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Dans le volet précédent de ce dossier "retraites", nous avons touché du doigt l'absence de pérennité de la retraite par répartition et à prestations définies actuellement en vigueur en France, et son incapacité à garantir une retraite décente au plus grand nombre dans son état actuel. Selon la novlangue actuellement à la mode, notre système de retraites actuel n'est pas "durable".
Deux pistes
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Deux écoles réformatrices principales proposent des solutions visant à effacer ces tares. La première propose une transformation du système de répartition, la seconde une transition vers des retraites par capitalisation. Sans prendre parti pour l'instant, étudions aujourd'hui la première des deux alternatives: transformation du système "par répartition et à prestation définies" en un système "par répartition à points et à cotisations définies".
L'économiste Jacques Bichot et l'ancien ministre libéral Alain Madelin ont édité en 2003 une proposition de réforme du régime de retraite par répartition visant à réformer les tares les plus criantes de notre retraite-cavalerie actuelle.
Prestations définies vs. cotisations définies
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Ils partent du constat que les systèmes de retraite à prestation définie sont dangereux (y compris, d'ailleurs, les systèmes de retraite par capitalisation à prestations définies) et que le véritable clivage se situe donc sur le caractère défini ou non des prestations en sortie.
Leur proposition de réforme vise donc à rendre le système structurellement équilibré financièrement, en instituant un niveau de cotisations défini une fois pour toutes, mais en statuant que ce qui sortira de la caisse ne pourra être supérieur à ce qui y rentre.
Au passage, leur système permettrait d'en finir avec deux tares congénitales du principe actuel: tout d'abord, le système à prestation définies à permis à certains lobbies de se tailler sur mesure des prestations supérieures à celles des autres: les fameux régimes spéciaux. D'autre part, l'âge du départ en retraite est fixé technocratiquement, sans tenir compte des souhaits des individus, et les décotes et surcotes pour départ anticipé et retardé sont désavantageuses pour le salarié qui agit de la sorte: encore un expédient trouvé par nos dirigeants pour réduire la dette du système... Le système Madelin-Bichot prévoit un mécanisme simple permettant à chaque personne de choisir l'âge de son départ en retraite, tout en assumant les conséquences prévisibles de son choix en termes financiers, ces conséquences faisant l'objet d'un calcul équitable. .
Le système Madelin-Bichot constitue, à quelques détails près, une extension au premier euro du système de retraite de l'AGIRC, la caisse de retraite complémentaire des cadres.
Essayons de décrire comment fonctionnerait ce système dans notre pays fictif du premier chapitre, celui où tous les chiffres de population et de revenus sont moyennés et arrondis.
Arithmétique du système
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Dans le pays fictif de notre épisode précédent, rappelez vous, le salaire moyen versé par l'employeur était de 2166,66 Euros mensuels, charges patronales de retraite incluses, et le taux de cotisation de 15,4% (333,33â¬). Madelin et Bichot proposent de fixer une fois pour toutes le taux de cotisation des salariés suite à "une grande consultation nationale". Pour l'exercice, retenons donc un taux de 15,4% sur un salaire moyen complet de 2166,66 Euros (Ce taux est assez voisin de ce qui est généralement consacré aux retraites partout dans le monde).
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Dans le système proposé, la cotisation de 333,33⬠serait convertie en points, un point valant, au hasard, 33,33 Euros. Chaque salarié reçoit donc chaque mois 10 points, 120 par an, qu'il accumule sur un compte de points.
Imaginons qu'il solde sa retraite dans une situation identique à celle de la situation initiale: tous les salariés (1000 par année d'âge) entrent sur le marché du travail à 20 ans, en sortent à 65, et meurent à 75. Dans ce cas, la retraite versée est de 1500 Euros, comme dans le cas initial. En effet, chaque salarié accumule 45*120=5400 points de retraite, et chaque salarié vivra 10 ans après le solde de sa pension, donc consommera 540 points annuellement une fois sa retraite soldée. Il y aura 10000 retraités vivants. La caisse, qui va recevoir 180 millions de cotisation, va en déduire la valeur du point en fonction du nombre de points qu'elle aura à servir. Soit 180M / 5,4M points, soit, logiquement, 33,33 Euros par point, chaque retraité touchera donc 540*33,33=18000 Euros/an, pendant 10 ans.
