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Vincent Benard

Vincent Benard

Vincent Bénard est analyste à l'Institut Turgot (Paris) et, depuis mars 2008, directeur de l'Institut Hayek (Bruxelles). C'est un spécialiste du logement et  de la crise financière de 2007-2008 (subprimes). Grand défenseur du libéralisme économique, Vincent décortique tous les errements des Etats providence !

Comptabilité des grandes banques américaines: pas fiable ?

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L'une des grandeurs que les investisseurs regardent pour savoir si le bilan d'une banque est solide est le µ, ou ratio des dettes sur capitaux propres. Quelques analystes se sont spécialisés dans ce type d'analyse simple mais efficace (exemple).

 

 

Le µ et les normes comptables

Le seul problème avec cette analyse: quelle est sa valeur si le calcul du total de bilan est biaisé par une grossière sur-évaluation des actifs ? Autrement dit, si une banque compte, par exemple, 10% de prêts non performants en valeur dans son bilan, mais qu'elle n'affiche que 1% de dépréciation, ses fonds propres réels sont nettement moindres que ce que son bilan affiche.

"Pas de danger", direz vous. En effet, si les règles comptables "Mark To Market" ont été suspendues du 15 novembre 2008 au 1er janvier 2010, les règles comptables FASB 157 en vigueur aux USA depuis cette dernière date obligent les banques à déclarer trimestriellement une "fair value", une valeur "justifiée". Donc, si des prêts non performants se trouvaient en masse dans les bilans bancaires, cela se verrait, non ?

Et donc, vu que je vous annonce régulièrement que les grandes banques américaines sont au bord du gouffre, et que les dépôts de bilan et autres bailouts anticipés n'arrivent pas, vous seriez fondés à croire qu'il y a dans mon pessimisme une part d'exagération.

Et encore une norme comptable contournée, une !

Sauf que... Bloomberg lève le voile sur une "échappatoire" comptable que nombre de banques auraient mis en oeuvre pour majorer fortement la valeur d'actifs de leurs prêts. La règle comptable 157 stipule que la Fair Value doit s'entendre comme un prix raisonnablement escomptable d'une vente dans des conditions "normales", ce que les anglo-saxons appellent une "exit value".

Cependant, certaines banques ont détecté la possibilité, en tirant par les cheveux le texte de la norme, la possibilité de calculer la valeur de leurs prêts en portefeuille légèrement différemment. Au lieu d'une "Exit Value", ils imputent à leurs prêts une "Entry Value", qui prend en compte non pas le prix auquel ils pourraient revendre un prêt, mais le taux auquel un prêt de montant similaire à un emprunteur de caractéristiques similaire pourrait être octroyé. Autrement dit, cette façon de procéder permet d'occulter le fait qu'un prêt lambda soit ou non "performant", puisqu'on lui substitue un "prêt équivalent". Pire encore, cette "fair value" d'un genre un peu particulier n'est pas directement inscrite dans la partie principale du bilan  présenté aux autorités mais dans les "footnotes", les appendices au bilan. L'investisseur doit donc fouiller des lignes écrites en petit dans les pages intérieures pour tenter de connaître la norme utilisée, et encore, en supposant qu'elle soit clairement indiquée.

La manipulation a été découverte par l'analyste de Bloomberg, Jonathan Weil, en constatant qu'une banque, la banque Wilmington, du Delaware, avait été revendue à une collègue, la M&T bank, pour seulement 46% de sa valeur de marché. Oh Oh, comment cela est il possible ?

Wilmington avait 8 milliards de prêts octroyés (valeur faciale selon tableau d'amortissement) à son bilan et déclarait joyeusement 40 millions de dollars de pertes sur ces prêts en utilisant la "entry value" fin juin, et moins de 6 millions il y a un an. Peu de choses, en vérité. Oui mais voilà, la banque M&T, qui connait le truc (entre collègues de beuverie...), a demandé une réévaluation des actifs comptables de Wilmington selon l'Exit Value, et a réévalué les pertes à plus de 870 millions, dont 365 d'ores et déjà inscrites au bilan du tout dernier trimestre publié.

Autrement dit, les créances en portefeuille étaient surévaluées de plus de 10% (870-40=830 millions de pertes cachés sur 8 milliards d'actifs). Or, cette banque avait au total 80% de créances à son actif, soit au total 10 milliards d'actifs déclarés. Autrement dit, son actif était surévalué de 8%. Et donc son passif était surévalué de même...

