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Mon opération d'arbitrage sur Bouygues

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Comme vous le savez peut-être, Bouygues a annoncé le 31/08/2011 une OPRA, Offre Publique de Rachat d'Actions.

11.7 % du capital, soit environ 40 millions de titres sur un total de 356 millions, seront rachetés par la société à un prix de 30 € par action, puis annulés, sous réserve de l'approbation de l'AG extraordinaire qui se réunira le 10/10/2011. L'offre courra ensuite du 11/10 au 31/10/2011.

 

Il s'agit donc d'une opération d'arbitrage.

J'ai décidé de me lancer dans l'opération avec 700 titres (sans effet de levier) à un cours moyen de 25.71 €.

 

Voici mon calcul et les 2 scénarii que j'envisage.

 

Le calcul.

 

30 - 25.71 = 4.29.

4.29 € est mon bénéfice escompté.

 

4.29 / 25.71 = 16.68 %

16.68 % est mon taux de rendement escompté.

 

Il nous faut tenir compte de la probabilité de l'évènement. Après tout, l'AGE du 10/10 pourrait voter contre l'OPRA.

Etant donné qu'au 31/12/2010 les frères Bouygues détiennent 27.3 % des droits de vote, que les salariés en détiennent 22.6 % et que leurs actions sont en grande majorité logées dans un Plan Epargne Entreprise, donc bloquées 5 ans, et étant donné que ces 2 groupes d'actionnaires vont voter pour, car la réussite de l'OPRA va mécaniquement augmenter la valeur des titres restants, on a donc déjà 49.9 % des droits de votes acquis à la cause.

Le solde est représenté par les actionnaires individuels et institutionnels. Une majorité devrait se prononcer en faveur de l'opération, ne serait-ce que pour profiter d'une fenêtre de sortie sur le titre à un prix attractif, tout en refaisant des liquidités et en augmentant le poste "cash" dans les portefeuilles.

En conclusion j'opte pour une probabilité de survenance de l'évènement de 90 %.

 

Le taux de rendement ajusté de la probabilité de survenance de l'évènement se calcule ensuite comme suit :

 

4.29 x 90 % = 3.86.

3.86 € est mon bénéfice escompté ajusté.

 

3.86 / 25.71 = 15 %

15 % est mon taux de rendement escompté ajusté.

 

Le cours avant l'annonce était de 23 €. Si l'OPRA échouait, le cours retomberait à ce niveau.

 

25.71 - 23 = 2.71.

2.71 € est ma perte projetée.

 

2.71 x 10 % = 0.271

0.271 € est ma perte projetée ajustée (10 % de chance que l'OPRA ne se fasse pas).

 

3.86 - 0.271 = 3.589.

3.589 est mon bénéfice projeté ajusté au risque.

 

3.589 / 25.71 = 13.95 %

13.95 % est mon taux de rendement projeté ajusté au risque.

 

Quel est le rendement annualisé sachant que l'OPRA sera clôturée au 31/10/2011, soit 2 mois après ma prise de position ?

 

13.95 % / 2 = 6.975 %

6.975 % est le taux de rendement mensualisé ajusté au risque.

 

6.975 x 12 = 83.70 %

83.70 % est le taux de rendement annualisé ajusté au risque. Ce taux théorique sert d'étalon pour savoir si l'opération est intéressante par rapport à d'autres opportunités d'investissement. Clairement, cet arbitrage devrait nous faire gagner de l'argent, ce qui dans le contexte actuel apparaît tout de suite comme une bonne opération.

 

Scénario n°1 : j'apporte mes titres.

 

Si le nombre total de titres apporté est inférieur ou égal à 100 % des titres achetés par la société, j'empoche 100.08 % de rendement annualisé réel (16.68 % sur 2 mois donnent 100.08 % sur 12 mois) sur mes 700 actions à 25.71 €.

 

Si l'offre de titres apportés est supérieure à 100 % des titres achetés par la société, je serai servi au prorata et je conserverai le solde en portefeuille. Par ex., si 80 millions de titres sont apportés alors que Bouygues n'en rachète que 40 millions, 350 de mes titres seront rachetés à 30 € et je conserverai les 350 autres titres en portefeuille à un prix de revient de 25.71 €.

