On peut légitimement soupçonner les banques centrales de former un cartel sous la direction de la Fed et du Trésor américain. Le but de ce cartel serait de vendre régulièrement de l’or pour contenir la hausse de son prix, et préserver la confiance dans les différentes monnaies-papier. Tout le monde est désormais embarqué sur le même bateau, et le gouvernement américain dispose de beaucoup de moyens pour convaincre, politiquement et économiquement, les autres pays à se défaire de leur or. Ferdinand Lips, dans son livre « Gold Wars », explique comment les Etats-Unis sont parvenus à mettre la Suisse à genoux à la fin des années 90 au sujet de l’affaire des fonds juifs en déshérence. Le véritable objectif de ces attaques, selon Ferdinand Lips, était de faire pression sur la Suisse pour qu’elle participe au cartel et pour qu’elle vende 1’300t d’or sur ses 2’590t en réserve. Décision qui fut approuvée en avril 1999 et qui envoya le prix de l’or toucher un plancher de 20 ans, à $252, le 20 juillet 1999. Pratiquement durant la même période, la banque centrale d’Angleterre vendait 415t d’or sur ses 715t en réserve. Toutes ces actions semblaient concertées pour éviter absolument que le prix de l’or ne remonte à ce moment-là. Y avait-il des banques d’affaires très mal prises avec des énormes positions de ventes à découvert sur l’or ? Le spectre de la quasi faillite du fonds de couverture Long Term Capital Management rôdait-il dans les parages ? Rappelons que ce fonds avait été sauvé de la faillite en 1998 par la Fed, afin d’éviter un risque d’éclatement du système financier international…
GATA (Gold Anti Trust Action), un comité contre le cartel de l’or, affirme haut et fort qu’il existe une conspiration pour maintenir le prix de l’or le plus bas possible entre la Fed, le département du Trésor US, la plupart des banques centrales d’Europe dont la Banque Centrale Européenne, la banque centrale d’Angleterre et leurs complices les banques d’affaires, tels Goldman Sachs ou J.P. Morgan Chase.
GATA affirme que les banques centrales possèderaient beaucoup moins d’or dans leurs coffres que ce qu’elles veulent bien annoncer. En effet, aucune vérification de l’inventaire du coffre de Fort Knox aux Etats-Unis n’a été effectuée en bonne et due forme depuis 1954, et les banques centrales ne communiquent pas le volume exact de leurs réserves en or. Dans leur bilan, figure une ligne pour « or » et une autre pour « engagement en or ». Il n’est donc pas possible de savoir combien d’or il leur reste physiquement et combien elles en ont prêté. GATA parle de 15’000t écoulées non officiellement sur le marché par des opérations de « gold carry trade » réalisées par les banques d’affaires pour déprimer le prix de l’or ; ce qui est évidemment nié par la Fed et le Trésor américain. Un rapport tout aussi sérieux de Chevreux sur l’or, paru en janvier 2006 parle, quant à lui, de 10’000t d’or prêtées aux banques d’affaires et écoulées en toute discrétion. Les banques d’affaires feraient office d’écran pour masquer les agissements des banques centrales.
Comment fonctionne le « gold carry trade » ?
Comme dans le cas des couvertures pour les producteurs d’or, mais à la différence essentielle que ce n’est plus le producteur qui livre l’or à la banque d’affaires pour le restituer ; cette fois, la banque doit le racheter sur le marché. Petite explication : une banque centrale prête une certaine quantité d’or à une banque d’affaires avec un très faible taux d’intérêt, autour de 1% par année. La banque vend immédiatement cet or sur le marché et investit le capital dégagé dans des obligations à plus haut rendement, typiquement des obligations du gouvernement américain à 5%. Durant les années 90, ces ventes d’or sous le couvert des banques d’affaires contribuaient à déprimer le cours de l’or, si bien que la banque d’affaires était gagnante sur deux tableaux : lorsque le délai de la location arrivait à échéance, elle pouvait racheter l’or qu’elle avait vendu sur le marché à un prix inférieur et en tirait un bénéfice supplémentaire. Tout le monde était content, le département du Trésor américain parce que le marché obligataire grimpait et lui permettait de trouver facilement preneurs pour acheter la dette du gouvernement américain, et les banques d’affaires avec leurs profits faciles. Le problème est qu’aujourd’hui, selon GATA, il manquerait beaucoup de lingots dans les coffres de Fort Knox et que les banques d’affaires seraient bien mal prises pour les racheter sur un marché de l’or en forte progression. Les pertes seraient potentiellement énormes et augmenteraient dramatiquement avec la hausse du prix de l’or.
Pourquoi y aurait-il une conspiration contre l’or ?
· Pour contenir une hausse du prix de l’or qui annoncerait un danger sur le niveau de l’inflation ;
· Pour conserver l’image d’un dollar fort (l’or possède le même rôle pour les marchés financiers que le canari dans la mine de charbon) ;
· Pour garder les taux d’intérêts le plus bas possible ;
· Pour empêcher que les banques d’affaires, qui ont emprunté de l’or aux banques centrales, ne souffrent d’énormes pertes en cas de hausse du prix et ne puissent le restituer ;
· Pour booster le marché obligataire du gouvernement ;
· Pour calmer les marchés financiers lors de plusieurs crises financières durant les années 90 (Japon, crise des monnaies asiatiques, crise russe, quasi faillite de Long Term Capital Management).
La mise à jour de cette conspiration ne serait possible que par des inventaires en bonne et due forme dans les coffres des banques centrales, ou par un changement de législation obligeant les banques centrales à déclarer la quantité d’or qu’elles ont prêté. Mais, même si la conspiration n’est pas mise à jour, les coffres des banques centrales arrivent à des niveaux dangereux pour procéder à des prêts supplémentaires. Après 20 ans passés à ce petit jeu, la manipulation du marché de l’or avec le « gold carry trade » arrive à son terme. Si les banques centrales ont effectivement prêté entre 10’000t et 15’000t d’or, alors on peut imaginer que celui-ci se promène quelque part en Inde, au poignet d’une jeune femme, ou quelque part à Dubaï dans une bijouterie de luxe. En tout cas, il n’existerait, à Fort Knox, plus que sous forme scripturale. Si les gens l’apprenaient, cela ferait l’effet d’un séisme sur le marché de l’or !
Pour ma part, je pense que le prix de l’or est résolument engagé dans un puissant marché haussier et qu’il continuera sa hausse quelles que soient les gesticulations des banques centrales. Toute tentative pour déprimer le prix de l’or ne peut que conduire à un marché haussier encore plus grand et plus puissant, et la thèse de GATA ne constitue en ce sens qu’un facteur supplémentaire de hausse pour le prix de l’or. Lorsque ce marché haussier touchera à sa fin, d’ici une dizaine d’années, je ne serais pas surpris de constater que les banques centrales dans leur ensemble finissent par redevenir acheteuses.
Léonard Sartoni