Même si le rythme des faillites de banques petites et moyennes aux USA est encore plus rapide en 2010 qu'en 2009, force est de constater que pour l'instant, le cataclysme bancaire annoncé pour 2010-2012 ne s'est pas déclenché. Pas encore ? Ou pas du tout ?
Rappelez vous. Dans cet article précédent, du mois de mars 2010, je m'interrogeais sur la solvabilité réelle des grandes banques américaines. Or, depuis, aucun cataclysme, aucun nouveau Lehman Brothers, pour troubler la quiétude routinière des marchés. Oh certes, on a un peu tremblé à cause de la Grèce, mais hop, un petit plan de sauvetage de 750 petits milliards et hop, oubliée, la Grèce...
Alors, les pessimistes ont ils tort ? L'économie va-t-elle repartir tout doucement, et les banques reprendre leur petit bonhomme de chemin ?
Tempête en vue
Désolé de maintenir mon pronostic pessimiste, mais une rechute américaine m'apparait inévitable. Bien sûr, l'Europe pourrait plonger avant, mais une chose m'apparaît quasi certaine: si aucune nouvelle crise de la dette souveraine européenne ne vient semer le trouble sur l'économie mondiale, un nouvel épisode de fièvre bancaire affectera les USA. La seule chose qui est imprévisible, c'est le planning, sachant que j'ai tendance à sous-estimer l'aptitude des dirigeants internationaux à bricoler le système pour maintenir l'illusion de sa viabilité.
Tout d'abord, je rappelle ce "vieux" graphique qui montre que la "bombe" du réajustement contractuel des taux des crédits ARM -taux variable à paiement différé du principal- va atteindre le maximum de son potentiel nocif en 2011. La ligne rouge "We are Here" s'est juste légèrement déplacée.
Ensuite, voici un petite courbe (source : Barry Ritholtz) qui devrait éclairer d'un jour nouveau la situation réelle des banques américaines:
En clair: historiquement, le montant des prêts immobiliers souscrits était égal peu ou prou à 0.4 fois la valeur de marché du stock immobilier US. Ce qui est assez logique, le parc de maisons US se décomposant en temps normal entre des maisons qui ont 0% de crédit adossé et des maisons en début de cycle de remboursement à 100%. La moyenne résultante était de l'ordre de 40% en temps normal.
Or, depuis l'éclatement de la bulle, la valeur de marché des maisons chute alors que le désendettement des ménages est beaucoup plus lent. Nombre de ménages ont donc une dette qui représente plus de 100% de la valeur de leur maison ("underwater", la tête sous l'eau...) et le ratio dette immobilière/valeur du stock est passé à 0.6...
Par conséquent, si on considère qu'une moyenne pré-bullaire de 40% représente le ratio type d'un marché du crédit immobilier immobilier soutenable, il y a actuellement 4 000 milliards de dette en trop dans les portefeuilles d'actifs des banques.
Concrètement, cela veut dire qu'une proportion non négligeable de débiteurs "underwater" pourraient faire défaut et laisser une fraction plus ou moins importante de ces 4 000 milliards d'ardoise supplémentaires aux banques, à Fannie Mae et Freddie Mac, etc...
Option A : tenter de nier le problème - échec garanti
Il n'y a que deux façons de réduire le gap: augmenter la valeur du stock (mais comment ?) ou désendetter les ménages. Mais un désendettement "naturel" par remboursement progressif de la dette semble exclu, les ménages choisissant massivement l'option du désendettement par le défaut de paiement, qu'il soit "stratégique" ou simplement "contraint et forcé".
Voilà pourquoi le gouvernement fédéral a tenté de "ré-inflater" l'immobilier, pardon pour le néologisme douteux, ce qui se traduit par la petite résurgence en fin de courbe, afin de réduire le gap entre montant des prêts courants et la valeur de marché de l'immobilier. Pendant ce temps, dans l'espoir que cette stratégie fonctionne, les banques semblent avoir tout fait pour RETARDER la mise en faillite officielle des clients en retard de paiement, comme le montre cet article du journal financier "American Banker" (traduction VB):
Mais le Flot des faillites attendues n'est pas arrivé, pour la simple raison que les prêteurs n'enregistrent ou ne traitent pas les faillites de débiteurs au rythme auquel ils devraient le faire. En retardant la date à laquelle ils enregistrent les pertes sur les livres de comptes, les banques et autres investisseurs ont pris position pour tirer profit d'une lente reprise du marché immobilier. Mais maintenant les décideurs se demandent si cette stratégie de délai des faillites ne va pas leur revenir en boomerang à la figure. Avec la perspective d'une nouvelle baisse des prix immobiliers de 10% ou plus, le refus de clore rapidement les faillites et de procéder les ventes au prix de liquidation des stocks pourrait contribuer au gel du marché tel qu'observé dans les données de juillet. Cela pourrait donc accroître la probabilité des défauts de paiement stratégiques
Pour appuyer son propos, le journal dispose d'un graphique éloquent, certes limité à la Californie, mais cet état concentre à lui seul près du quart de l'excès d'en cours de crédit :
Les banques n'ont visiblement pas tenu à jour leur stock de faillites au rythme de constat des prêts en situation de défaut, en espérant qu'un miracle, pardon, qu'une reprise du marché immobilier permette à nombre de ces emprunteurs défaillants de se "refaire" et de reprendre leurs paiements.