 

On sait que les frères Bouygues n'apporteront pas leurs actions à l'offre, ce qui représente à peu près 64 millions de titres. Les salariés ne devraient pas apporter non plus ou de manière marginale. Ils représentent environ 67 millions de titres.

Pour le reste, je table sur une moitié des actionnaires "flottants" qui apporteront, soit environ 120 millions de titres. Rapportés aux 40 millions qui devraient être rachetés, on aurait 3 fois plus de vendeurs que d'acheteur.

Conclusion de ce scénario : Bouygues me reprendrait environ 1/3 de mes titres à 30 € (avec un rendement annualisé réel de 100.08 %) et je conserverais le solde pour une revente sur le marché en espérant faire une plus-value à terme.

Je considère en effet qu'à 25.71 € je paye un prix raisonnable. Le fait que les actionnaires familiaux n'apportent pas traduisent bien la confiance du management sur les perspectives et la sous-valorisation de l'action à un cours de 30 €. J'en reparlerai lors d'un prochain article s'il s'avérait que je possède encore des titres après le 31/10/2011.

 

Scénario n°2 : je n'apporte pas mes titres.

 

Dans ce type d'opération, au fur et à mesure que les éventuels obstacles sont levés (autorisation de l'assemblée générale par ex.), le cours a tendance à se rapprocher du prix de l'offre.

Le temps est aussi notre allié pour une deuxième raison : en effet, au fur et à mesure que l'on se rapproche de la clôture de l'OPRA, la durée de portage des titres diminue et augmente d'autant le rendement annualisé potentiel. Se crée ainsi une opportunité d'empocher un profit moindre mais plus rapide que si l'on attend la clôture de l'OPRA. Illustration.

 

Si d'aventure le cours de Bouygues atteignait disons les 28 € avant le 31/10/2011, nous empocherions 28 - 25.71 soit 2.29 € par action. Le calcul du rendement annualisé suivrait le même schéma que précédemment, la durée de portage moindre venant contrebalancer le plus faible différentiel de plus-value.

 

En conclusion.


 

Je considère ce deal comme un deal gagnant-gagnant.


 

Scénario 1 : je gagne sur les titres apportés et je suis persuadé de faire une plus-value sur les titres restants, même si pour cette deuxième catégorie je ne maîtrise pas le timing, qui peut s'avérer long, il faut le savoir. Mais je gagne quoi qu'il arrive.

 

Scénario 2 : je gagne aussi.
 

 

Le point noir dans cette affaire, qui justifie le titre en forme d'interrogation, résulte dans le fait que le marché est en train de s'effondrer et que les fonds engagés dans cet arbitrage pourraient bien me faire rater des occasions d'achat à long terme à des prix alléchants, engendrant par là même des "coûts d'opportunités".

Suivant les évolutions de prix de "ma liste d'entreprises extraordinaires", je serai peut-être amené à réviser mes scenarii concernant cet arbitrage ou plutôt à envisager dans l'urgence un scénario n°3 (dont je sais déjà qu'une partie ne va pas me plaire, mais nous n'en sommes pas là).


 

Comme l'écrivait en son temps Von Moltke, grand stratège de l'armée prussienne :"Nul plan ne survit au contact avec l'ennemi."


 

Quoi qu'il en soit, si je devais garder en portefeuille des titres Bouygues (dont vous aurez compris par ailleurs que l'action ne fait pas partie de "ma liste d'entreprises extraordinaires"), un prochain article serait consacré à l'analyse financière selon les critères et ratios que j'ai l'habitude d'utiliser.

 

Je terminerai en vous disant que ce type d'arbitrage, et la façon dont je le mène, est décrit  tel qu'il fut pratiqué par Benjamin Graham (auteur célébrissime du non moins célébrissime L'investisseur Intelligent), et ensuite tel qu'il fut enseigné à Warren Buffett et utilisé par ce dernier pour doper le rendement de son fonds privé.

 

A bientôt.

 

Yann Auffret

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