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Vincent Benard

Vincent Benard

Vincent Bénard est analyste à l'Institut Turgot (Paris) et, depuis mars 2008, directeur de l'Institut Hayek (Bruxelles). C'est un spécialiste du logement et  de la crise financière de 2007-2008 (subprimes). Grand défenseur du libéralisme économique, Vincent décortique tous les errements des Etats providence !

Corruption, foreclosuregate, moeurs bancaires et déclin américain

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La publication du classement annuel de l'ONG transparency International des pays en fonction de leur niveau perçu de corruption (PDF) fait apparaître la poursuite de la glissade française, désormais 25ème derrière entre autres l'Uruguay et le Qatar. Bon, la France, à part nous, tout le monde s'en moque éperdument, laissons nos miasmes politico-affairistes de côté pour cette fois.

Plus intéressant, le classement confirme également la dégradation et du classement et de la note des USA, la première puissance économique du monde n'apparaissant qu'à la 22ème place avec une note de 7.1 (contre 7.5 l'année précédente - Reuters). Voilà qui mérite attention.

Corruption croissante, une tendance de fond

Il est à noter que la méthodologie de l'ONG, si l'on peut la discuter, a le mérite de lisser les données sur plusieurs années afin d'éviter qu'un scandale unique ne fausse la perception du pays concerné. La glissade américaine n'intègre donc que partiellement la période Obama, et le cortège de fraudes au plan TARP et au "stimulus package" qui l'ont émaillée, et naturellement le foreclosuregate n'y est pas du tout pris en compte. La chute devrait donc se poursuivre dans les années à venir.

Par conséquent, il convient d'éviter les raccourcis du type "c'est la faute d'Obama" que je lis parfois. Quand bien même celui ci n'est certainement pas exempt de reproches, le problème est bien plus profond. Le Foreclosuregate, dont le terreau a fermenté sous toutes les présidences de Roosevelt à Reagan en passant par Nixon, les racines ont germé dans les périodes Bush Père et Clinton, et dont les rameaux ont bourgeonné durant la période Bush Fils, avant de fleurir à la mi-mandat d'Obama, montre si besoin en était que cette dégradation de l'intégrité de la vie des affaires publiques et privées aux USA n'est en rien liée aux clivages politiques mais est plus profondément ancrée dans les chromosomes de la dernière génération d'affairistes bien en cour de Washington à Wall Street.

Paradoxalement, une réaction saine du gouvernement et du congrès vis à vis du foreclosuregate, visant à cesser de sauver les banques fautives avec l'argent du contribuable par des restructurations forcées de passif, et des poursuites pénales sans faiblesses contre les perpétrateurs des différentes fraudes et parjures révélées par le scandale, permettrait non seulement d'améliorer le classement des USA, ce qui est secondaire, mais plus sûrement remettrait l'économie sur de bons rails.

La loi de Gresham du business

Le problème de la corruption de la vie économique est d'importance. De même que la mauvaise monnaie chasse la bonne, les entreprises malhonnêtes tendent à exclure les bonnes du marché si l'appareil judiciaire n'est pas en mesure de bien effectuer son travail de nettoyage régalien des écuries d'Augias.

En effet, imaginez deux restaurateurs jouant dans la même catégorie dans une ville. L'un achète les produits avec lesquels il prépare ses repas, l'autre les vole. Si celui qui vole n'est pas sanctionné, alors le bon restaurateur, incapable de s'aligner sur les prix, sera progressivement évincé du marché. Et bien le problème est exactement le même avec les banques: celles qui trichaient pouvaient prendre des parts de marché à celles qui voulaient rester honnêtes, et le constat est le même en ce qui concerne les professions périphériques de l'immobilier.

C'est exactement ce qui s'est passé pendant les folles années de bulle immobilière que nous venons de vivre. Je ne compte plus sur Internet les témoignages d'agents immobiliers, d'experts en évaluations immobilières ("appraisers"), ou de petits banquiers affirmant avoir soit quitté le marché, soit réduit leur activité à des niches de plus en plus rares, pour ne pas avoir à commettre d'actes illégaux. 

Pas de confiance, pas de business

Naturellement, lorsque vous vous tournez vers un banquier ou un assureur, la confiance est essentielle. L'assymétrie de l'information disponible est telle entre le vendeur et vous que vous êtes obligés de vous en remettre à l'honnêteté du tiers pour espérer qu'une clause léonine écrite en tout petit au bas d'un contrat ne transforme pas une bonne affaire en cauchemar. Et si le couple régulation-régulateur ne fonctionne pas bien pour faire cesser les abus de position dominante et dissuader les acteurs économiques de se mettre en situation d'être condamnées, alors il n'y a plus de business possible, et les agents économiques tendront à privilégier le repli sur soi et la défense contre les Tyrannosaurus Rex sans cesse grossissant issus du capitalisme kleptocratique de connivence. Sans parler des incitations à franchir soi même le pas de la malhonnêteté, puisque "c'est comme cela que ça marche". Une spirale de déclin par la déliquescence de l'état de droit, voilà le danger numéro un qui guette les USA.


