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Vincent Benard

Vincent Benard

Vincent Bénard est analyste à l'Institut Turgot (Paris) et, depuis mars 2008, directeur de l'Institut Hayek (Bruxelles). C'est un spécialiste du logement et  de la crise financière de 2007-2008 (subprimes). Grand défenseur du libéralisme économique, Vincent décortique tous les errements des Etats providence !

Le système actuel de retraite : voué à la faillite?

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Beaucoup de choses sont écrites sur notre système de retraites actuel. Certains disent qu'il est virtuellement en faillite, d'autres qu'il peut être sauvé... Pour comprendre la situation financière de notre régime de retraite, je vais vous infliger quelques mathématiques simples (rassurez vous, rien que des règles de trois, ça ne fait pas mal !)

 

Arithmétique du système

 

Le calcul ci dessous, et tous ceux qui suivront, ne prétend pas à l'exactitude rigoureuse mais a pour but d'essayer d'exposer un mécanisme moyennement complexe dans ses principes, à partir d'hypothèses simples sans être trop simplistes.

 

Pour comprendre à partir de chiffres simples, imaginons un pays fictif, dans lequel naissent chaque année exactement 1000 personnes (les chiffres ronds, c'est bon pour la compréhension), ou toute personne née meurt à exactement 75 ans, entre sur le marché du travail à 20 ans, touche 2000 euros de salaire brut, prend sa retraite à 65 ans(*). Par souci de simplification, dans ce pays, n'existe aucune inflation (raisonnement à monnaie constante), et les gens ne sont jamais malades (prendre en compte l'assurance maladie ne rendrait pas  les calculs qui suivent plus simples...).

 

(*) dans le monde réel, ces chiffres auraient représenté des  moyennes réalistes il y a quelques années. la question de la prise en charge des inactifs est totalement éludée.

 

Le gouvernement de ce pays décide de créer une retraite publique qui garantit aux salariés de ce pays une pension égale à 1500 Euros, à partir de 65 années, financée  par un prélèvement proportionnel opéré sur le revenu des actifs. Cette caisse fonctionne sous le principe "pay as you go": ce qui est versé aux ayant-droits est financé par les versements qui y rentrent, au fur et à mesure que cela rentre. Afin de simplifier les calculs, dans notre pays fictif, la caisse de retraite  n'a pas de frais de gestion ! Comment ça, on s'éloigne du réel ?

 

Quel taux de retenue faut il appliquer sur notre salaire brut de 2000 Euros pour financer la retraite ainsi définie ?

 

Le nombre de retraités à servir est de (1000 X 10 générations), soit 10 000 personnes. La somme annuelle touchée par chacun est de 18 000 €. La caisse de retraite paie les retraites au fur et à mesure que l'argent rentre. Elle a donc besoin de 180 Millions d'€ pour honorer ses engagements. Le montant à prélever sur les salariés est donc identique. Les cotisants sont au nombre de 45 générations (âge de la retraite – âge d'entrée dans la vie active), avec 1000 personnes par génération. Soit 45000 cotisants, pour 10000 ayant droits. Chaque salarié doit donc financer 1 / 4,5ème de retraite. Soit 4000 Euros par an, 333 € par mois. Le gouvernement peut soit prélever ces 333 euros sur le brut, le net passant alors à 1666€, soit demander aux employeurs d'ajouter ces 333 Euros aux 2000 Euros reçus par les salariés, qui devient ainsi leur net. Admettons qu'il coupe la poire en deux: le coût total pour l'employeur passe à 2166 Euros, le salarié touche 1833 Euros. Le taux de prélèvement sur la masse salariale est donc de 15,4% ((2166-1833)/2166) – Le taux de remplacement du salaire est de 81%: 1500/1833. Pas mal du tout ! Les employeurs notent que avec un coût du travail en légère augmentation, ils risquent de perdre en compétitivité. Personne ne les écoute, car, c'est bien connu, les patrons sont de vils exploiteurs qui ne pensent qu'à gruger leurs salariés, et ce sont des riches. Et les riches, « ça peut payer ». Ah mais.