Si l'espérance de vie monte à 80 ans, les autres conditions restant inchangées, la retraite sera soldée sur 15 ans. Chacun « brulera » donc 360 points annuels. La caisse devra servir 5,4 M points annuels, avec une rentrée d'argent identiques: la retraite touchée sera de 12.000 Euros/an pendant 15 ans. Si l'âge moyen d'entrée dans la vie active augmente, votre retraite diminue itou, car moins de cotisants égale une moindre valeur du point. Jusqu'ici, vous peinez à voir une différence avec notre système actuel.
Ce qui change
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Ceci dit, dans un système libre, tout le monde ne choisit pas de partir en même temps à la retraite. Certains acceptent de gagner peu et d'avoir pus de temps libre. D'autres préféreront retarder leur départ et jouir d'une retraite plus confortable. Supposons que vous décidiez, à titre individuel, de travailler jusqu'à 70 ans, mais que tous les autres salariés choisissent de partir à 60 ans, donc cotisent moins longtemps, donc font entrer moins d'argent dans le système. Ne serez vous pas pénalisés par la décision collective « moyenne » ?
Voyons ce que cela donne avec une espérance de vie à 80 ans et une entrée dans la vie active à 20.
Vous travaillez 50 ans, vous accumulez 120 points annuels: votre compte de points est de 6000 Ã 70 ans. Vous vivrez 10 ans, vous consommerez donc 600 points/An.
Tous les autres retraités sont partis à 60 ans. Ils ont donc travaillé 40 ans, et accumulé 4800 points. Il leur reste 20 ans à vivre, soit 240 points/An.
La caisse de retraite doit donc servir (240 points * 1000 * 20) -240 + 600 points annuels, soit 4 800 360 points. Dans la caisse rentre chaque année les cotisations de 40 générations, soit 160 Millions. Le point vaut donc toujours 33,33 euros et vous touchez 20 000 Euros annuels, contre 12 000 en partant à 65 ans, alors que les pensionnés pressés ne touchent que 8000 Euros. La retraite augmente donc de plus en plus vite au fur et à mesure que vous retardez votre départ, parce que vous avez cotisé plus et que vous la touchez pendant moins longtemps. Le système a l'avantage d'être une justice arithmétiquement incontestable.
Si tout le monde, vivant jusqu'à 80 ans, partait à 70, la retraite touchée par chacun serait de :
Entrées dans le système: 200 Millions d'Euros (50 générations de 1000 personnes par 4000 Euros),
Sorties: 600 points par an pour 10 000 retraités = 6 M de points par an, valeur du point 33,33 Euros, retraite versée 20.000 euros. Donc une personne partant à 70 ans n'est pas pénalisée si tous ses congénères choisissent de partir à 60 ans plutôt qu'à 70.
Pas trop mal à la tête ? Je continue, alors.
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Imaginons maintenant que le jour de votre entrée en retraite, le salaire des personnes au travail pour la financer votre retraite passe d'un coup de baguette magique à 2400 Euros (+10,7%), soit une cotisation mensuelles de 369 Euros (15,4%). Les entrées dans le système augmentent donc de 10 %. le point à l'achat vaut toujours 33,33 Euros, donc les nouveaux cotisants en achètent plus chaque année. Mais pour ceux qui sortent du système, la somme à se partager passe de 200 à 221 millions, alors que le nombre de points à servir reste inchangé, du moins au début. la valeur de chaque point à servir passe à 36,8 euros, et la retraite augmente à 22080 euros.
