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Cette startup canadienne est en train de révolutionner le business des crevettes

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Installée en rase campagne, l’élevage de crevettes de Paul Cocchio a connu des débuts difficiles. Après tout, le mode d’emploi pour convertir une porcherie de l'Ontario, en un complexe de bassins d’eau de mer pour crevettes tropicales avec des températures stables, ne se trouve pas au coin de la rue. C’est un business étonnamment méticuleux : partir avec des bébés crustacés, des spécimens translucides de la taille d'un cil, pour les élever jusqu’à ce qu’elles rejoignent un beau plateau de fruits de mer digne des meilleures tables.

Jusqu’à présent, Paul Cocchio avait passé sa vie à élever des porcs et des vaches laitières, tout en cultivant ses 45 acres (182 ha) de terre. Celui qui avait consacré ses dernières années à gérer du pondérable, du terrestre et du visible, pouvait à peine garder ces minuscules bestioles vivantes.

Paul Cocchio
Paul Cochio et son filon : la crevette blanche du Pacifique.

Ses crustacées juvéniles en ont vue des vertes et des pas mûres. Quand elles n’étaient pas aspirées par les pompes à eau, l’excès de nourriture ou la sous-alimentation – ces quelques grammes en plus ou en moins – les conduisaient vers une mort certaine. L'hiver dernier, c’est le système de chauffage de l’eau de mer qui a rendu l’âme.

Après des années de planification et de construction, sans oublier les deux années qu'il a fallu pour que les crevettes blanches du Pacifique soient ajoutées à la liste des espèces qui peuvent être légalement cultivées en Ontario, l’agriculteur de 49 ans n’a jamais abandonné.

« Quand vous mettez 12 000 crevettes dans un de ces bassins de démarrage et que seules 500 d'entre-elles survivent, ce n’est pas terrible », explique-t-il.

Mais les choses vont mieux. Avec son fils comme associé, quand le duo relèvent le filet d’un des bassins, celui-ci frétille de crustacés combattants – ou le joyeux scintillement des crevettes devenues adultes. Paul Cocchio prend alors l’allure d’un homme qui vient de découvrir la pointe d’un diamant sous son tapis de salon.

La paire de pionniers, avec leur élevage baptisé First Ontario Shrimp, produit maintenant des crevettes géantes, un mets ultra-frais au goût subtil et délicat qui n’avait auparavant jamais été servi dans cette province continentale. Ce sont les premières jumbos crevettes à être cultivées avec succès au Canada. Ce petit projet offre un avant-goût d'un avenir que les amateurs de fruits de mer et de nombreux écologistes ont longtemps imaginé. Un futur où des espèces marines peuvent être élevées sous abri, à l'intérieur des terres, dans des régions enclavées. Une ferme aquacole, avec zéro rejet, située à quelques heures de route des premiers principaux marchés.

« Après 25 ans dans le business du fruit de mer, je n’ai pas vu beaucoup de nouvelles choses qui m’ont autant excitées », souligne un restaurateur de Toronto, qui sert de la crevette géante et écoule 40 livres par semaine dans le coin boutique de son restaurant.

Indépendamment de la fraîcheur et la qualité, le fonctionnement de Cocchio est à l’opposé de ce qui se fait dans le reste du monde, où l'industrie de la crevette fait des ravages effroyables en termes de coûts écologiques et humains.

Ocean Wise, le programme de conservation initié par l'aquarium de Vancouver a apporté son soutien au projet. Quant aux restaurateurs de Toronto, ils commencent à se bousculer et veulent miser sur la crevette des Cocchio père et fils, alors que de nombreux autres étals réclament un approvisionnement.

Cocchio père et fils
Paul Cocchio et son fils Brad dans leur ferme aquacole de Campbellford, Ontario. 