 

Le gouvernement inscrit donc dans les tables de la loi la règle visant à garantir 1500 Euros de retraite. La retraite est alors dite "à prestations définies" : l'état s'engage à verser une prestation définie à l'avance à tout pensionné. Seul problème: cet engagement est il provisionné ?

 

En effet, imaginons qu'une succession de changements affecte notre pays fictif.  Toute ressemblance avec des pays bien réels n'est évidemment pas fortuite.

 

Situation dégradée

 

Le premier bouleversement est très positif: la population voit son espérance de vie passer à 80 ans au lieu de 75 ! Personne ne s'en plaindra, au contraire.

 

Les autres évolutions sont moins "glamour" : Tout d'abord, l'âge d'entrée dans la vie active passe à 25 ans, car le monde plus complexe exige des études plus longues, et les exigences de diplômes artificiellement imposées par l'état pour occuper certaines professions se font chaque année un peu plus élevées, quand bien même elles sont parfois injustifiées. Un président démagogue fixe l'âge de la retraite à 60 ans, sans changement de la prestation définie: 1500 Euros pour tous !

 

La baisse de compétitivité du pays provoque l'apparition du chômage : sur les 1000 personnes que comptent chaque classe d'âge, seules 900 cotisent à un moment donné (nous mettrons à part le problème du financement de l'assurance chômage pour ceux qui restent... Toujours par souci de simplification).

 

Résultat: la retraite doit être versée à 20 000 retraités au lieu de 10 000, mais il n'y a plus que (35*900)= 31 500 actifs pour la financer. Soit 1,57 actif par retraité, ou encore 0,63 retraites à payer pour chaque actif.

 

Un équilibre très fragile, sensible aux moindres variations de paramètres

 

La caisse a donc besoin de 360 Millions annuels, chaque salarié actif va donc devoir apporter 11429 Euros annuels à la caisse, soit 952  Euros par mois, au lieu de 333 dans le cas précédent ! On le voit, une dégradation somme toute légère en apparence des données chiffrées fondamentales de la retraite par répartition (âge de la retraite -5ans, durée de vie +5ans, entrée dans la vie active + 5ans, chômage +10%) conduisent à un véritable chamboulement financier de l'équilibre du système.

 

Toujours en admettant que la « poire » soit coupée en deux, le coût total employeur passe à 2476 Euros (+14%), et le salaire net à 1524 Euros (-17%): le pouvoir d'achat des actifs est gravement obéré, et les employeurs étranglés de charges.

 

Imaginons qu'afin de restaurer la compétitivité des entreprises, et de ne pas provoquer la grogne des salariés, le gouvernement décide de limiter le prélèvement à 500 Euros mensuels - au lieu de 333 quand l'espérance de vie était plus faible – dont 250 pour l'employeur, 250 pour le salarié. Ce faisant, il est bien obligé, par divers artifices, de réduire la retraite des ayant-droits existants. Sachant que 189 millions au lieu de 360 rentrent dans les caisses, chacun des 20 000 retraités ne touchera que 9450 Euros annuels, ou 787 Euros par mois ! La retraite des pensionnés est divisé  quasiment par deux, alors que les salariés touchent moins et les employeurs paient plus cher la même quantité de travail, par rapport à la situation initiale.

 

Inacceptable politiquement: le gouvernement décide de maintenir une retraite à 1000 Euros, plaçant la caisse en situation de déficit structurel: chaque année, ce seront 240 Millions qui devront sortir de la caisse de retraite, mais 189 qui y rentreront : le système engendre 51 millions de déficit annuel, que le gouvernement financera soit par d'autres impôts (une TVA "sociale" ? ), soit par la dette, tant que les créanciers croient à la sûreté de sa signature. La répartition n'en n'a plus que le nom... Et le système est voué à une faillite rapide. Dans le monde réel, où ce ne sont pas 1000 mais 500 à 600.000 retraites qu'il faut servir à chaque génération, les besoins de nouveaux financements attendus dans les 50 années à venir se chiffrent en milliards d'euros. Ainsi, le Conseil d'orientation des retraites (COR) estime les "besoins de financements nouveaux", c'est à dire, en langue de bois comptable, les déficits prévus si les lois de calcul des pensions et des cotisations restent en l'état, à 15 Milliards d'Euros en 2015, 24 Mds en 2020, 47 Mds en 2030, et 68 Mds en 2050... Le tout à monnaie constante.