Le système obéit donc aux caractéristiques suivantes: ce que vous touchez dépend certes des conditions macro économiques générales (si, au contraire, la masse salariale des cotisants diminue, la valeur du point passe en dessous de 33 Euros...), mais le système par point avec pondération par l'âge permet de déduire ce que vous touchez de votre âge de départ indépendamment des décisions individuelles de milliers d'autres retraités: si vous êtes travailleur et le reste de la population paresseux, vous n'êtes pas pénalisé.
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Nota bene: Dans le monde réel, le calcul est un peu plus subtil, car l'espérance de vie à 70 ans est supérieure à ce qu'elle est à 60. Les assureurs préfèrent donc, à une simple règle de trois, utiliser un calcul dit « actuariel » qui revient au même sur le principe. Ce calcul consiste à dire que dans le monde réel, celui qui part avec 5000 points à 65 ans doit avoir une valeur de point pondérée plus élevée que celui qui part avec le même nombre de points à 60, puisqu'il percevra sa retraite moins longtemps. L'assureur ne peut pas connaître l'âge de votre mort, il ne peut donc pas « brûler » arbitrairement un certain nombre de points annuellement. Le calcul actuariel lui permet d'aboutir au même résultat, en décidant, par exemple, que si vous soldez votre retraite à 65 ans, vos points acquis sont affectés d'un coefficient 1, d'un coefficient supérieur à 1 si vous partez à plus de 65 ans, inférieur sinon. Le calcul du coefficient tient compte d'une règle de trois sur les espérances de vie réelle à chaque âge.
Oui, je sais, c'est un peu compliqué, alors étonnez vous que vos politiciens n'y comprennent rien... Le calcul est détaillé dans le livre de Jacques Bichot et Alain Madelin, "Quand les autruches prendront leur retraite", déjà vanté dans ces colonnes.
De la théorie à la pratique
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Objections : Dans le monde réel, naturellement, il y a à la fois de l'inflation et de la croissance. Les salaires tendent à croître à un taux compris entre l'inflation et la croissance brute (en Euros courants). Au fil du temps, la valeur du point à l'achat variera avec l'inflation, pour tenir compte de l'inévitable dépréciation de la monnaie, mais la valeur du point en sortie devrait augmenter plus vite, puisque la masse salariale des gens qui financent le système augmente plus vite que l'inflation, tant qu'il y a de la croissance. Mais si, en contrepartie, la démographie baisse, ou le chômage augmente, la valeur du point en sortie baisse.
Par rapport à notre système actuel, les avantages restent considérables. Tout d'abord, il ne peut pas faire faillite (sauf écroulement généralisé du pays...), l'état ne s'engageant pas sur une prestation: il n'a plus à compter avec des engagements hors bilan non provisionnés au sens de l'IFRS. Au pilon, le rapport Pébereau ! Elle n'est pas belle, la vie ?
Ensuite, il suppose une égalité arithmétique de traitement de tous les salariés: le point est au même prix à l'achat comme en sortie, que vous soyez cheminot, énarque ou chauffeur routier. Fini les régimes spéciaux !
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Cependant, malgré ces indiscutables avantages sur notre retraite-cavalerie actuelle, un tel système est loin d'être parfait.
Il tend évidemment à inciter les personnes à retarder leur départ en fonction de ce qu'ils espèrent toucher. Nous avons vu dans notre pays fictif que ceux qui partaient à 60 ans touchaient une retraite bien misérable, ceux qui partaient à 65 une retraite médiocre, et que celle ci augmentait rapidement au delà , pour être presque égale au salaire de base à 70. Mais cela n'est vrai que dans le cadre de l'espérance de vie d'aujourd'hui. Si nous continuons de gagner une année de vie tous les 3/4 ans, l'âge de départ permettant de garantir une retraite confortable sera encore plus élevé. Pour s'en rendre compte, effectuons quelques simulations.
