Durant les années 90, les producteurs d’or ont eu souvent recours à des « bullion banks » (banques d’affaires qui font du négoce sur le marché de l’or, en achetant, vendant, empruntant et prêtant de l’or) pour leur permettre de vendre à l’avance une certaine quantité d’or à un prix déterminé.
Prenons un exemple pour mieux comprendre. Un producteur vend à l’avance 10 tonnes d’or par année durant 5 ans à un prix de $600/once, en pensant que le prix va baisser les 5 années suivantes. Si le prix chute à $500/once les 5 années suivantes, il peut quand même le vendre à $600/once à la banque d’affaires. Et le plus surprenant, c’est que la banque ne perd rien du tout dans la transaction ! Dans cet exemple, la banque doit emprunter 50 tonnes d’or à une banque centrale à faible taux d’intérêt et les vendre l’année même de l’accord avec le producteur au prix du marché, donc à $600/once. La banque garde l’entier de la somme pour l’investir dans des placements sûrs, mais rapportant des intérêts plus élevés. Avec une partie des intérêts, elle paie les intérêts de la location de l’or à la banque centrale et elle prélève ce qu’il faut de la somme pour payer le producteur. Celui-ci lui livre régulièrement l’or, à raison de 10 tonnes par année, pour remplacer les lingots de la banque centrale qui ont été vendus. On appelle couverture ce genre de transaction, et les couvertures des producteurs étaient en constante augmentation durant les années 90. Ces quantités d’or empruntées à des banques centrales étaient donc vendues l’année en cours dans le marché, et s’ajoutaient à la production d’or mondiale. L’offre d’or était ainsi en augmentation, et le prix ne pouvait que chuter. Un cercle vicieux s’installait puisqu’un prix en baisse encourageait d’autres producteurs à vendre à un prix fixe leur production future. Avec la hausse du prix de l’or depuis 2001, les producteurs qui avaient encore des couvertures sur leur production future ont perdu des grosses sommes d’argent puisqu’ils devaient livrer une partie de leur production à un prix inférieur au prix du marché. Ceci a incité les sociétés minières à ne plus prendre de couvertures et à vendre leur production au comptant. La réduction des couvertures a un impact positif sur le prix de l’or puisqu’elle signifie :
1) que les banques d’affaires n’empruntent plus l’or des banques centrales à des fins de couverture pour le déverser sur le marché ;
2) et que les producteurs qui avaient des couvertures livrent toujours une partie de leur production aux banques d’affaires pour remplacer l’or qu’elles avaient emprunté, et donc que cet or est soustrait de l’offre d’or mondiale.
Barrick Gold, une grande société minière qui avait contracté à l’époque d’énormes couvertures sur sa production, a déjà perdu plus de $3 milliards rien qu’en rachetant une partie de ses couvertures. Mais il lui restait, au 31 mai 2007, des couvertures sur 294t d’or, plus qu’une année entière de production pour elle. Comme ces 294t d’or ne pourront être vendues qu’au prix qu’elle avait fixé à l’époque, cela représente une perte supplémentaire de $3,5 milliards qui n’est pas encore réalisée. Et le pire, c’est qu’à mesure que le prix de l’or grimpe, cette perte s’accroît ! Dans le cas de Barrick Gold, la perte s’accroît de $1 milliard par $100 de hausse sur le prix de l’or. On comprend mieux à présent, pourquoi la tendance actuelle chez les producteurs est à la liquidation des couvertures et à la vente de leur production au prix du marché. A la fin 2007, il restait des couvertures sur moins de 1000t d’or chez les producteurs d’or, contre un nombre record établi à près de 4000t en 1999.
Léonard Sartoni