Si vous faites partie de celles et ceux qui pensent que les charges salariales sont payées par les salariés tandis que les charges patronales le sont par les patrons, je ne saurais que trop vous conseiller d’interrompre séance tenante la lecture de ce papier. Si vous deviez néanmoins passer outre cet avertissement et poursuivre votre lecture malgré tout, cliquez ici.
Vous êtes toujours là ? Bien, poursuivons.
Soit Paul, un salarié français qui coûte 49 990 euros par an à son employeur – c’est son véritable salaire, la valeur de marché de son travail. Son « salaire brut » (qui n’est que pure fiction [1]) est de 31 199 euros et son salaire net, le montant total des douze chèques mensuel signés par son patron, est de 22 530 euros. Une fois réintégrées la CSG et la CRDS non-déductibles, le salaire net imposable de Paul s’élève à 23 478 euros [2].
Si l’on suppose qu’il n’utilise aucune des nombreuses options qui permettent à nos compatriotes de réduire leur Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques (IRPP) [3], il devrait payer 1 948 euros d’impôt sur le revenu : il est exonéré sur les premiers 5 963 euros, il paiera 5,5% des 5 933 euros suivants et 14% sur les 11 582 euros qui font 23 478 euros.
Seulement voilà, Paul travaille pour une entreprise qui est assujettie à la taxe sur les salaires.
Cette chose-là, peu connue du profane et généralement absente du débat public, est un impôt prélevé directement à la source sur le bulletin de paie de celles et ceux d’entre nous qui, pour simplifier, travaillent dans une entreprise qui n’est pas assujettie au paiement de la TVA. Typiquement, c’est le cas des banques, des compagnies d’assurance et autres établissements financiers.
L’assiette de la taxe sur les salaires, c’est le salaire brut augmenté de l’ensemble des avantages en nature payés par l’employeur. Dans le cas de Paul, c’est donc son salaire brut (31 199 euros) auquel se rajoute la part de la prime prélevée par sa mutuelle qui est prise en charge par son employeur (2 027 euros par an) ; soit, au total, 33 226 euros ou, si vous préférez, 141,5% de son net imposable.
La taxe sur les salaires, c’est aussi un impôt proportionnel en quatre tranches :
Tranche | Taux (%) |
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De € 0 à € 7 604 | 4,25% |
De € 7 605 à € 15 185 | 8,50% |
De € 15 186 à € 150 000 | 13,60% |
Au-delà de € 150 001 | 20% |
Donc, Paul paye 3 421 euros de taxe sur les salaires alors que son IRPP ne représente, au grand maximum, que 1 948 euros. Autrement dit, l’impôt sur le revenu dont on nous rebat les oreilles nuit et jour ne représente que 3,9% de son salaire réel tandis que la taxe sur les salaires, dont vous n’aviez peut-être jamais entendu parler jusqu’ici, grève ses revenus à hauteur de 6,84%.
« L’art de l’imposition, disait Colbert, consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris. »
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[1] Relire l’avertissement en en-tête de ce papier.
[2] Je précise ici que ces chiffres sont tirés d’un exemple tout ce qu’il a de plus réel.
[3] Aussi connues sous le nom de « niches fiscales » (lesquels sont toutes défendues par un chien féroce) ou, dans le langage de l’administration, de « dépenses fiscales » (voir l’excellent papierd’Alexandre Jardin à ce propos.)
NB : selon l’Insee, la taxe sur les salaires a rapporté environ 12 milliards d’euros en 2012 contre 59,5 milliards pour l’IRPP.