Quelques calculs de retraites possibles dans le monde réel vers 2050
Le calcul ci dessous se veut assez réaliste, mais il n'en est pas moins qu'une modeste simulation faite par un individuel qui n'a pas accès aux bases de données démographiques et économiques des caisses de retraite. Ne lui donnez donc pas plus de valeur qu'il n'en a. Rappel : tous les calculs sont à monnaie constante, donc les chiffres que j'annonce pour 2048 ont le même pouvoir d'achat que le même montant aujourd'hui.
Essayons de calculer la retraite bien réelle que toucherait un salarié moyen Français, entrant aujourd'hui dans la vie active à l'âge de 25 ans (né en 1983), en faisant varier quelques paramètres. Selon les chiffres que l'on peut trouver sur le site du Conseil d'Orientation des Retraites, l'espérance de vie à 60 ans dans les années 2040-2050 se situera autour de 87 ans (92 pour les femmes !).
Nous allons donc, successivement, calculer l'espérance de retraite de notre jeune nouvel actif, à 60,65,70, et 72 ans, en supposant que le taux de cotisation défini une fois pour toute par le législateur soit de 15%.
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Le second paramètre que nous devons estimer est celui de la démographie de la population active. Selon l'Insee, celle ci a augmenté en moyenne de 0,5% par tranche d'âge et par an entre 1980 et 2005, avec une tendance décroissante. En revanche, ils estiment qu'elle sera quasi stable à l'avenir. Nous formerons donc deux hypothèses, là encore: une population active augmentant de 0% ou de 0,5% par an par tranche d'âge, la seconde hypothèse correspondant à un solde migratoire plus soutenu qu'aujourd'hui.
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La troisième hypothèse concernera bien sûr l'augmentation des salaires: ceux ci ont augmenté en moyenne de 1,5% par an entre 1965 et 2005 à monnaie constante, toujours selon l'INSEE. En revanche, depuis 1985, cette augmentation n'est de de 0,6%. Là encore, je prendrai deux hypothèses: 0,6% par an (croissance basse) et 1,5% (croissance modérée).
Le salaire moyen net de cotisations en France aujourd'hui, selon l'INSEE, est de 16972⬠nets annuels, soit quasiment 1400 Euros/mois. Je sais, ça craint. La faiblesse de ce montant tient au montant très élevé des différentes cotisations sociales, qui viennent grever le coût total employeur, qui font de la France le pays qui a la particularité d'avoir les coûts du travail les plus élevés pour l'employeur, et des revenus parmi les plus faibles pour les salariés. Nous retiendrons un taux moyen de chômage de 8% par tranche d'âge "active", ce qui correspond à une pérennisation de l'existant.
Aujourd'hui, l'employeur d'un salarié moyen paiera des cotisations vieillesse à l'URSAFF dont le taux sera variable en fonction du régime: non cadre, cadre, fonctionnaire territorial, fonctionnaire d'état... Les cotisations représentent, selon le COR, entre 25% (non cadres du privé) et... 48% (fonctionnaires d'état, il s'agit d'une cotisation "implicite" n'apparaissant pas sur les feuilles de paie... mais que l'état doit tout de même verser) du salaire brut, soit dans le cas le plus fréquent (privé, non cadre), environ 30% du salaire net. Quoiqu'il serait fort intéressant de faire baisser le coût total du travail, et que ce chiffre soit plutôt plus élevé que celui de nos voisins, retenons le pour la suite. Pour notre salarié à 1400 Euros, cela représente environ 420 Euros de cotisations mensuelles. (Nb. C'était en 2001. Depuis, certains chiffres ont pu évoluer, notamment avec les réformes de 2003...)