Voilà pourquoi le traitement du foreclosuregate par les autorités américaines est absolument vital. L'enjeu économique est secondaire, aussi fou que cela puisse paraître vu les sommes en jeu. Il ne s'agit pas de savoir qui va perdre combien de milliards et s'il y a un moyen de sauver les fesses d'untel ou untel, mais de dire aux millions de petits et moyens entrepreneurs actuels ou en devenir s'ils peuvent réussir en étant honnêtes, si ils ne se feront pas jeter hors de leur marché par un escroc de passage, s'il y a une loi pour tous ou si les gros poissons de la finance sont plus égaux que les autres, s'ils peuvent compter sur des fonds d'investissement en capital et des banques prêteuses objectivement intéressés à la réussite commune ou si tout partenaire financier n'aura qu'à presser un bouton pour les spolier le moment venu.

Si les réponses apportés à ces questions par les suites du Foreclosure Gate sont mauvaises, alors un déclin des USA sera inévitable et inexorable. Dans une interview très remarquée, la spécialiste des produits dérivés Janet Tavakoli, qui avait depuis longtemps dénoncé de nombreux abus, affirme avec justesse que  "Pour redonner au  système financier de la solidité, il faut d'une part reconnaître les pertes une bonne fois pour toutes, et d'autre part faire face à toutes les conséquences des fraudes. C'est à ce prix que les marchés retrouveront un peu de confiance et que les gens recommenceront à participer".



Enrayer le déclin, c'est possible !

Je ne fais pas partie de ces observateurs nostalgiques des lendemains marxistes qui chantent qui semblent éprouver une sorte de jouissance extatique à chaque fois que les USA, ce symbole haï de la réussite capitaliste, éprouvent un problème. Je souhaite réellement que le peuple américain et ses institutions réussissent à sortir grandis de l'épreuve qu'ils traversent actuellement. Ce n'est pas par altruisme, notez bien. Mon souhait est purement égoïste, parce que le monde n'a rien à gagner à voir sa plus grande économie sombrer dans la kleptocratie et le déclin économique qui l'accompagne. Quoique certains en pensent, et quelles qu'aient été les erreurs commises ici ou là, le monde libre doit énormément à l'existence des USA, et voir ce grand pays sombrer serait une authentique tragédie.

Malgré ses imperfections cachées dans ses 2300pages (!), la loi "Dodd-Frank" de régulation financière porte en elle la capacité de placer en restructuration de passif les banques déficientes. La FDIC travaille sur des propositions de décrets facilitant ces restructurations de passif dans le cadre de cette nouvelle loi. Correctement mises en oeuvre, ces dispositions devraient éviter un écroulement systémique généralisé de l'économie. Sinon...

Mais évidement, tout ceci suppose que les acteurs publics, la FDIC elle même, Fannie Mae et Freddie Mac, redeviennent vertueuses. Or, Fannie et Freddie, qui étaient à l'origine du système MERS, qui a servi d'épine dorsale à nombre d'opérations frauduleuses, n'ont pas un bilan très flatteur en ce domaine. Et les différents audits du SIGTARP, l'office fédéral de supervision du plan TARP, montrent que ces programmes publics ont été massivement fraudés. Il n'y aura aucun redressement éthique durable des moeurs économiques américaines si la démagogie dépensière publique continue de constituer la première forme d'action publique.

Quant aux suites pénales du Foreclosuregate, la loi américaine comporte déjà tout ce qu'il faut pour assurer aux perpétrateurs d'escroqueries un long et inconfortable séjour dans les pénitenciers les mieux remplis du monde. Il ne faut pas que des dirigeants de banques qui ont octroyé des prêts frauduleux, qui ont volontairement placé des familles plus vulnérables que d'autres dans des situations difficiles, voire critiques, qui ont commis des faux en écritures publiques devant les tribunaux pour couvrir leurs agissements délictueux antérieurs, tout cela pour piller leurs propres entreprises et prendre les bonus avant que le chapiteau ne s'écroule, il ne faut pas que ces gens s'en tirent avec des amendes leur laissant jouir de l'essentiel du produit de leurs fraudes, ni suites pénales. Tous ceux convaincus de délits graves doivent connaître le sort de Bernard Maddoff.

A ce prix, le climat des affaires pourra entamer un assainissement salutaire, et les USA redeviendront la locomotive du monde libre, puissante et désirable. Sinon, ils finiront par ressembler au Mexique, juste en un peu plus grand.

Reste à savoir si le congrès ou l'exécutif en place auront la volonté de faire le ménage et de laisser les juges conduire leurs enquêtes sans chausse-trappes. Rien n'est moins sûr.

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