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Thibault Doidy de Kerguelen

Thibault Doidy de Kerguelen

Je suis président de la Compagnie Financière et Patrimoniale de Normandie. Vous pouvez me suivre sur mon site http://maviemonargent.info/

Le paradoxe de la suite de Ramanujan.

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Un paradoxe mathématique qui va certainement vous plaire…

Mon article sur le Paradoxe de Monty Hall a suscité l’intérêt de beaucoup de gens. Pour poursuivre dans la même veine, voici un autre « phénomène » mathématique qui est selon moi très fascinant : la série de Ramanujan.

Défénissons la série “S*” comme suit:

S* = 1 +2 +3 +4 +5 … ∞

Quelle est la somme des termes de cette série?  La réponse intuitive est que cette somme est égale à l’infini. Plus on avance vers l’infini, plus on additionne de termes positifs et donc, plus la somme sera un chiffre positif élevé.

Ceci dit, plusieurs mathématiciens et physiciens ne seront pas d’accord avec vous. Selon eux, la bonne réponse est -1/12. Comment l’addition de nombres entiers positifs peut-elle mener à un résultat négatif et non-entier? Tout cela semble émaner des travaux d’un mathématicien Indien du nom de Srinivasa Ramanujan.

Voici d’ailleurs l’une des manières de démontrer ce résultat étonnant :

Laissez-moi vous guider avec cette preuve mathématique un peu intimidante. On crée d’abord une nouvelle série en multipliant la série originale (c) par 4 pour obtenir une série 4c (notez que la deuxième ligne est décalée par rapport à la première, comme si on avait ajouté des zéros virtuels). On soustrait ensuite cette nouvelle série à c pour obtenir une série -3c (c – 4c = -3c). La nouvelle série ainsi obtenue est considérée comme étant égale à ¼, une somme finie (nous y reviendrons). Il est ensuite facile d’isoler c et d’établir sa valeur à -1/12. Est-ce un résultat stupéfiant ou erroné?

Il existe un vidéo sur Youtube à ce sujet qui a été vu plus de 4 millions de fois (ici et l’extra ici)! La page wikipedia est ici, sur laquelle vous retrouverez d’autres méthodes de dérivation plus robustes. Selon plusieurs scientifiques, ce résultat est l’un des plus extraordinaires de l’histoire des mathématiques, voire même de la science en général!

Les auteurs de la vidéo ont beau jeu de prétendre que 1) personne ne sait vraiment ce qu’il se passe à l’infini (cela rend-il donc le calcul impossible?) et que 2) ce résultat ne peut qu’être valide puisqu’il a des implications réelles en physique quantique (une discipline reconnue pour ses résultats contre-intuitifs)…

Ceci est une autre approche pour obtenir le résultat -1/12. Notez qu’encore une fois, on insère un zéro au début de la cinquième ligne ainsi qu’à la dernière ligne.

J’ai déjà un problème avec le décalage des nombres, qui ne semble qu’être un truc pour obtenir le résultat recherché. Peut-on vraiment décaler des chiffres à l’infini en insérant des zéros arbitrairement après chaque terme?

Avant de poursuivre, nous devons comprendre le concept de série géométrique (qui fonctionnent avec une valeur r située non-inclusivement entre -1 et 1.

Prenons l’exemple suivant :  r = ½

Cela donne la série S3 suivante :

S3 = 1 + ½ + ¼ + 1/8 + 1/16 + …

Cette série convergera à vers une valeur de 2 car :   1 / (1-r) = 1(1-1/2) = 2

Ce qui est intéressant ici est que la valeur n’atteindra cependant jamais 2 précisément, mais elle convergera vers cette valeur, ce pourquoi on la qualifie de série convergente.

Ce que plusieurs mathématiciens ont osé faire, même si cela est incorrect, a été d’utiliser une valeur de -1 pour r. Voici la série S1 qui en résulte :

S1 = 1 – 1 + 1 – 1 + 1 – 1 + …

Cette série a été nommée série de Grandi et la valeur de sa somme à l’infini est considérée par plusieurs comme étant ½.  Si on remplace r par -1 dans la formule ci-haut, c’est d’ailleurs la valeur que l’on obtient. Cependant, cette série est divergente, c’est-à-dire que ses valeurs ne convergent par vers un nombre en particulier. La somme de ses termes peut être de 1 ou -1, dépendamment du terme où l’on arrête, mais lorsqu’on calcule à l’infini, on arrête jamais pour calculer… (voir ceci)

Le paradoxe de la lampe de Thomson

La lampe de Thomson est une bonne manière de visualiser la série de Grandi. Supposons que la lampe soit éteinte et qu’après une minute, vous l’allumiez. Vous attendez ensuite une demi-minute pour l’éteindre, puis un quart de minute pour la rallumer, et ainsi de suite. Quel sera l’état de la lampe après 2 minutes?