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Je ne vous infligerai pas les formules qui m'ont amené aux différents chiffres. D'abord parce que je ne sais pas les taper au clavier (fractions, indices, exposants, caractères grecs, etc...) ! Si vous n'êtes pas familier des calculs exponentiels formules du type : somme de i=0 à n de A exposant i = [A exp (n+1)-1]/[A-1] , je suppose que ces hypothèses doivent être simulables sous excel.
Evolution du salaire net moyen français en euros constants :
hypothèse : croissance salariale basseÂ
Année 1 : 1400â¬Â // Année 35 (60 ans): 1715 // Année 40: 1767 // année 45 (70 ans): 1820 // année 47 (72 ans): 1842 // Année 50 (75 ans) : 1876
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hypothèse : croissance salariale haute:
Année 1: 1400⬠// Année 35 : 2322 // Année 40 : 2502 // A45 : 2694 //A47 : 2776 //A50: 2903 //
Combinaison d'hypothèses :
1 - Démographie plate/croissance salariale faible
2 - Démographie croissante/ Croissance salariale faible
3 - Démographie croissante / Croissance salariale modérée
Résultats : retraite mensuelle moyenne, en Euros d'aujourd'hui:
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La retraite servie sera évidemment réévaluée au cours du temps en fonction de l'évolution générale des salaires, qui influe sur l'assiette des cotisations entrantes. Ainsi, le retraité "hypothèse 2" qui partirait à 70 ans avec 1551 Euros, se verrait gratifier de 1717 euros l'année de son décès. En hypothèse 3, celui qui part à 70 ans avec 2297 Euros peut espérer émarger à 2958 euros l'année précédant sa mort.
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Facteurs de risque
Malheureusement, ce calcul risque de se révéler trop optimiste. En effet, il est probable que les politiques décrèteront que les personnes n'ayant pas suffisamment cotisé (personnes très peu qualifiées, personnes ayant passé quelques années au chômage, ou en prison, épouses au foyer délaissées par leur mari au seuil de la retraite, etc...) devront recevoir un nombre de points forfaitaire correspondant au minimum vieillesse: cette distribution de points "en sortie" sans compensation en entrée diluera le montant des pensions accordées à ceux qui ont suffisamment cotisé. A moins que ces transferts sociaux soient financés par d'autres transferts fiscaux, mais il y aura de toute façon quelqu'un qui devra les payer.
De plus, le calcul ci dessus présuppose que jusqu'à 67-72 ans, les salariés auront la même capacité de travail qu'aujourd'hui entre 60 et 65 ans. Il n'est hélas pas impossible que ce soit légèrement optimiste, et que, de fait, les contributions des salariés âgés au régime de retraite soient minorées, ce qui obérera d'autant les retraites servies.
De même la prise en compte des pensions de reversion, et leur taux, du fait de l'âge moyen de décès plus élevé des femmes, contribuera à remonter l'âge moyen du décès pris en compte pour les calculs actuariels. Or, si l'on peut constater que la retraite servie augmente très vite passé 70 ans, on peu comprendre
que le ratio actifs/pensionnés se dégrade tout aussi vite s'il faut calculer les retraites sur la base d'un âge moyen du décès de 92 ans plutôt que de 87...
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Enfin, comme je l'ai dit plus haut, l'espérance de vie est plus élevée à 72 ans qu'à 60 (logique: l'espérance à 60 ans prend en compte ceux qui mourront entre 60 et 72). Le calcul actuariel qui en découle est un peu moins favorable aux salariés âgés.
Enfin, le gestionnaire de retraite aura quelques frais de gestion (compter 1 à 1,5% s'il est bien géré), ce qui réduira d'autant les montants servis.
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Il est donc probable qu'il faille modérer les chiffres ci dessus, ajouter environ 3 ans aux âges de départ cités pour obtenir le niveau de pension indiqué.
