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Bernard Marois

Bernard Marois

Bernard Marois est diplomé d’HEC, MBA de l’Université Columbia de New York et docteur en sciences de gestion. Il est actuellement professeur emeritus au Groupe HEC.

Il écrit régulièrement dans des revues spécialisées, telles que Banque Magazine, La Revue Francaise de Gestion ou Les Echos.

Il faut repenser la théorie financière et la notion de transparence

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La théorie financière classique fonctionne à partir de 3 hypothèses implicites : «  la rationalité économique » des acteurs ; l’absence de délit d’initié ; le bon fonctionnement de la gouvernance d’entreprise (donc du contrôle des dirigeants), grâce aux administrateurs indépendants. Il est donc intéressant de questionner la réalité (ou la fiction) de ces 3 hypothèses.

 

1)   La rationalité « économique » des acteurs financiers 

Les économistes libéraux stipulent que les acteurs financiers prennent leur décision d’une façon rationnelle, l’hypothèse retenue étant celle d’une « maximisation des profits ». Or, on sait aujourd’hui que la réalité des marchés est différente : la dimension psychologique est importante : ainsi, il n’y a pas de symétrie de comportement pour des gains et de pertes d’un même montant ; l’aversion au risque n’est pas forcément proportionnelle et stable dans le temps! Les « mouvements de foule » (en anglais, « herding ») sont essentiels : mieux vaut avoir tort avec tout le monde que raison seul. D’où le développement récent de la « théorie des jeux » qui trouve de nombreuses applications en finance de marché.

Autre illustration patente : le « chartisme ». Beaucoup d’analystes pensent que des configurations de courbes passées se reproduiront à l’avenir ; d’où la mise en évidence « de seuils de résistance » ou «  de soutien «  qui attribuent des valeurs quasi-sacrées à des niveaux de cours historiquement marquants (par exemple, le seuil de 3780 pour le CAC 40). Dans cette démarche, « les fondamentaux » des entreprises ne sont pas pris en considération dans la prévision des cours, ce qui est pour le moins étrange. Les néo-libéraux considèrent « le chartisme » et « l’analyse technique » en général, comme une forme de « fétichisme » des chiffres et pourtant de plus en plus de « traders » y attachent une grande importance et ajustent leur prise de décision en fonction de ces graphiques.  

 

2)  Le rôle prépondérant joué par les administrateurs « indépendants » dans les conseils d’administration

Ceux-ci sont sensés être les garants de la bonne gouvernance des entreprises : ils agiraient pour le compte (et les intérêts) des actionnaires.

Déjà la notion d’indépendance  « prête à confusion » : ce n‘est pas parce qu’un administrateur n’a aucun lien avec l’entreprise qu’il supervise qu’il est réellement indépendant ! Cette vision fait fi de la dimension sociologique : beaucoup d’administrateurs appartiennent à une élite auto-entretenue, où ses membres se côtoient à longueur d’années dans les colloques, les réunions mondaines, les cercles divers. Il y a souvent des nominations « réciproques » : un administrateur de la société A est nommé parce qu’il est PDG de la société B, donc censé être compétent, mais on s’aperçoit alors que le PDG de la société A est comme par hasard, déjà administrateur de la société B !

En outre, les jetons de présence sont à la hausse : ils ont quasiment doublé pour les sociétés du CAC 40 depuis 5 ans. Conserver cette sinécure confortable peut être aussi une motivation, humaine, de l’administrateur, dit indépendant, l’amenant de ce fait à caresser la direction de l’entreprise « dans le sens du poil ». D’ailleurs on constate qu’il y a très peu de démissions d’administrateurs indépendants, pour cause d’antagonisme avec la direction de l’entreprise !

 

3)   Le «mythe » de la « muraille de Chine »

Il faudrait croire qu’un dirigeant d’entreprise connaissant des informations privilégiées sur l’évolution de sa société, s’interdirait d’en faire un usage personnel ou d’en faire bénéficier des proches. Sans vouloir revenir sur des affaires jugées, telles qu’E.A.D.S, on peut rester cependant sceptique sur ce principe, qui de nouveau ignore les dimensions psychologiques et sociologiques des marchés.

Il en est de même dans le secteur bancaire. Même s’il existe des procédures précises et vérifiables de séparation des  activités de « trading » et de « selling », « la muraille de Chine » peut facilement être ébréchée, parfois même involontairement, du fait de la proximité géographique des intervenants et de leur participation aux mêmes cercles. On pourrait également évoquer le rôle joué par Goldman Sachs en Grèce : conseiller d’abord, puis « trader » ensuite, pour son plus grand profit. De plus, l’existence d’internet et l’accélération des transactions rendent les contrôles beaucoup plus difficiles à exercer. Il faut savoir que deux tiers des transactions boursières US et un tiers des ordres européens font l’objet d’opérations extrêmement rapides (« flash trading » ou « high frequency trading »). Obtenir une information privilégiée quelques secondes avant ses concurrents devient un avantage capital !

Toutes ses illustrations indiquent bien qu’il est temps de repenser la théorie financière, afin d’intégrer ces nouvelles dimensions. Certains théoriciens ont voulu faire de la finance une science « exacte » (une science « dure »), mais c’est faire peu de cas du réalisme des marchés, qui se vengent en infirmant les beaux principes, algorithmes et autres finesses exposés dans les manuels de finance depuis plusieurs décennies.
 

Bernard MAROIS

Professeur Emérite HEC PARIS

Président du Club Finance HEC

 

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