Guy Wagner
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Je suis chief economist à la Banque de Luxembourg.
Dans mon blog, je commente les derniers développements sur les marchés financiers ainsi que mes évaluations sur leur future évolution.
Ces pages s’adressent aux investisseurs dans des fonds et actions avec un certain intérêt pour les marchés boursiers.
Mon parcours
Licencié en Sciences Economiques de l'Université Libre de Bruxelles, je rejoins la Banque de Luxembourg en 1986, où je fus successivement responsable des départements analyse financière et Asset Management. Depuis 2005, je suis administrateur-directeur de BLI - Banque de Luxembourg Investments.
Verre à moitié plein ou à moitié vide?
Audience de l'article : 1574 lecturesVerre à moitié vide
La hausse des cours boursiers sur les 2 dernières années n'a pas été accompagnée par une augmentation des bénéfices des entreprises. En Europe, ces derniers ont même baissé. Les multiples de valorisation ont donc beaucoup augmenté. Si ces multiples ne paraissent pas encore démesurés, c'est aussi parce que les marges bénéficiaires des entreprises sont très élevées, gonflant ainsi les bénéfices et diminuant le ratio cours/bénéfice (PER), ratio généralement utilisé comme principale mesure de valorisation. L'histoire économique suggère que cette situation ne peut pas durer. Sur base des bénéfices normalisés, certains marchés se traitent largement au-dessus de leur moyenne historique. C'est le cas notamment du marché américain.
Evolution des cours et évolution des bénéfices
Source : MSCI, IBES/Datastream
Des excès spéculatifs commencent à apparaître. Aux Etats-Unis, le volume d'actions achetées à crédit est proche d'un niveau record. L'indice des valeurs de la biotechnologie a plus que doublé depuis le début de l'année dernière. La capitalisation boursière de Facebook est passée de 70 à 200 milliards de $ en un peu plus d'un an. Les introductions en bourse se succèdent et sont généralement largement sur-souscrites.
La situation économique reste préoccupante. Les politiques menées par les banques centrales ont aidé la sphère financière en stimulant les prix des actifs financiers et immobiliers (augmentant au passage les inégalités sociales) mais n'ont rien fait pour la sphère réelle. Au contraire, elles ont permis d'éviter les ajustements nécessaires et créé de nouveaux déséquilibres, empêchant ainsi la croissance de repartir sur des bases saines. Dans ce processus, le principe même de l'économie de marché est de plus en plus remis en question.
Les risques géopolitiques augmentent.
Verre à moitié plein
Les taux d'intérêt resteront très bas pendant très longtemps. Les taux courts sont directement contrôlés par les banques centrales qui ont déjà fait savoir qu'elles les maintiendraient à des niveaux historiquement bas. Les taux longs sont théoriquement déterminés par le marché mais en pratique de plus en plus influencés par les actions des autorités monétaires. Le niveau d'endettement élevé dans la plupart des pays industrialisés fait de toute façon que l'activité économique est devenue dépendante de taux bas, de sorte qu'une remontée des taux ne serait que temporaire.
Des taux bas justifient des multiples de valorisation plus élevés, toutes autres choses étant égales par ailleurs. Les multiples ont beaucoup augmenté sur les 2 dernières années mais ne sont pas à des niveaux absurdes. Malgré l'apparition d'excès spéculatifs dans certains domaines, de nombreux investisseurs restent marqués par les 2 grandes phases baissières des années 2000 et réticents à l'égard des actions.
Les marges bénéficiaires élevées s'expliquent par le niveau bas des taux d'intérêt et des taux d'imposition des entreprises et par des coûts salariaux contenus, en partie grâce à la technologie. Aucun de ces éléments ne semble sur le point de se retourner. Les dépenses d'investissement des entreprises restent modérées leur permettant d'utiliser leur cash-flow pour racheter leurs actions (augmentant ainsi le bénéfice PAR ACTION) etaccroître leur dividende.
Une correction est toujours possible mais les autorités feront tout pour éviter une baisse trop importante des cours boursiers.
Comment réconcilier ces 2 vues?
1. Acheter des actions, pas des indices
Le fait que les indices aient beaucoup augmenté et que les bénéfices des entreprises dans leur ensemble ne l'aient pas ne signifie pas qu'il n'est pas possible de trouver des opportunités individuelles. Privilégier les entreprises de qualité disposant d'avantages compétitifs, moins affectées par un environnement économique difficile.
2. Avoir des attentes réalistes quant au rendement à attendre d'un placement boursier
Le prix payé détermine le rendement. Le niveau bas des taux peut justifier des multiples de valorisation plus élevés mais le fait de payer des multiples plus élevés signifie que le rendement à attendre d'un placement boursier sera en-dessous de sa moyenne historique
3. Accorder une grande importance au dividende
Le dividende pourrait constituer une partie importante du rendement total des actions dans les années à venir
4. Avoir un horizon d'investissement approprié pour un placement boursier et accepter la volatilité inhérente à un tel placement
Cas concret
La société pharmaceutique suisse, Roche Holding, figure parmi les actions que nous détenons en Europe. Elle se traite à environ 17 fois son bénéfice estimé pour 2015 et paie un dividende de quelque 8 CHF. Au cours actuel (274 CHF), ceci correspond à un rendement du dividende de 2,9 % (brut, c'est-à-dire avant impôts).
Compte-tenu de ces paramètres, je ne pense pas qu'on puisse qualifier d'irrationnel un investissement dans Roche au cours actuel. (J'utilise le terme 'irrationnel' puisque ce terme est souvent utilisé pour caractériser le comportement actuel des marchés.) Avec un ratio cours/bénéfice de 17, Roche n'est certainement pas particulièrement bon marché. Il est évident que nous préférerions l'acheter à un multiple moins élevé. A force d'attendre une correction qui ferait baisser le ratio cours/bénéfice de Roche à 15, 12 ou 10, nous risquerions néanmoins de ne jamais l'acheter et de confirmer la fameuse phrase de Peter Lynch : "Far more money has been lost by investors waiting for corrections, than has been lost in corrections themselves".
En même temps, le rendement du dividende de 2,9 % de Roche se compare très favorablement à celui offert par un placement à revenu fixe de qualité (compte à terme ou obligation). Cette comparaison favorable va aller en augmentant au fur et à mesure que Roche continuera à augmenter son dividende et que les taux d'intérêt resteront bas.
Pour des actions de qualité comme Roche, le verre est à moitié plein.
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