Avec la campagne électorale, chaque candidat ira de ses propositions, parfois sensées, le plus souvent affligeantes. Il n'est pas dans mes capacités de toutes les recenser, mes journées n'ayant que 24 heures. Mais je reposte ici une critique déjà ancienne d'une proposition qui figure sous diverses formes dans tous les programmes de gauche, et qui dérivent d'une loi, la loi SRU, qu'hélas même la droite ne veut pas abolir: forcer les promoteurs à inclure un certain pourcentage de logements sociaux dans tout programme neuf. Le résultat certain ? On produira moins de logements et les pauvres seront encore plus mal logés. L' explication de cette conclusion contre intuitive suit.
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PROPOSITION TYPE (Page 217 du Rapport 2010 de la Fondation Abbé Pierre) : Imposer sur tout le territoire et dans tout programme immobilier de plus de 10 logements un quota minimum de 30 % de logements à loyer accessible (logements sociaux ou logements privés conventionnés) (F. Hollande dit seulement 25%).
Dans la continuité de la loi SRU, promulguée en l'an 2000, le rapport voudrait que tout promoteur inclue 30% de logements subventionnés dans ses programmes. Notons que dans de nombreuses opérations de ZAC ou de grand ensemble, cette obligation existe déjà, mais avec un pourcentage généralement plus faible. En général, ce sont les logements "non sociaux" qui absorbent le coût de la subvention aux logements sociaux.
Examinons les conséquences pratiques de cette obligation
Imaginons donc un programme de 100 logements, qui reviendraient tous au prix de 150 000 euros en l'absence de la règle des 30% à leur constructeur, lui permettant de les vendre à 170 000 euros pièce hors taxe (la transaction moyenne en France a atteint 192 000 euros en 2005, nous sommes donc dans des ordres de grandeur réalistes). Imaginons maintenant que le législateur impose à 30 de ces unités d'êtres vendues seulement 100 000 euros HT à un organisme social, pour lui permettre de la louer à un prix très inférieur à celui du marché. Après tout, la "maison à 100 000 euros" a été le slogan de bataille de M. Borloo et de Mme Boutin lors de son passage au ministère du logement.
Le manque à gagner sur le prix de revient de notre bâtisseur sera de 1 500 000 Euros, et sur le prix de vente de 2 100 000 Euros, qu'il devra répercuter sur les 70 logements ordinaires. Selon qu'il veuille simplement couvrir sa perte ou maintenir la totalité de sa marge, le surcoût qu'il devra imposer aux 70 acheteurs sera compris entre 21 400 et 30 000 euros par logement, soit un prix de vente désormais compris entre 191 400 et 200 000 Euros par logement, au lieu de 170 000.
La subvention du social par le promoteur, facteur d'accroissement du risque financier
Seul problème: là où il pensait pouvoir trouver 100 acheteurs à 170 000 euros, notre bâtisseur trouvera-t-il facilement plus ou moins de 70 acheteurs à 200 000 ? La loi de variation (les économistes parlent d'élasticité) de la demande de logement par rapport au niveau de prix est évidemment une donnée extrêmement fluctuante, en fonction du coût du crédit, des effets d'aubaine, et du facteur général de rareté de l'offre généralement lié aux règles de gestion de la ressource foncière. Mais d'une façon générale, l'expérience montre que dans un tel cas, les promoteurs choisissent de limiter les risques en pariant plutôt sur une soixantaine de logements vendus, tout simplement pour limiter la perte liée à la subvention en cas de mévente de la partie privée du programme.
En effet, imaginons que dans un marché libre, il ait surestimé la demande de 10% : il ne vendra que 90 logements à 170 000 euros soit un chiffre d'affaire de 15 300 000 euros (au lieu des 17M prévus), pour un prix de revient de 15 000 000 € - en supposant qu'il ait construit tous les logements, ce qui est le cas dans les opérations de collectif. Son bilan sera tout juste équilibré.
Mais imaginons maintenant que la mévente porte sur des logements proposés non pas à 170 000 mais à 200 000 euros. Si 10 logements n'avaient pas trouvé preneur à 170 000, il est probable que, dans la même conjoncture, il y ait plus de 10 logements à 200 000 qui restent sur les bras de notre promoteur.
Ce postulat trouve une justification encore plus forte du fait que puisqu'il n'est pas possible d'imposer un seuil de 30% à des programmes de 1 logement, ou d'un petit nombre de logements, le législateur imposerait un seuil de 10 logements (c'est la proposition de la fondation Abbé Pierre) au dessus duquel le promoteur devrait se soumettre à l'obligation d'inclusion. Le promoteur devrait donc faire face à une concurrence accrue des constructions individuelles et des programmes de moins de 9 logements, qui eux, pourraient, dans les mêmes conditions continuer à se vendre 170 000 euros, pour un produit identique.
Or, du fait de la subvention aux logements sociaux, la perte par logement invendu -le prix de revient- ne serait plus de 150 000 euros mais de 171 000 !