 

Aucune des "solutions" ci dessus décrite n'est satisfaisante. La seule issue qui reste au gouvernement est de relever drastiquement l'âge de la retraite pour rééquilibrer le ratio actif/retraités. Ce qu'ont fait la plupart des pays voisins de la France.

 

Mais cette issue n'est que provisoire, puisque grâce aux progrès de la science, notre espérance de vie moyenne devrait atteindre 85 ans dans 15 ans (c'est déjà fait pour les femmes, qui vivent en moyenne 84 ans), et peut être bien plus encore en 2050 ! Il faudra donc envisager, avec un système par répartition, de continuellement remonter l'âge de la retraite. Mais notre santé nous permettra-t-elle de travailler jusqu'à 70 ou 75 ans ? Et surtout, en aurons nous envie ? 

 

Tant que l'espérance de vie augmente, le gouvernement n'aura d'autre choix que d'adopter un « mix politique » entre réduction des pensions, augmentation des cotisations, augmentation de l'âge de la retraite, création de dette par usage du déficit. Il devra à chaque "réforme" faire face à des oppositions politiques marquées. Vous croyez avoir un "droit à" une certaine retraite, mais le gouvernement sera régulièrement obligé de changer, plus ou moins unilatéralement, les termes du deal dans un sens désavantageux pour le pensionné. le "droit à" la retraite est un faux droit, une fausse promesse de l'état.

 

Premières conclusions : Un système où les prestations sont définies donne de faux droits à retraite, car ces « droits » ne sont pas financés de façon pérenne. En langage comptable, la retraite par répartition où les prestations sont définies est un système qui n'est pas correctement provisionné.

 

Objection : Vous me direz que l'exemple fictif ci dessus est caricatural, que les comptes des régimes de retraite, dans le monde réel, ne se sont pas autant dégradés. Exact !

 

Dans le "monde réel" :  Certes, depuis la mise en place des caisses de retraite, les cotisations ont augmenté --- par paliers successifs,cela s'est moins vu que dans notre exemple ---, les taux de remplacement ont effectivement baissé --- la moyenne des salaires utilisée pour le calcul des pensions est passée de 10 à 25 ans, une façon "détournée" de masquer une baisse autoritaire des prestations servies ---, mais pas dans les proportions cataclysmiques décrites plus haut. Ce qui a sauvé jusqu'ici le régime, c'est l'augmentation constante de la population active, et la croissance qui en a résulté. Mais ce cycle vertueux commence à se retourner: la génération des « baby boomers » d'après guerre commence à arriver massivement à la retraite (1946+60=2006), alors que celle qui arrive sur le marché du travail est née entre 1980 et 1990, période de moindres naissances dues à l'essor de la contraception domestique et à la volonté des familles de maîtriser le nombre de leurs enfants. Le système de retraites actuel court donc à la catastrophe. Ajoutons que les perspectives croissantes de faillite du système seront de plus en plus difficiles à dissimuler, ce qui constituera une incitation supplémentaire à l'émigration des jeunes actifs à haut potentiel, lesquels sont déjà nombreux à s'expatrier: les comptes de la retraite pourraient se dégrader encore plus vite que ne le prévoit le COR.