Premiers enseignements :
1 - En admettant qu'une réforme de ce type soit promulguée, oubliez la retraite à 60 ans, si vous entrez dans la vie active aujourd'hui. Ou alors, acceptez d'épargner sur un fond de capitalisation (que j'évoquerais dans un article à suivre) un certain pourcentage de vos gains, au delà des cotisations obligatoires. Les politiciens et syndicalistes qui, aujourd'hui, minimisent l'impasse financière des régimes de retraite par répartition du fait de l'évolution démographique, et prétendent que l'on peut conserver un âge de départ en retraite faible, ne sont rien moins que des escrocs.
2 - Si la France continue de connaître une croissance molle, avec une démographie plate, les retraites seront minables pour tout le monde, et la retraite avant 70 ans sera particulièrement pingre. En revanche, sous des hypothèses démographiques et salariales plus intéressantes, le niveau des pensions servies peut, quelque part entre 65 et 70 ans, se révéler satisfaisant pour nombre de salariés.Â
3 - Si l'espérance de vie prolonge les tendances actuelles (nul ne peut savoir si le progrès médical va s'accélérer ou au contraire rencontrer des paliers), il faut se préparer mentalement à partir entre 12 et 20 ans avant l'âge moyen du décès pour toucher une pension correcte. Rappelons que les chiffres ci dessus correspondent à un salarié qui aura touché le salaire moyen tout au long de sa carrière.
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4 - Seules des hypothèses de croissance correctes, lesquelles ne sont envisageables que par l'obtention d'un solde démographique modérément dynamique, peuvent permettre à une majorité de la population de partir à un âge inférieur à 70 ans, avec une pension assurant un niveau de vie suffisant.Â
Compte tenu du nombre moyen d'enfants par femme, une immigration régulière, à condition que nous réussissions à l'assimiler, économiquement et culturellement, est indispensable avec un tel régime. Ce qui pose des questions qui vont bien au delà de la seule retraite, hors du champ de cette modeste étude.
5 - l'âge de départ étant laissé à l'initiative du salarié, celui ci n'aura guère de mal à se rendre compte que plus il avance en âge, plus les années supplémentaires passées à travailler lui rapportent gros en terme de niveau de vie futur. A condition que les postes de travail lui permettant de rester actif existent, ce qui suppose, là encore, une croissance soutenue. Donc...
6 - ... Donc sans croissance, pouvoir prendre sa retraite à un âge élevé, ce qui sera désirable du point de vue des revenus, sera un rêve pour beaucoup de salariés. Si la croissance reste molle, beaucoup de salariés seront contraints de prendre une retraite à un âge qu'ils jugeront eux mêmes trop faible ! Quel renversement de culture...
7 - Naturellement, si un gouvernement envisageait de réformer nos retraites pour adopter un tel système, il devrait trancher dans le vif des régimes spéciaux actuels. S'il est concevable de convertir les droits à retraite acquis en points "équivalents" pour les pensionnés du régime général, le système part avec un handicap très lourd si en plus, il faut intégrer dans son arithmétique les prestations actuellement versées aux bénéficiaires de ces régimes. Il n'est pas envisageable que la retraite par points des fonctionnaires d'état soit calculée sur la base actuelle de 48% de cotisations de l'employeur !
Comment augmenter le niveau de vie des personnes âgées ?
Afin de permettre aux personnes âgées qui le souhaitent d'améliorer leur train de vie, tous les obstacles à la reprise d'un travail après l'ouverture des droits à retraite devraient être levés, notamment l'obligation actuelle de non dépassement du salaire de départ pour un emploi salarié. Le salarié aurait la possibilité soit de cumuler rémunération et retraite, soit de "geler" sa retraite, ce qui "rechargerait son compte", d'une certaine façon.
D'une façon générale, tout obstacle à l'emploi des plus de 50 ans doit être levé (les solutions ne seront pas traitées ici, l'article est déjà assez long !). Un tel système est insoutenable si, comme c'est le cas aujourd'hui, des milliers de séniors sont artificiellement retirés des statistiques de la population actives par le biais de "préretraites", quelle que soit l'assiette qui finance ces pré-retraites.