Le filon des crevettes de la Terre du Milieu

La ferme aquacole First Ontario Shrimp semble être seulement le début d’un juteux filon, une mine d'or de la crevette au beau milieu du Canada. A quelques heures au sud-ouest de Campbellford, dans une ancienne usine d’Imperial Tobacco à Aylmer, en Ontario, la construction d’installations à la pointe de la technologie doit démarrer sur 65 000 pieds carrés (plus de 6 000 m²). Le complexe, appelé Planet Shrimp (allez voir leur site, il vaut le détour), est dans sa première phase de développement. La ferme devrait ouvrir en fin d’année et commencer ses premières expéditions en avril. Elle aura la capacité de produire quelques 400 000 livres annuelles de crevettes de haute qualité.

Pour la guider dans ses opérations, Planet Shrimp a embauché des experts de l'aquaculture du sud des États-Unis, où l'élevage de crevettes en système fermé est un secteur en plein essor. Ils ont également fait appel à des ingénieurs structurels et des architectes pour développer un système exclusif qui va permettre d’empiler les bassins sur 7 ou 8 étages, afin de maximiser la productivité.

Le process de Planet Shrimp en video :


« Nous les récolteront le soir à 22 h, avant de charger nos camions à 2 h du matin, pour qu’elles soient sur les plateformes des distributeurs à 3 h et dans les restaurants avant midi », avant d’ajouter, « c’est du frais mec ! On en peut plus frais ! »

« Les Cocchio sont des pionniers, des innovateurs. Ils ont lancé ce truc », s’enthousiasme un spécialiste de l'aquaculture du département de l'Agriculture, de l'Alimentation et des Affaires rurales de l'Ontario. Planet Shrimp déplace le curseur littéralement à une autre échelle. « Si Planet Shrimp marche, ça va bouleverser la façon dont les crevettes sont cultivées sous les climats tempérés. »


Une vague de changements

La crevette est le fruit de mer préférée en Amérique du Nord. Les Américains consomment plus d'un milliard de livres annuelles, constituées essentiellement par des importations. Si l'élevage de crevettes est monnaie courante depuis des décennies en Asie du Sud, cela se fait dans des bassins extérieurs ouverts qui génèrent d'énormes coûts humains et environnementaux.

Data from the FishStatJ database of the Food  Agriculture Organization FAO
La demande et les importations explosent.

« En Thaïlande, en Indonésie, au Vietnam et dans d'autres pays de l’Asie du Sud-Est, ainsi qu’en Chine, les producteurs abattent des forêts côtières et des mangroves, puis remplissent leurs bassins de produits chimiques et d’antibiotiques », commente un expert de la pêche mondiale et biologiste marin à l'université de Colombie-Britannique. Ces produits chimiques se retrouvent sur nos tables. Les inspecteurs fédéraux canadiens ont trouvé de la tétracycline et des fluoroquinolones dans les crevettes importées, ainsi que des nitrofuranes, un autre antimicrobien, qui sont interdits au Canada dans l’alimentation des animaux d’élevage.

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La destruction des mangroves dans le monde : l’Asie affole les stats.

Dans ce type d’alimentation, les crevettes ont le droit à un repas pas cher, composé de poissons locaux qui sont, dans de nombreux cas, péchés par de véritables esclaves. Plus de 2 000 pêcheurs captifs, attirés sur des chalutiers thaïlandais sur lesquels ils ont été réduits en esclavage et durement maltraités, ont été libérés au cours des six derniers mois.

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Esclaves des mers.

Le chalutage des crevettes sauvages, quant à lui, provoque d’autres conséquences : chaque kilogramme pêché impliquent de multiplier x ce fois ce poids en diesel ou en un autre carburant. Entre 5 et 15 kg d'autres espèces marines sont jetés par dessus bord après un seul chalutage. « Que ce soit de la capture ou de la ferme aquacole, le coût environnemental est immense », poursuit le biologiste marin.


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La dramatique chute des prises dans le golfe de Thaïlande.

Des fermes aquacoles dans l’arrière-pays, telle que celle des 'Cocchio permet d’éviter bon nombre de ces écueils. L’ancienne porcherie est divisée en 16 bassins en béton, chacune avec sa propre pompe spécifique et une composition de l’eau précisément calibrée. Les Cocchio n’utilisent pas d’antibiotiques ou d’additifs chimiques mais un starter de bactéries pour encourager la croissance d’algues, qui consomment les déchets et se transforment en une source de nourriture précieuse.

