Guy Wagner
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Je suis chief economist à la Banque de Luxembourg.
Dans mon blog, je commente les derniers développements sur les marchés financiers ainsi que mes évaluations sur leur future évolution.
Ces pages s’adressent aux investisseurs dans des fonds et actions avec un certain intérêt pour les marchés boursiers.
Mon parcours
Licencié en Sciences Economiques de l'Université Libre de Bruxelles, je rejoins la Banque de Luxembourg en 1986, où je fus successivement responsable des départements analyse financière et Asset Management. Depuis 2005, je suis administrateur-directeur de BLI - Banque de Luxembourg Investments.
Plaidoyer pour une stratégie prudente
Audience de l'article : 2322 lecturesLe graphique ci-après reprend le ratio cours/bénéfice du marché américain selon la version du professeur Robert Shiller. Dans cette version, le bénéfice utilisé dans le dénominateur du ratio est le bénéfice moyen des 10 dernières années pour les sociétés figurant dans l'indice, plutôt que le bénéfice des 12 derniers mois ou estimé par les analystes pour les 12 mois à venir. L'avantage de la version Shiller est qu'elle normalise le bénéfice utilisé et évite ainsi de prendre une année particulièrement bonne ou mauvaise. Ceci est important aujourd'hui où les marges bénéficiaires (et donc les bénéfices) des entreprises sont à des niveaux historiquement élevées. Le graphique montre qu'à ses plus-bas séculaires, ce ratio s'établissait autour de 6. Il se trouve actuellement à 23. Un recul à 6 amènerait le marché américain au niveau prédit par Albert Edwards.
Ratio cours/bénéfice 'Shiller' du marché américain :
Source : Morgan Stanley
Il est vrai qu'il fallait des conditions extraordinaires pour que la valorisation du marché américain tombe à un niveau aussi bas : guerres, dépression économique, inflation galopante. Avec les politiques monétaires que mènent actuellement les banques centrales, il n'est cependant pas sûr que certaines de ces conditions ne vont pas réapparaître dans les années à venir. Mais même en excluant ces scénarios extrêmes et les valorisations particulièrement basses qui les accompagnent, force est de constater que :
- mis à part les années 1929, 2000 et 2007, le marché américain ne s'est jamais traité à un niveau de valorisation aussi élevé qu'aujourd'hui. Dans ces 3 épisodes précédentes, le marché a par la suite perdu au moins 40 %;
- la moyenne sur le long terme de ce ratio s'établit à 16. Pour retrouver cette moyenne, il faudrait que le S&P 500 tombe à 1100, une baisse de 30 %;
- le marché a historiquement oscillé entre des phases où le ratio se trouvait pendant des années au-dessus de sa moyenne à long terme et de longues phases où il se trouvait en-dessous de cette moyenne. En dehors d'une brève période en 2009, le marché se traite à un niveau de valorisation élevé depuis le milieu des années 1990. L'histoire boursière semble dire qu'une telle période de surévaluation sera suivie par une période de sous-évaluation. En supposant que sans tomber jusqu'à 6, le ratio Shiller recule aux environs de 10 à 12 (où par le passé, il s'est souvent trouvé), l'indice S&P 500 tomberait à 700, respectivement 850.
On pourrait répliquer que dans ce qui précède, j'ai argué 'toutes autres choses étant égales par ailleurs'. Il est vrai qu'un recul du ratio cours/bénéfice pourrait également intervenir à travers une hausse du dénominateur (les bénéfices) plutôt qu'à travers une baisse du numérateur (les cours). Il importe toutefois de rappeler que dans la version Shiller de ce ratio est utilisé le bénéfice moyen des 10 dernières années. Dans la mesure où il s'agit d'une moyenne, ce bénéfice ne peut par définition pas connaître des variations spectaculairesd'une année à l'autre. Or, pour que le ratio revienne à sa moyenne à long terme de 16 sans baisse des cours, il faudrait que le bénéfice moyen des dix dernières années passe de 70 à 100, une hausse de près de 45 %. Il importe aussi de noter que nous raisonnons ici pour le marché dans son ensemble. Autant il est légitime d'assumer que pour une société comme Coca-Cola, le bénéfice de 2013 sera largement supérieur à celui de 2003, et que dans le calcul du bénéfice moyen sur 10 ans, un chiffre faible (le bénéfice de 2003) sera remplacé par un chiffre nettement plus élevé (le bénéfice de 2013), autant ce raisonnement tient nettement moins la route pour l'ensemble des entreprises. Et même dans le cas de Coca-Cola, cet exercice ne ferait augmenter le bénéfice moyen sur 10 ans que de 8 %.
L'objectif de ce qui précède n'est pas d'affirmer que le marché américain va perdre quelque 50 %. Le but est plutôt de montrer qu'une telle chute n'est pas impossible et, surtout, de montrer que ceux qui plaident aujourd'hui pour une stratégie prudente ont l'histoire de leur côté et que c'est plutôt à ceux qui prévoient une poursuite de la hausse des cours de montrer pourquoi cette fois-ci, les choses seraient différentes et pourquoi le principe que le prix détermine le rendement, ne serait plus d'actualité. Surtout à un moment où les indicateurs économiques sont en train de se détériorer à nouveau et où, contrairement à la période 2009 à 2011, la croissance des bénéfices n'est plus vraiment au rendez-vous.
Pour beaucoup d'observateurs la réponse semble résider dans le niveau bas des taux d'intérêt. L'idée étant qu'en manipulant les taux d'intérêt pour les maintenir à un niveau artificiellement bas, les autorités monétaires encouragent les investisseurs à chercher des alternatives aux placements à revenu fixe et à acheter notamment des actions. Les décisions de placement ne se prennent dès lors plus sur la base des fondamentaux et sont faussées. D'autant plus que si les mesures d'assouplissements monétaires quantitatifs ('quantitative easing') semblent fonctionner dans la sphère financière en provoquant une hausse des actifs, rien ne permet d'affirmer qu'elles fonctionnent dans la sphère réelle en stimulant de manière durable l'activité économique. D'une manière générale, les investisseurs écartent la possibilité d'une baisse significative des cours boursiers tant que les banques centrales continuent avec leur politique actuelle.
Une stratégie défensive est frustrante dans ce genre d'environnement où les cours continuent à progresser malgré la détérioration des fondamentaux et des multiples de valorisation qui dans le passé ne suggéraient rien de bon pour les rendements dans les années à venir. Dans les années à venir, le fait que les actions soient chères ne les empêche en effet pas de continuer à monter pendant quelque temps encore. Il est d'autant plus important de se rappeler qu'à partir des niveaux actuels, le risque principal n'est pas de rater une hausse supplémentaire mais d'oublier les leçons que l'histoire boursière nous enseigne.
Guy Wagner
Source: http://www.guywagnerblog.com/fre/entry/plaidoyer-pour-une-strategie-defensive
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