Si nos voisins n'ont pas encore planté des portails éco-taxe le long de leurs autoroutes, ils n'en n'ont pas moins décidé d'en augmenter le coût d'usage. Cela n'a pas l'air du goût de notre chroniqueur suisse préféré...
Dernier des trois objets fédéraux soumis au peuple le 24 novembre, le passage à 100 francs annuels de la vignette autoroutière déchaîne les passions. Elles dépassent d'ailleurs le clivage traditionnel droite-gauche: entre les écologistes rejetant l'augmentation de la vignette parce que 100 francs ne sont pas assez punitifs, les milieux de droite prônant l'augmentation au nom de la construction de routes et d'autres clamant que tout cela n'est qu'une illusion, il règne comme une certaine confusion dans les rangs...
La Suisse est malade de son réseau routier: les infrastructures vieillissantes sont saturées. A l'entrée des localités les goulets d'étranglements s'accumulent. Les rares projets soumis à la Cour du Conseil Fédéral à Berne sont sujet à d'âpres arbitrages pour récupérer un peu de la manne fédérale.
Dans ce contexte, l'augmentation de la vignette à 100 francs semble au moins avoir pour elle la logique comptable: au vu des besoins, il faut plus de moyens. A ceci près que les moyens existent déjà largement... Mais ne sont pas employés pour les routes!
La Confédération prélève aujourd'hui plus de 9,5 milliards de francs à travers les impôts sur les routes, les voitures et les carburants. Pour donner un ordre de grandeur, ce montant représente environ un sixième des revenus fiscaux de la Suisse fédérale. Les cantons ne sont pas en reste puisqu'ils prélèvent un total de 2 milliards de francs à travers des impôts sur le trafic motorisé.
Vraiment, sans rien changer, les automobilistes helvétiques payent largement aujourd'hui pour leur utilisation du réseau, son entretien et son agrandissement. Mais le politicien moyen a bien d'autres préoccupations en tête lorsqu'il s'agit d'affecter l'argent prélevé dans leurs poches. Ainsi, près de 70 % des contributions routières alimentent d'abord les caisses de la Confédération et des cantons ou servent au financement de l'infrastructure ferroviaire... Et malgré tout cela, le coût effectif des routes est assuré à 115% par les usagers actuels.
Les défenseurs de la réforme ass
urent la main sur le cœur que cette fois-ci, promis, l'argent de la hausse de la vignette sera intégralement employé à l'amélioration du réseau routier. Seulement, rien dans le texte de la loi n'assure quoi que ce soit de tel. Le texte officiel est clair:
Les recettes supplémentaires financeront l'exploitation, l'entretien et l'aménagement des quelque 400 km de routes cantonales qui seront transférés dans le réseau des routes nationales.
La prise en charge de la Confédération délestera les cantons de ces coûts mais rien n'est exigé quant à l'utilisation des fonds cantonaux libérés. Même les contournements de La Chaux-de-Fonds, du Locle et de Näfels que font miroiter les partisans de l'augmentation sont prêts à être réalisés et le seront indépendamment du résultat du vote.
Des autoroutes sûres... Dont il n'est nullement question dans le projet!
Vous avez parfaitement le droit de croire les politiciens lorsqu'ils égrènent des promesses qu'ils ont astucieusement choisi de ne pas inscrire dans leur texte de loi. Pour ma part, j'ai tendance à me méfier: les plans où on donne l'argent d'abord et où on décide ensuite donnent souvent quelque chose de très différent à l'arrivée.
Ayant été témoin de première main de nombreuses opérations de travaux destinées à saboter la circulation automobile – il n'y a pas d'autre mot, les exemples abondent tant à Lausanne qu'à Genève que dans ma malheureuse commune de Renens – je ne peux croire que les mêmes personnes auraient soudain à cœur d'améliorer la circulation automobile où que ce soit. Il ne faut pas chercher plus loin l'absence de troisième voie entre Lausanne et Genève depuis vingt ans: leur mépris pour ce mode de transport est bien trop grand. Même si l'argent était intégralement alloué au réseau routier, ce qui reste à prouver, il existe bien des façons de dépenser un budget d'aménagement pour rendre la vie impossible aux automobilistes ; nos édiles s'y connaissent bien.
Depuis des décennies, la population vivant en Suisse augmente mais l'argument de la surpopulation est fallacieux, car les recettes fiscales de l'automobile augmentent encore plus vite. Elles ont quasiment doublé en vingt ans. La situation déplorable du réseau ne vient pas de cela. Il faut tenir aux citoyens un langage de vérité. Si les autoroutes suisses sont saturées, si les routes suisses sont négligées et si les carences de financement durent depuis si longtemps, c'est uniquement parce quel'essentiel de la classe politique refuse, pour des raisons idéologiques, de faire le moindre investissement en faveur de la mobilité individuelle.
Ce n'est pas en donnant plus d'argent à ces gens qu'ils changeront d'avis.