Il y a peu de risque d'impact sur les espèces marines sauvages voisines. La crevette blanche du Pacifique ne peut pas survivre plus de quelques minutes à l'extérieur d'eau de mer chaude, sans compter que l'océan le plus proche est à 500 kilomètres. La ferme produit également zéro rejet, car l'eau des bassins à crevettes est constamment recyclée.

Cela ne veut pas pour autant dire que les crevettes élevées en intérieur soient à l’abri de toutes controverses. Niveau alimentation, par exemple, ces crustacés ont encore besoin de consommer de l'huile de poisson et des poissons de capture, sous forme de farine de poisson. Mais la plupart de ces farines, élaborées à partir d'anchois d’Amérique du Sud, sont désormais certifiées « pêche responsable et durable ». A Ocean Wise, on note les progrès rapides qu’ont faits les chercheurs en aquaculture et les fabricants d'aliments pour réduire la quantité de poissons sauvages dans leurs formules, en les remplaçants par le soja et d'autres matières végétales.


Nous sommes partis pour rester

L'aquaculture continentale est susceptible de se développer à vitesse grand V. À Victoria, capitale provinciale de la Colombie-Britannique, une société appelée Halibut PEI produit du flétan de qualité supérieure dans ses bassins situés à l’intérieur des terres. Sur la côte Pacifique, un projet similaire mené par les indiens Namgis, sur l'île de Vancouver, produit un saumon remarquable, étiqueté « élevé sur terre ». A Ingersoll, en Ontario, une ferme peu connue - mais à l’énorme succès produit - 1,2 millions de livres de tilapia par an.

Quant aux crevettes, une nouvelle ferme est prévue à l'est de Toronto. En Colombie-Britannique, des efforts sont entrepris pour élever des langoustes et des crevettes en plein milieu des terres. L'année dernière, les conseillers municipaux de Pincher Creek, au sud-ouest de l'Alberta, ont approuvé une demande pour un élevage de crevettes. Cependant, rien ne semble encore rivaliser avec le niveau commercial que les Cocchio sont en train d’atteindre.

Paul a commencé à élaborer son projet de granges aménagées il y a huit ans. Le prix du porc avait rendu sa vie d’éleveur bien trop difficile, il a alors commencé à rechercher sur Google des variantes pour utiliser ses installations. D’anciens éleveurs de porcs de l'Indiana et de l'Iowa se sont également lancés dans l'aquaculture avec un certain succès. Ils sont passés d’équipements peu chers, avec des piscines hors-sol simplement installées dans leurs porcheries, avant de les équiper avec des radiateurs et des pompes du dernier cri.

Les Cocchio voulaient faire mieux. Les premières indications montrent qu’ils ont réussi. Père et fils ont affiné les horaires d'alimentation pour éviter la surnutrition ou la sous-alimentation. La qualité de l'eau est stabilisée, grâce au starter bactérien qu'ils utilisent. Ils ont même pour objectif de l’améliorer au fil du temps.

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Des crevettes juvéniles. Elles pourront être commercialisées après 17 semaines d’élevage.

A l’heure actuelle, ils vont venir 20 000 bébés crevettes toutes les deux semaines, transportées de nuit, à partir d'une écloserie de Floride. Il faut 17 semaines pour qu’elles atteignent la taille commerciale. Pour le moment, ils ont beaucoup plus de demandes pour leurs crevettes par rapport à ce qu’ils peuvent offrir, mais ils s’attendent à quadrupler leur production dans les prochains mois, pour arriver à 400 livres par semaine.

Mais la famille a encore deux porcheries vides. L'autre week-end, le père Cocchio raconte qu’un couple d'étrangers est venu à Campbellford pour lui proposer de l'argent afin de convertir ses deux bâtiments en un nouvel élevage de crevettes. De toute évidence, ce nouvel investissement serait beaucoup moins cher que ces premières installations, « parce que nous ne referions pas les même erreurs ».

Mais le père Cocchio dit ne pas être intéressé. Pourquoi travailler avec des investisseurs extérieurs, alors qu’on vient de mettre la main sur des crevettes en or.
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