Bref, l'inclusion de logements sociaux dans le programme oblige le promoteur a supporter un risque de retournement de marché plus élevé et une perte par logement invendu plus forte que dans un programme sans cette contrainte. Naturellement, si le programme ne portait que sur des maisons individuelles, qui ne sont construites qu'après avoir été vendues sur plan, la perte serait un peu moins sévère, mais le raisonnement ci dessus n'en serait pas moins valide.
Résultat final: une diminution de l'offre totale
Comment réagira le promoteur ? En limitant le nombre de logements sociaux proposés, et donc en limitant son risque de perte. Ainsi est il possible, voire probable, qu'il réduise, par exemple, son offre à 80 logements, avec 24 logements sociaux (au lieu de 100 et 30). Par conséquent, moins de logements sont construits au total, et de fait, cette offre moindre tendra à augmenter encore les prix du marché non subventionné, et donc à augmenter le besoin ressenti de logements sociaux, et à rendre encore plus désirables les programmes de 9 logements et moins, lesquels ne supportent pas la distorsion créée par la subvention !
Mais, me direz vous, ce n'est qu'un raisonnement. Se vérifie-t-il dans les faits ?
Confirmation empririque
Et bien oui. Citons les travaux de Stringham et Powell ou Stringham et Means qui ont étudié les résultats de politiques similaires, appelées "inclusionary zoning", en Californie, laquelle est de loin l'état le plus cher de l'Union même en période d'éclatement de bulle de crédit, à cause de réglementations foncières parmi les plus restrictives au monde.
Les auteurs ont comparé l'évolution de l'offre globale de logements dans les villes californiennes qui ont promulgué des ordonnances d'inclusionary zoning avec celle des cités qui s'en sont abstenues, et ce alors que le taux de logements sociaux retenu par ces municipalités était généralement contenu "seulement" entre 10 et 20%. Ils trouvent que dans les villes avec Inclusionary Zoning, la baisse immédiate de l'offre dans les années suivant le vote de l'ordonnance est d'au moins 10%, et le prix des logements non subventionnés grimpe de l'ordre de 20%,; Voici un résumé de leur recherche :
"Dans l'intervalle de temps de l'étude, le nombre de cités californiennes ayant imposé l'inclusionary zoning est passé de 15 à 56. Nous avons comparé l'évolution de l'offre et des prix dans ces villes et celles qui n'avaient pas adopté de telles lois. Les cités ayant imposé l'inclusion ont vu une hausse de 20% dans les prix des logements et une diminution de 10% du nombre de logements neufs construits. C'est la loi de l'offre et de la demande à l'oeuvre.
Les obligations d'inclusion ont une conséquence inattendue: elles ont réduit l'incitation à la construction neuve, et la réduction globale de l'offre a conduit à augmenter les prix (des unités non subventionnées). Quand les promoteurs sont forcés de vendre une partie de leur production en dessous des prix du marché, ils ont le choix entre réduire le nombre d'unités "accessibles" ou d'encaisser une perte plus importante. Et bien, sans surprise, ils choisissent presque toujours de réduire le nombre d'unités subventionnées, en réduisant le nombre total de logement offerts. En d'autre termes, puisque la loi les force à vendre un certain pourcentage de logement à perte, ils vont réduire la dépense totale pour limiter leur risque.
Dans notre pays où la construction globale dans les années fastes peine à dépasser les 400 000 logements, alors que la plupart des estimations sérieuses (Caisse des Dépôts, Rapport Attali, Héritage et Progrès... et Vincent Benard) font état de plus de 500 000 unités à produire chaque année pendant 10 ans pour pouvoir non seulement suivre l'augmentation du nombre de ménages mais aussi éliminer rapidement du parc les unités les plus insalubres, alors vous comprendrez que les effets macro-économiques à long terme de la mesure proposée par la fondation, qui tendrait à réduire d'environ 10% l'offre annuelle totale de logements produits par le secteur privé, seraient désastreux.
Social, vous avez dit social ?
Ajoutons qu'il est à parier que très rapidement, comme pour tout logement social bien intégré dans un ensemble urbain privé de qualité, les logements ainsi subventionnés ne seront pas occupés par des ménages réellement dans le besoin. Les organismes loueurs, soucieux de réserver leurs meilleurs logements aux meilleurs dossiers, pour être certains de faire rentrer les loyers afférents, loueront, dans le meilleur des cas, les logements à des familles présentant un "bon profil", c'est à dire avec un potentiel leur permettant rapidement de s'élever dans les tranches élevées du seuil d'admission dans un logement social. Cet effet d'aubaine lié à la chasse aux meilleurs logements sociaux a été décrit dans de nombreux rapports officiels (cf. cet extrait de mon ouvrage). L'augmentation des prix du logement privé résultant de la subvention renforcera la compétition pour le logement social de la part des ménages de classe moyenne supérieure, condamnant les familles les moins chanceuses aux taudis, aux cités à problèmes ou au logement de fortune.
Transférer les coûts de la politique sociale du logement sur les promoteurs est l'archétype de l'idée qui plait aux politiciens, car "cela ne coûte rien au contribuable", mais dont le bilan global est affligeant. Pour bien moins cher, une loi de libération foncière permettrait de réduire à presque rien le coût des interventions à caractère "social" autour du logement.
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