologne. Deux d’entre eux, les Philippines et le Nigéria, présentent un faible PIB par habitant et doivent encore embrasser une première génération de réformes. Considérés individuellement, ils présentent chacun une taille modeste mais pris ensemble, ils offrent plus de pertinence. 

Population en millions (2012)



Source : Banque mondiale

PIB/habitant en USD



Source : Banque mondiale

Les dernières données économiques attestent que la région où la reprise est la plus prometteuse est l’Europe centrale et orientale, indépendamment de la crise ukrainienne. Le rapprochement à l’Union européenne a permis à ces pays de s’engager sur la voie de réformes institutionnelles et économiques leur permettant aujourd’hui d’être mieux protégés contre le ralentissement de l’économie mondiale et toute autre forme de perturbation exogène. Ailleurs, ce sont des pays qui ont su développer un secteur industriel ouvert (comme les Philippines) et éviter une primarisation de leur économie qui enregistrent une reprise plus forte de leurs exportations. Ils bénéficieront du regain d’activité aux Etats-Unis et en Europe. Au contraire, les pays exportateurs de matières premières subissent le contrecoup du ralentissement de la demande.

Volume des exportations vs. prix des matières premières



Source : Capital Economics

Activité économique mondiale et exportations des Pays émergents



Source : Capital Economics

Jean-Philippe DongeHead of Fixed Income
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