C’est un paradoxe qui titille les mathématiciens depuis des siècles! Mais laissez-moi vous expliquer ce que j’en pense.

Plus le temps avance, plus vous devrez agir rapidement pour allumer ou éteindre la lampe. Durant la dernière seconde avant le compte des 2 minutes, votre doigt devra s’approcher de la vitesse de la lumière pour maintenir la cadence. Le passage du temps se mettra alors à ralentir. Une fois la vitesse de la lumière atteinte, si une telle chose était possible pour votre doigt, le temps s’arrête. La marque exacte des 2 minutes ne sera jamais atteinte et la lumière apparaîtra comme étant entre les deux états (c’est-à-dire ni allumée, ni éteinte).

La réalité est qu’on je peux pas s’amuser avec l’infinité. L’utilisation de la valeur r = -1 est tout simplement une violation des principes mathématiques fondamentaux. En fait, la valeur de ½ pour S1 est ce que l’on appelle une somme de Cesaro qui est utilisée en faisant la moyenne des états possibles (1 ou 0). Ce résultat a une certaine utilité conceptuelle, mais il ne s’agit pas d’un résultat exact. Une somme de Cesaro n’est pas une vraie somme…

Considérez aussi une variante du paradoxe de Zeno: vous placez vos mains à 1 mètre l’une de l’autre, puis vous les rapprochez à 0.5m, puis 0.25m puis 0.125m et ainsi de suite. Est-ce que vos mains vont se toucher si vous continuez à suivre cette règle de sans cesse diviser la distance restante en 2? La réponse est pas vraiment! La distance va diminuer jusqu’à la distance de Planck, puis vous ne pourrez plus suivre la règle. Est-ce que cela signifie qu’il est impossible de coller ses mains? Non! Lorsque vous rapprocher vos mains, vous ne suivez pas cette règle (diviser par 2), vous soustrayez plutôt une distance entre les deux jusqu’à ce que la distance qui les sépare devienne zéro.

Pensez aussi à un triangle rectangle dont les deux côté mesure 1 cm ou un cercle de rayon r. L’hypoténuse du triangle mesure la racine carrée de 2, soit 1.4142…, avec une infinité de décimales. La circonférence du cercle mesure πr, avec π = 3.1415… avec une infinité de décimales. Est-ce que cela signifie qu’on ne peut pas dessiner ces figures puisque la longueur de l’hypoténuse du triangle ou la circonférence du cercle sont infinies? Non! Le nombre de décimales est peut-être infini, mais la mesure est tout à fait finie. L’hypoténuse a peut-être une infinité de décimales, mais sa valeur demeure inférieure à 1.42.

Le paradoxe de Thomson est donc différent des paradoxes de Zeno ainsi que des mesures à décimales infinies puisque les séries S1 et S2 ne convergent pas, elles sont divergentes.

Revenons maintenant à la série -3c qui équivaut à ¼, que je nommerai S2 :

S2 = 1 – 2 + 3 – 4 + 5 – 6 + …

On peut obtenir S2 en prenant le carré de S1. Et cette série va tendre vers une moyenne de ¼ (voir le graphique ci-bas) sans toutefois atteindre cette valeur précise. Il est ainsi inapproprié d’affirmer que la série S2 donne une somme finie de ¼. On peut parler d’une somme « conceptuelle » ou d’une somme de Cesaro, mais pas d’une somme conventionnelle.  Ce résultat invalide conséquemment la preuve de Ramanujan en ce qui concerne la série S*. Ainsi, la somme de la série S* n’équivaut pas à -1/12, mais bien à ∞. (voir ceci)

La fonction Zeta

En réalité, le résultat de -1/12 peut être obtenu par différentes méthodes de sommation. Cette série est obtenue en utilisant l’une des fonction les plus fascinantes des mathématiques, la fonction zeta, découverte par le mathématicien Leonhard Euler au 17e siècle :

Cette fonction a plusieurs utilités extraordinaires, mais si on remplace x par -1, on obtient ceci :

Et oui, c’est la suite de Ramanujan!

En fait, Ramanujan et ses pairs utilisent la fonction zeta hors de ses bornes géométriques (-1 < x 1) et la continuation analytique (à gauche).

