Le ratio préféré des analystes du marché de l’or est sans doute le ratio Dow/OR qui donne le résultat de la division entre l’indice principal des actions américaines Dow Jones, et le prix d’une once d’or. Ce ratio permet de mesurer la performance du Dow Jones en termes d’or, et de visualiser le « bras de fer » centenaire qui existe entre les actions et l’or. Ce ratio est un excellent indicateur en ceci qu’il permet et de mettre à jour les périodes de boom économique avec pleine confiance dans les actifs financiers (hausse du ratio), et les périodes de crises avec fuite vers les valeurs refuges (baisse du ratio). Historiquement, ce ratio établit des creux compris entre 2 et 1 à la fin du cycle de hausse pour l’or. Les creux du ratio Dow/or correspondent plus ou moins aux creux des valorisations boursières. Le cycle de l’or évolue donc en opposition avec le cycle des valorisations pour les actions, et nous pouvons visualiser ces tendances de très long terme dans le graphique suivant.
La confiance dans les actifs financiers se construit sur de très longues durées, un peu comme la confiance de quelqu’un qui apprendrait à conduire. Une fois que la confiance s’est installée, l’inertie de la tendance est difficile à renverser. L’étude de ces cycles nous amène à penser que cette confiance aboutit tôt ou tard (entre 8 et 20 ans) à une forme d’exubérance, et occasionnellement, à un grave krach boursier. Notre automobiliste prendrait systématiquement de plus en plus de risques, en roulant de plus en plus vite, et en minimisant toujours plus les dangers. Sur les marchés financiers, ce comportement équivaut à être d’accord de payer de plus en plus cher pour détenir des actions (valorisations en hausse). Après avoir été grièvement blessé (comme après le krach de 1929), il passera à une conduite excessivement prudente et méfiante (après 1929, les valorisations des actions ont suivi une tendance baissière qui n’a pris fin qu’en 1949). Il est important de noter qu’un cycle ne se renverse pas avant que sa tendance n’aboutisse à une confiance extrême (sommet de cycle) ou à une méfiance extrême (creux de cycle). Les marchés financiers ne sont finalement pas très différents de ce que vous pouvez observer dans la vie de tous les jours…
Le prix de l’or étant fixé au dollar jusqu’en 1971, on peut dire qu’il n’était pas toujours à sa juste valeur vis-à-vis du dollar. En fait, l’or était de plus en plus sous-évalué à mesure que l’on se rapprochait de 1971. Cette sous-évaluation de l’or durant cette époque peut se voir sur le graphique du ratio or/M3.
Relativement à la quantité de monnaie en circulation M3 des Etats-Unis, le prix de l’or devenait de plus en plus sous-évalué jusqu’en 1971. Il s’est produit un rattrapage massif de l’or vis-à-vis de la masse monétaire, durant son marché haussier fulgurant des années 70. Ensuite, l’or a connu un cycle de baisse de 21 ans. Il est passé de $850 en 1980, à $256 en 2001. En valeur corrigée de l’inflation, la perte avoisinait les -87%. Et en valeur corrigée de l’inflation selon le SGS de John Williams, la perte se montait même à 92%. Se trouver dans le marché de l’or pendant le mauvais cycle ne pardonne pas ! Pourquoi donc l’or a-t-il été pareillement malmené pendant ces 21 ans ?
A mesure que l’euphorie boursière des années 90 progressait, le besoin de posséder de l’or diminuait au point de le reléguer à une simple matière première pour bijoutiers indiens. La Fed avait remporté une première victoire contre l’or. Le « bras de fer » Dow/or donnait le Dow gagnant avec un score jamais atteint, dépassant les 43 en 1999. Tandis que la confiance dans les actifs financiers et le dollar atteignait des sommets, les banques centrales d’Angleterre et de Suisse portaient un coup fatal à l’or en liquidant une grande partie de leurs stocks d’or entre 1999 et 2002. Un retournement s’est produit en 2001, mais, sur le graphique de la page précédente, nous voyons que l’or reste extrêmement sous-évalué en regard de la masse monétaire M3. La hausse de l’or de $256 à $730 de 2001 à 2006 est à peine perceptible. Il reste un très long chemin à faire pour que l’or retrouve tout le pouvoir d’achat qu’il a perdu pendant 21 ans.
Le creux sur l’or à $252 en 1999 est appelé ironiquement le « creux de Brown », en allusion à Gordon Brown qui était ministre britannique des finances à cette époque. Ces décisions de ventes d’or massives en 1999 nous suggèrent trois explications possibles :
· Ou bien les banquiers centraux sont les pires traders de l’histoire ;
· ou bien les ventes d’or se faisaient dans un but de manipulation du prix de l’or,
· ou bien les ventes d’or participaient à affaiblir une monnaie jugée trop forte sur le plan international en lui ôtant son soutien métallique.
Une chose est certaine, les banques centrales auront fait perdre des milliards à leurs pays dans l’opération. A $800, les 1'300 tonnes d’or vendues par la Suisse à un prix moyen de $400 représentent une opération attachée à une perte de $16,7 milliards. Si le prix de l’or devait dépasser les $2000 dans les années à venir, la perte atteindrait $66,9 milliards ! La Suisse aura-t-elle gagné davantage en compétitivité sur le plan international avec l’affaiblissement de son franc ? Peut-être, mais le franc suisse ne sera plus jamais aussi fort qu’avant en cas de crise monétaire, et ce sera, en fin de compte, le peuple qui en fera les frais.
Les ventes d’or par les banques centrales européennes se poursuivent, année après année, et les citoyens maintenus dans l’ignorance n’y trouvent rien à redire. On brûle devant eux le toit de leur maison pour se chauffer, et les seules préoccupations du moment sont de savoir ce qu’on va faire avec ce bois : le brûler pour chauffer l’eau du thé ou pour chauffer la bouillotte de grand-maman ? Si les banques centrales continuent de vendre leur or à ce rythme, certains pays vont se retrouver en situation de faillite : totalement insolvables et sans réserves de valeur pour soutenir leur devise.
Léonard SARTONI