De même, une croissance soutenue aurait sans doute pour effet d'abaisser l'âge moyen d'entrée dans la vie active des salariés, ce qui améliorerait l'assiette des cotisations.
Conclusion partielle
Bref, tant que la retraite est financée par la répartition, préparez vous à maintenir des compétences suffisantes pour pouvoir travailler assez longtemps pour qu'elle soit correcte, à défaut d'être princière, et priez pour que les politiques économiques adoptées favorisent une croissance digne de ce nom. Le système de retraite par répartition par points, à cotisations définies, ne peut pas faire faillite, mais il ne peut pas faire de miracle non plus. Si nous vivons de plus en plus vieux, nous devrons travailler de plus en plus vieux. Mieux vaut s'habituer dès à présent à cette idée.
Il suppose, pour servir des retraites correctes, que les politiques suivies engendrent une croissance salariale plus élevée que celle observée depuis 1980, que nous retrouvions le rythme moyen de croissance que nous avons connu entre 1965 et aujourd'hui. Ce qui n'a rien d'insurmontable, mais exige de renverser certains obstacles actuels à la croissance, largement débattus par ailleurs dans ce blog.
Ce schéma d'organisation de la retraite améliorerait certes sensiblement l'existant. Il a été adopté comme solution de réforme de régimes par répartition en quasi faillite par quelques pays nordiques comme la Suède, et il est défendu par quelques économistes libéraux tels que Jacques Bichot.
Une retraite par capitalisation ne pourrait-elle faire mieux ? Réponse dans le volet suivant de notre dossier « la retraites pour les nuls »... Patience, prochain volet dans une semaine... Si tout va bien.
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Discussions connexes non développées ici :
1- Il faudrait se demander comment lutter contre l'effet pervers suivant: si l'âge de la retraite est totalement libre, certains peuvent être tentés de la prendre tôt, mais de compléter leur revenu par diverses allocations financées par l'impôt, que le pouvoir politique ne manquera pas d'instaurer. Au lieu de travailler plus longtemps pour gagner plus, il deviendrait sinon rentable, du moins possible de travailler moins longtemps pour gagner plus, ce qui serait préjudiciable à l'économie générale. Sans doute faudrait-il réformer en grande partie l'intégralité de notre système d'aide sociale, ou alors fixer un âge minimal de départ en retraite en dessous duquel il ne serait possible de partir que si le nombre de points accumulé par l'aspirant pensionnaire était suffisant pour garantir un niveau de retraite suffisant. Ce qui serait politiquement difficile à vendre. Un âge minimal de départ en retraite semble donc être nécessaire tant que notre "état providence" ne sera pas intégralement réformé. Vaste sujet qui dépasse les compétences d'un blogueur isolé à temps partiel.
2 - Le cas des travaux pénibles, difficiles à accomplir après 55 ou 60 ans, doit être traité par une contribution spéciale de l'employeur à un complément de retraite (achat de points ou par capitalisation) permettant au salarié de partir plus tôt, ou à une obligation de reconversion du salarié par l'employeur après 55 ou 60 ans. L'employeur serait ainsi incité à trouver les moyens de transformer des métiers pénibles physiquement en activités non physiquement usantes, pour alléger sa facture.
3 - Le cas des épouses d'artisans ou de commerçants qui aident leur époux sans salaire "au magasin", ou se consacrent à leurs enfants, et qui se retrouvent "le bec dans l'eau" en cas de divorce dans le système actuel, serait traité par une gestion "patrimoniale" des points de retraite ainsi achetés. En cas de séparation, les ex-époux conviendraient (à l'amiable ou par injonction du juge) d'un partage des points de retraite ainsi accumulés.
4 -A noter, Jacques Bichot vient de sortir un nouvel ouvrage sur les retraites, commandé mais pas encore reçu. Je ne puis donc vous en parler.
Vincent BENARD