Dieter :
Bonjour Guy, As-tu lu l’article sur le sommet européen ? Depuis des années, les journaux nous parlent de la crise de l’euro quasiment tous les jours, il y a sans cesse des rencontres au sommet sur la crise financière, sur la Grèce, le Portugal, l’Espagne ou l’Italie, des gouvernements discrédités par les électeurs ou contraints de démissionner, des plans de rigueur par-ci, des hausses d’intérêt par-là… Viennent s'ajouter les fonds de sauvetage, les mesures extraordinaires de la BCE et les sauvetages de banques portant sur des sommes astronomiques. A force d’être submergé d’informations au quotidien, je n’ai plus de vision d’ensemble. Quels sont en réalité les vrais problèmes de la zone euro ? Quelles sont les solutions envisageables ? Qui doit en supporter le coût, et quel coût ? Est-ce que l’euro a encore un sens et, si non, comment faire machine arrière au niveau de l’union monétaire ?
Guy :
Laissons nos journaux de côté et discutons-en. Qu’est-ce que la zone euro, en réalité ? Une union qui regroupe autour d’une monnaie commune une diversité de pays, d’économies, de mentalités, de cultures et de langues.
Dieter :
Dans le passé, cette diversité a souvent été la cause de guerres et l’union des pays européens au sein de l’UE nous permet aujourd’hui de vivre dans une Europe tellement interdépendante qu’un conflit armé n’est, heureusement, en principe plus concevable. La monnaie unique est censée renforcer encore plus cette interdépendance. Ce fut déjà le cas avec le Traité de la Communauté européenne du charbon et de l’acier et le Traité de Rome, les politiques donnaient l’impulsion et attendaient que leur vision se traduise dans les faits. Aujourd’hui, on constate malheureusement quelques défauts de conception en ce qui concerne l’euro.
Guy :
De nombreux économistes ont d’emblée attiré l’attention sur ces défauts. Leur principal argument était que l’union monétaire entre l’Europe du Nord et celle du Sud, c’est-à-dire entre des pays dont les conditions économiques étaient / sont très différentes, ne pouvait en principe pas fonctionner. Dans les traités de l’Union européenne, l’euro a été clairement conçu comme une monnaie « forte », associée à un taux d’inflation faible. Mais l’Europe du Sud était habituée à avoir une monnaie faible qui, à travers une inflation plus élevée et des dévaluations périodiques, lui permettait d’atténuer les effets des hausses de salaires trop fortes par rapport à la productivité et ainsi de rétablir sa compétitivité.
Dieter :
Mais cela aurait pu fonctionner. En tout cas, le recul des taux d’intérêt après l’introduction de l’euro a permis aux pays du Sud d’atteindre quasiment le niveau des taux allemands. Grâce à l’Union monétaire, ces pays ont bénéficié d'un coût de financement très bas qu’ils n’avaient pas mérité en réalité compte tenu de leur situation économique. Ils ont donc dû payer moins d’intérêts sur la dette publique. Si l’Europe du Sud avait su profiter de cette situation pour consolider ses finances publiques et, en même temps, mettre en œuvre des réformes structurelles pour accroître sa productivité elle aurait pu finir par mériter ce cadeau initialement indu.
Guy :
Mais la réalité est que les écarts entre les économies du Nord et du Sud de l’Europe se sont creusés ces dix dernières années au lieu de se résorber. Les faibles taux d’intérêt ont incité le secteur privé et le secteur public des pays du Sud à gonfler leur endettement, de manière excessive, générant ainsi un boom économique artificiel financé par des crédits. A la suite de quoi, ces pays ont enregistré une augmentation des prix et des salaires nettement plus rapide et plus forte qu’en Europe du Nord, ce qui a favorisé les importations et freiné les exportations. Ainsi, depuis la création de l’union monétaire, l’Europe du Sud a vu s’accroître les déficits de son commerce extérieur et l’Allemagne, dont la compétitivité n’était plus réduite par les réévaluations du deutschemark, a engrangé des excédents de plus en plus importants. L’euro a masqué ces déséquilibres car personne ne se souciait plus de la balance extérieure d’un État membre sous prétexte qu’« aux États-Unis, on ne s’intéresse pas non plus à la balance extérieure de l’Utah ou de la Floride ». Sans l’euro, on n’en serait pas arrivé là parce que la sonnette d’alarme aurait été tirée bien plus tôt. Négliger la balance courante d’un État membre au niveau des critères de Maastricht, c’est un des nombreux défauts de conception de l’euro. Dix années de dérive économique et de divergence entre les pays européens ont succédé à 30 années de convergence économique.
Dieter :
Et les critères établis par le Traité de Maastricht ont été régulièrement bafoués. En effet, les États membres ont pu sans problème dépasser les 3 % de déficit budgétaire et les 60 % de dette publique sans en craindre les conséquences. Le résultat est que quasiment plus aucun Etat de la zone euro ne remplit encore aujourd’hui les critères fixés en matière de déficit budgétaire et de dette.
Guy :
Exactement ! Mais on dirait qu’on n’a toujours pas compris que le manque de compétitivité des pays du Sud, et les énormes déficits extérieurs qui en découlent, posent problème. Ces déficits engendrent un endettement par rapport à l'étranger et une dépendance vis-à-vis des capitaux extérieurs et des marchés financiers. À un moment où s’accentue l’aversion au risque, due en partie à la crise de l’immobilier et du système bancaire il y a quatre ans, cette situation est très périlleuse.
Guy Wagner
Source : http://www.guywagnerblog.com/fre/entry/zone-euro-annee-de-verite-1