Des applications en physique?

La continuation analytique d’une fonction zeta a été utilisée avec succès pour calculer l’effet Casimir avec x = -3. L’effet Casimir, tel que prédit par le physicien néerlandais Hendrik Casimir en 1948, est une force attractive entre deux plaques parallèles conductrices et non chargées. Cet effet est dû aux fluctuations quantiques du vide.

La fonction zeta avec x = -3 donne la suite suivante : 1 + 8 + 27 + 64 + …

Le résultat réel de cette somme est évidemment infini. Cela implique que l’énergie entre les deux plaques est infinie, ce qui ne fait aucun sens (ou peut-être que oui…). Comme vous le constaterez avec ce calculateur de fonction zeta, le résultat avec -3 est de 1/120. En régularisant la fonction zeta, on obtient une somme finie et négative (puisque la force est attractive) tel qu’illustré dans la formule ci-bas. En fait, il faut voir ce 1/120 comme un outil de calcul, et non comme une somme « réelle ».

Cependant, il est important que ce calcul peut être réalisé sans utiliser de fonction zeta. Casimir lui-même n’a d’ailleurs pas utilisé cette approche dans son article original. Cette petite incursion dans un monde imaginaire n’est donc pas une nécessité…

La théorie des cordes

Cependant, l’application physique la plus populaire de cette approche mathématique fut certainement pour la théorie des cordes. La suite de Ramanujan fut d’ailleurs énoncée en 1998 dans un livre de référence sur le sujet, « String Theory » de Joseph Polchinski’s.

L’avantage de cette sommation est qu’elle permet d’obtenir un nombre fini, plutôt que l’infini. En physique, on tente généralement d’éviter à tout prix l’infinité. La suite de Ramanujan permet aux adeptes de la théories des cordes de déduire que l’univers comporte 26 dimensions (10 pour la Super théorie des cordes). Pour la plupart des physiciens, ce chiffre apparaît loufoque et contribue à réfuter la théorie des cordes. En fait, tout porte à croire qu’il existe 4 dimensions dans l’univers (trois d’espace et une de temps). Il faut évidemment garder un esprit ouvert, mais il appert que la théorie des cordes soit non-prouvée à ce jour et potentiellement improuvable.

Conclusion

Srinivasa Ramanujan n’était pas un mathématicien de formation. Il a grandi dans la pauvreté et est devenu un autodidacte. À 13 ans, il avait déjà commencé à découvrir des théorèmes très sophistiqués. Malgré son génie évident, il n’arriva pas obtenir un diplôme en Inde car le seul sujet sur lequel il concentrait ses efforts était les mathématiques. C’est par hasard que son talent fut reconnu alors qu’il cherchait un emploi. Un envoi de lettres à deux professeurs de l’Université de Cambridge en Angleterre fut reçu avec indifférence. Mais une troisième lettre tomba entre les mains de G.H. Hardy, qui fut sidéré par le talent du jeune homme et l’invita à Cambridge, où il marqua l’histoire des mathématiques de ses contributions extraordinaires. Il mourut malheureusement de la tuberculose à seulement 32 ans.

En raison de sa provenance et de la nature de sa formation, Ramanujan était un « outsider » non-diplômé au style peu orthodoxe. Plusieurs « experts » de l’époque ont cru que ses découvertes étaient fausses et ses méthodes invalides car les implications étaient trop drastiques. Malgré son incroyable talent, il fallut tout un concours de circonstances pour qu’il fasse son chemin vers la reconnaissance et pour que son savoir puisse nous éclairer aujourd’hui. Son parcours ne fait que confirmer ce que j’affirmais dans mon article sur la science (voir ceci). Il faut souvent un « non-expert » pour révolutionner un domaine d’expertise…

Néanmoins, la suite de Ramanujan a donné un faux-espoir aux adeptes de la théorie des cordes, leur fournissant un nombre fini, et a eu comme impact de ramener celle-ci à l’avant-plan. Par le fait même, plus d’une décennie fut gaspillée par certain des plus grands savants du monde à tenter de prouver cette théorie, sans succès. Tout cela parce qu’ils ont mal interprété un résultat conceptuel, le confondant pour une somme réelle…

On ne sait pas avec certitude le nombre exact de dimensions de l’univers, mais ce nombre est fort probablement inférieur à 10. C’est d’ailleurs le sujet du dernier tome, le sixième, de l’excellente série d’Andrew Thomas « Hidden in Plain Sight ».

Source: Le Minarchiste


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