 

Imaginez une caisse d'épargne qui vous propose de rémunérer votre épargne à 8% sans risque (le double des emprunts d'état à 10 ans !), mais qui pour ce faire, se contente de rémunérer vos comptes avec les dépôts des nouveaux épargnants. Ce système, bien évidemment insoutenable dans le temps, a pour nom «cavalerie financière», «boule de neige» ou encore «arnaque de Ponzi». Il est viable tant que le nombre de nouveaux épargnants connaît une croissance forte. Il s'écroule et fait faillite lorsque le nombre d'entrants dans le système baisse et le nombre de sortants réclamant leurs intérêts augmente. La promesse de rémunération n'est qu'une fausse promesse. Un faux droit.

 

Notre système de retraite: une gigantesque arnaque de Ponzi !

 

De tels dispositifs sont interdits par le code civil depuis 1804, bien qu'à l'époque, Charles Ponzi ne leur ait pas encore légué son patronyme (l'arnaque qui le rendit célèbre fut montée en 1920). Pourtant, le système de retraite que nous venons de décrire fonctionne exactement comme une chaîne de Ponzi.

 

Ses instigateurs n'ont pas pu prévoir, en 1945, que l'espérance de vie croîtrait dans de telles proportions, et que les années 60-70 marqueraient l'essor de la contraception, marquant un changement décisif dans la structure démographique du pays. Mais dès la fin des années 70, des économistes ont alerté les pouvoirs publics sur les conséquences de ces changements, et les modifications qu'ils impliquaient.

 

Malheureusement, par manque total de courage politique, aucun pouvoir n'a voulu s'y attaquer, le comble de la démagogie étant atteint par François Mitterrand qui a, en parfaite connaissance de cause (l'homme était tout sauf bête...), abaissé l'âge de la retraite de 65 à 60 ans, dégradant brutalement le rapport actif/retraités, tellement essentiel pour le bon financement de la répartition...

 

François Fillon a tenté, lorsqu'il émargeait au sein du gouvernement Raffarin, d'expliquer l'impasse dans lequel se trouve le système. Mais, placé sous les ordres d'un premier ministre peu courageux, et du démagogue absolu Jacques Chirac, il n'a pas pu aller au delà d'un simple ajustement paramétrique de la chaîne de Ponzi des retraites françaises. Il est désormais admis que ces ajustements ne règlent qu'un tiers des déficits prévus en 2020, compte tenu de ce que l'on connaît de notre démographie. D'où la nécessité de "réformer" à nouveau.

 

Or, la persistance de tels déficits fait peser une hypothèque très lourde sur la santé financière de l'état Français. Le rapport Pébereau a estimé que par analogie aux normes IFRS, l'état devait intégrer dans sa dette un engagement non provisionné de 900 milliards correspondant aux engagements de retraites du secteur public. Mais il aurait également pu ajouter les engagements de retraite du régime général (salariés du privé) à cet agrégat comptable, puisque cette retraite est bien un engagement non provisionné de faux droits par un organisme public garanti par l'état. Ce sont 2000 Milliards d'engagements non provisionnés supplémentaires que le rapport Pébereau aurait dû mentionner. Mais ce faisant, il aurait sans doute pris le risque de provoquer une véritable panique financière...

 

En effet, face à l'énormité de ces engagements non provisionnés, nous risquons de voir les investisseurs cesser de considérer les dettes de l'état français comme sûres, ce qui pourrait entraîner des difficultés de trésorerie majeures pour l'état Français, voire le conduire à la banqueroute.

 

L'on pourrait écrire un livre entier à détailler toutes les autres tares de notre système de retraite actuel: sa gestion, la profusion de régimes spéciaux, que le gouvernement peine à éliminer, la mauvaise prise en compte des conjointes ayant passé du temps à élever des enfants, etc... Mais les fondamentaux financiers du système sont par eux même tellement viciés qu'ils suffisent à le condamner.

 

Il est donc plus que temps  d'étudier comment sortir de ce système de faux droits et de remiser ce bon vieux Ponzi au placard. Ce sera chose faite dans le deuxième volet de "la retraite pour les nuls", la semaine prochaine.

 

Vincent BENARD

 

 

 

 

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