L'état grec, au bord de la faillite, annonce quelques coupes budgétaires (4.8Mds) représentant 2% du PIB et une hausse de ses impôts: 2 points de TVA supposée générer 1.4Mds de rentrées fiscales supplémentaires, et des hausses de taxes sur certaines marchandises (alcools, tabac...) à peu près équivalentes. Soit à peine plus de 3.5% du PIB de réduction du déficit, lequel se monte à 12%: notoirement insuffisant. Et les hausses de taxes pourraient ne pas produire les effets escomptés, à cause de ce fichu effet "Laffer", qui veut que quand les impôts sont élevés, en augmenter encore les taux marginaux produit au mieux une augmentation des rentrées fiscales inférieure à l'application de la "règle de trois" sur les taux, au pire, une baisse des rentrées fiscales, et ce par une double désincitation à la fois au travail marginalement rémunérateur, et à l'honnêteté déclarative.
Une fiscalité marginale "à l'européenne"
Selon Forbes, la Grèce occupe une peu flatteuse 10 ème position de son "Tax Misery Index". Si les taux marginaux des impôts sembleront "normaux" vus de France, avec par exemple 40% pour l'Impôt sur le Revenu, comme ici, les grecs ne sont pas de cet avis puisqu'ils fraudent massivement, faute d'une justice visiblement peu active lorsqu'il s'agit de pourchasser les abus des puissants.
La Grèce devrait s'inspirer de l'expérience des pays de l'Est qui ont pour beaucoup d'entre eux fait face dans les années 90 aux mêmes problèmes de fraude fiscale massive et de rentrées fiscales médiocres alors que les taux étaient en constante augmentation. Leur réponse: une "Flat Tax".
La Flat Tax, principes
Le principe (déjà évoqué ici et ici) en est simple: la plupart des impôts progressifs actuels sont truffés de niches fiscales qui avantagent les gros contribuables, et si ces niches sont insuffisantes, ces mêmes gros contribuables ont souvent les moyens de pratiquer l'évasion fiscale. Ainsi, en France, dans les dernières années précédent la crise, le produit de l'impôt sur le revenu a-t-il été égal à seulement un peu moins de 7% des sommes déclarées (sept, pas une faute de frappe), alors que les taux marginaux se situent encore à 40%, après avoir dépassé les 50% au début du millénaire.
Imaginez que l'IRPP français actuel soit remplacé* par un impôt frappant les revenus actuels à 7% mais sans la moindre niche fiscale: il est évident que tous ceux qui aujourd'hui ont intérêt à frauder le fisc, ou à limiter leur travail productif, ou leur investissement à risque, trouveraient de nouvelles incitations à changer de comportement vis à vis du fisc. Quand bien même ceux qui sont exonérés pour cause de revenus insuffisants le resteraient, un taux de 10% suffirait à faire rentrer, sur le papier, autant d'argent qu'aujourd'hui dans les caisses publiques. Et sans doute beaucoup plus, comme les expériences de tous les pays de l'est l'ont montré.
La Flat Tax ne dispense pas de couper dans les dépenses
La Grèce pourrait donc calculer le pourcentage de son produit fiscal comparé aux sommes déclarées, faire de ce résultat son nouveau taux de Flat Tax, et transformer ainsi son impôt progressif actuel en impôt proportionnel.
Sans doute devrait elle conjointement amnistier totalement tous les revenus et capitaux sous-déclarés et frauduleusement évadés par le passé, et annoncer une forte augmentation des peines pour les futurs fraudeurs. De cette façon, les incitations à frauder le fisc, et les possibilités de le faire faute de niches, diminueraient drastiquement, celles à entreprendre, à prendre des risques, à produire plus pour les personnes à haut potentiel augmenteraient tout aussi fortement, ce qui assurerait en 4 à 5 ans un redressement des comptes publics grecs en même temps que l'économie retrouverait le chemin de la prospérité, toutes choses égales par ailleurs. Naturellement, cela ne doit pas inciter le gouvernement grec à ajourner ses coupes dans les dépenses publiques. De plus, sans doutes certaines réformes législatives autres que la fiscalité (retraites, droit des affaires) sont elles indispensables.
Une efficacité empiriquement éprouvée
Ces recettes simples ont donné d'excellents résultats dans les pays baltes ou en Russie**, et dans bien d'autres pays***, tant en terme d'équilibre budgétaire que de croissance économique. En Russie, le remplacement d'un impôt gruyère taxé marginalement à plus de 30% par une flat Tax à 13% en 2001 a produit, en 5 ans, une augmentation du produit fiscal de cet impôt de 128%, ajustée de l'inflation !
Naturellement, l'assiette de l'impôt ainsi adopté devrait être la plus large possible, et le taux le plus faible. Dans l'absolu, la "flat tax" idéale se calcule avec deux taux identiques pour l'impôt sur les ménages et l'impôt sur les sociétés, et pour ce dernier, les intérêts payés aux créanciers ne sont pas déduits de la base taxable (principe de neutralité fiscale)
La Grèce, financièrement en ruines, montrée du doigt pour ses fraudes comptables, et humiliée par les perspectives de mise sous tutelle auxquelles elle doit faire face, ne s'en sortira pas sans une remise en cause complète de ses paradigmes fiscaux et sociaux. La Flat Tax serait sans aucun doute l'un des meilleurs choix qu'elle puisse faire pour retrouver son attractivité, une certaine prospérité, et peut-être plus encore, son honneur.
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* Digression : en Fait, pour la France, j'ai proposé une implémentation un peu plus subtile de la Flat Tax ici. Les chiffres cités étaient ceux d'avant crise, ils auraient sans doute besoin d'un coup de plumeau...
** Comme je l'ai déjà dit par le passé, le fait qu'une bonne réforme, parmi de nombreuses mauvaises, ait été conduite par un tyran autocratique comme V. Poutine ne discrédite pas la mesure en elle même, qui a parallèlement été adoptée par nombre de petites démocraties. Merci d'épargner aux lecteurs les arguments fondés sur la rhétorique "Poutine est un méchant" dans les commentaires éventuellement en désaccord, ça ne fait pas avancer le débat.
*** L'économiste Alvin Rabushka a écrit pas mal d'articles évaluant les effets des Flat Taxes adoptées par divers pays ici. Il tient en outre un blog dédié à l'observation des effets des flat taxes au plan mondial.
VINCENT BENARD