Les grandes banques font elles de même ?

Jonathan Weil a entrepris de vérifier si les 24 grandes banques qui composent l'indice KBW utilisaient, comme définitition de la Fair Value, une "exit value" ou une "entry value". Et le moins que l'on puisse dire est que le résultat est peu rassurant: Certaines banques, en fait, tentent de ne pas dire clairement quelle valeur elles utilisent. Mais J.Weill estime que CitiGroup et Wells Fargo n'utilisent pas une Exit Value. Les porte paroles de ces firmes interrogés par Bloomberg "se sont refusés à tout commentaire".

Bank of America  et JP Morgan affirment utiliser une exit value. Mais est-ce exact ? JP Morgan prétend utiliser une exit value mais enregistre... Un gain sur son portefeuille de prêts. Pour sûr, les taux d'intérêt sont au plus bas, donc les "prêts équivalents", avec un taux plus faible, ont une valeur actualisée plus élevée que leur valeur faciale... Selon l'entry value du moins. Bank of America déclare une perte "minime". La crise du crédit hypothécaire ? Connais pas*...

Les quelques banques qui pratiquent l'exit Value "carte sur tables" semblent afficher des pertes sur créances comprises entre 5 et 13%, ce qui est compatible avec les 10% de la banque Wilmington, et avec les taux actuellement observés de prêts en retard ou en forclusion. Les déclarations de Bank of America et JPM peuvent donc ne pas inspirer toute la confiance souhaitable*.

La brutalité de la déclaration de pertes de la banque Wilmington, et sa revente à la moitié de son cours de bourse à une consoeur, semble montrer que dans le cas de cet établissement, les accomodations comptables avaient atteint les limites de l'acceptable: passé un certain niveau de pertes, c'est la trésorerie qui commande.

 

 

Comment donc ? Tout cela pour 8% de surévaluation des actifs ? Eh oui, car lorsque les niveaux de fonds propres sont aussi faibles qu'actuellement, cela peut être dévastateur. Voyons pourquoi.

Que valent les µ déclarés par les banques ?

Reprenons l'exemple d'une banque fictive déclarant 100 de capitaux propres et 1000 de dettes pour un total de bilan de 1100, soit un µ déclaré de 10.

Si son actif comprend 60% de prêts à valeur faciale (soit 660), qu'elle déclare 1% de pertes sur pêts (cas de Wells Fargo) mais que sa perte réelle est de 5% (soit 33 au lieu de 6.6), une perte additionnelle de 26.4 devrait être portée sur ses comptes, et donc ses capitaux propres passeraient à 73.6, toujours pour 1000 de dettes, soit un µ de 13,6. Ennuyeux mais pas encore dramatique.

Mais si cette banque a 80% de prêts dans son actif (soit 880), et que la perte réelle passe de 0.5% à 10% (cas de Wilmington), alors la dépréciation de son portefeuille atteint 83.6, ses nouveaux fonds propres fondent de 100 à 16.4, et son µ officiel passe de 10 à 61 ! Avec des niveaux de fonds propres aussi bas, une perte apparemment "raisonnable" peut se transformer en bombe comptable.

Bref, l'incertitude sur la comtpabilisation des prêts à l'actif des banques est maximale, et si les craintes de Jonathan Weil se révèlent fondées, alors les analyses des bilans des banques américaines et de leur µ sont absolument sans valeur. Et si cette "niche comptable" perdure, les normes de Bâle III ne seront qu'une aimable plaisanterie de plus dans les conversations de machine à café du côté de Wall Street.

Et compte tenu de ce que chaque jour révèle sur les banques depuis le début du foreclosuregate, il n'y a aucune raison de croire que Bloomberg se trompe gravement.

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* Une possibilité expliquant l'insolence des bilans bancaires est que dans le cadre des rachats de titre par la FED lors du premier bailout fin 2008, celle ci ait pris en pension les prêts les plus pourris. Et donc les prêts figurant au bilan ne seraient pas aussi mauvais que la moyenne nationale. L'hypothèse me parait hautement douteuse, mais sait on jamais. Tant que la cour suprême n'aura pas statué sur la plainte en rétention d'information de Bloomberg contre la FED, nous n'en saurons rien.

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