Reprise... De la baisse !
Mais voilà, le soutien artificiel gouvernemental à l'immobilier, acquis à la fois en utilisant Fannie Mae, Freddie Mac et Ginnie Mae pour racheter en masse les nouveaux crédits, et en versant une prime fiscale de 8000 $ aux nouveaux acquéreurs, n'est pas soutenable à terme. L'arrêt de cette subvention à son terme légal a provoqué une nouvelle plongée des ventes immobilières, dans l'ancien comme dans le neuf :
Option B: les individus arbitrent contre leurs banques
Par conséquent, l'immobilier américain va subir de nouvelles baisses.
Donc le "gap" entre ce fameux ratio de 40% de la valeur du stock immobilier et l'encours de dette hypothécaire risque d'augmenter, peut être bien au delà des 4000 milliards actuels, forçant les ménages qui n'ont pas encore fait défaut à rendre les armes: même le plus honnête des pères de familles à qui l'idée de faire défaut sur ses engagements contractuels fait horreur, se rendra à l'évidence que rester esclave d'une dette de 250 000 dollars pour une maison qui n'en vaut plus que 150 000, voire moins, n'a aucun sens, surtout s'il vit dans un quartier ou une bonne proportion des autres propriétaires dans la même situation ont déjà fait défaut.
Donc, les banques vont devoir enregistrer de nouvelles dépréciations d'actifs égales à une fraction sans doute assez élevée de ces 4 000 milliards...
N'y a-t-il aucun espoir que la baisse des prix de ces derniers mois ne "rallume" le marché ? N'a-t-on pas touché le fond ?
Sur le front du chômage...
Peut être, mais je n'y crois pas. Tant que l'on observera pas une inversion durable des courbes du chômage, les ménages américains resteront en mode "sobre": dans ces conditions, pas de nouveaux crédits !
Or, d'inversion, point. Pour la première fois depuis la grande dépression, la durée médiane du chômage aux USA a atteint 6 mois, alors que même lors de la récession de 1982, elle n'avait pas dépassé trois mois:
Et encore ce graphe n'évoque-t-il ni les concessions de salaire que ceux qui retrouvent du travail doivent concéder, ni ceux qui ne sont plus comptabilisés comme ne faisant plus partie de la population active car découragés. Dans ces conditions, comment croire que le marché immobilier peut repartir dans un délai raisonnable ?
Ajoutons que même dans les états les plus bullaires, le ratio prix médian du logement/revenus médian des ménages n'est pas encore revenu sous le seuil de 3, signe d'un logement réellement abordable. Alors dans ces conditions, qui va aller s'endetter et faire repartir la bulle immobilière ?
Non, la seule issue réaliste est un dégonflement rapide de la bulle de dette par une explosion des défauts de paiements. L'assainissement de la situation des agents économiques américains, seul susceptible de permettre un redémarrage raisonnable mais régulier de ce qui reste de loin la première économie du monde, est à ce prix. Il n'y a pas de moyen de sortir sans douleur d'une crise généralisée de surendettement.
Pronostic maintenu: faillites et restructurations des passifs bancaires US inévitables en 2011 ou 2012
Et ceci ne tient pas compte des désastres en cours de formation sur l'immobilier commercial, sur l'immobilier touristique, et sur les crédits aux collectivités locales... Et encore, en supposant que le scandale MERS, déjà évoqué ici et également là, ne connaisse pas de nouveaux développements jurisprudentiels très spectaculaires, comme certains analystes le laissent entendre.
Je maintiens donc mon pronostic déjà émis il y a un an, d'amplification des problèmes bancaires aux USA entre maintenant et 2012. Et je serai surpris que ces problèmes ne trouvent aucune répercussion dans la vieille Europe, vu le niveau d'imbrication des établissements financiers de par le monde.
Reste à savoir dans quelle mesure des "sauvetages" à coup de monétisation de dettes publique permettront de tenter de dissimuler la gravité de la situation... Mais là, ce n'est plus de la prévision, c'est de la voyance. Quant la question de savoir si le choc sera mieux ou moins bien absorbé par l'économie "non financière" qu'en 2008, j'y répondrai quand j'aurai acheté une boule de cristal toute neuve.
----------