En réalité, ce sont d’abord les épargnants aisés qui optimisent les avantages du fameux livret.
Diffusé en 60 millions d’exemplaires en France, le livret A mérite sans doute sa réputation de produit d’épargne « populaire ». Mais s’il bénéficie de « la faveur du plus grand nombre », selon la définition donnée par le Larousse, cela ne signifie pas forcément que ses avantages soient réservés aux ménages les plus modestes. On constate que les épargnants au patrimoine très confortable ont largement profité des vertus sécurisantes et rémunératrices du livret A(1,75% aujourd’hui).
« Avant d’investir sur plusieurs produits bancaires, il faut remplir au maximum son livret A », conseille à ses clients un gestionnaire de patrimoine haut de gamme(les dépôts sont plafonnés à 15 300 euros). Et ils semblent l’écouter : selon une enquête de l’Insee effectuée sur l’année 2004, c’est chez les cadres que le livret A ou bleu est le plus diffusé. Quelque 62% d’entre eux y logent leurs économies, contre 56% des employés et 49% des ouvriers non qualifiés. De même, il draine largement l’épargne des plus gros patrimoines. Pratiquement, les deux tiers des ménages avec un actif supérieur à 450 000 euros en disposent. Le fameux Livret d’épargne populaire(LEP) recrute cependant moins de souscripteurs chez les plus modestes : seulement 32% des petits patrimoines (moins de 3000 euros). Depuis la diffusion du fameux livret, la frange « élitiste » tend sans doute à s’étoffer. Ces chiffres écornent les idées reçues, même s’ils semblent finalement assez logiques. En effet, pour épargner-même de manière populaire-, il faut bien se payer le luxe de mettre quelques billets de côté. Or, les plus précaires se retrouvent confrontés à des fins de mois difficiles, voire à des problèmes de surendettement.
En fait, la majorité des livrets A loge un petit pécule. Il y a moins de 150 euros sur 60% des livrets. Et, chacun loge en moyenne 28 euros. Réduire de 0,50% la rémunération du livret leur coûterait…14 centimes. Les défenseurs du livret devraient regarder de plus près. Les revenus modestes sont en fait beaucoup plus sensibles à l’évolution des prestations sociales ou du Smic.
Du côté des « gros », on remarque que 2,5 millions de livrets-soit 4% du total-débordent de liquidités : avec en moyenne 18 500 euros déposés sur chacun d’eux. Ceux-là représentent 43% des sommes contenues dans tous les livrets. Pour eux, la baisse de la rémunération sera sensible. En fait, un produit d’épargne économiquement avantageux et sans condition de souscription ne peut véritablement faire de distinction sociale. Seul le Livret d’épargne populaire profite exclusivement aux plus modestes. En effet, pour y verser ses économies, il faut payer moins de 757 euros d’impôts sur le revenu. Ce livret porte bien son nom.
Extrait de : 150 idées reçues sur l’économie, par Franck Dedieu, Emmanuel Lechypre et François de Witt.
Jean-François FAUSTINELLI