Comment ? Vous ne connaissez pas l’ANTAI ? Pourtant, c’est grâce à leur travail décisif que vous pourrez recevoir, joie, bonheur et ponction monétaire, vos amendes et autres contredanses automatiques à la suite d’infractions routières vous plaçant immédiatement dans la catégorie des dangers publics ! Et pendant l’année 2015, l’ANTAI a battu son précédent record en émettant 13,31 millions de contraventions (au lieu de plus de 12 millions en 2014). Youpi, non ?
Au passage, on ne pourra s’empêcher de noter que cette multiplication des PV n’est pas liée à la multiplication des flashs mais à la meilleure qualité des radars et des photos qu’ils prennent et au meilleur recouvrement de la part de l’administration.
Vraiment, il aurait été dommage de passer sous silence les améliorations techniques, le bon recouvrement financier et le déploiement toujours plus grand de ces radars sur les routes de France. Il est vrai qu’on se demande souvent quand les nouvelles technologies s’insinueront dans certaines administrations et certains services publics. Ainsi, quand Paul Employ va vraiment découvrir internet, ça va poutrer violemment, vous verrez. Et lorsque le gouvernement ou l’Élysée recruteront des gens compétents pour leurs réseaux sociaux, peut-être ira-t-on jusqu’à découvrir qui est vraiment Président actuellement (c’est vrai, quoi, la blague a assez duré) ?
En attendant, réjouissons-nous de voir la France des radars progresser à grands pas.
Après tout, qui ne voudrait pas de ces magnifiques engins qui permettent à nos forces de l’ordre de
Bref, des PV qui arrivent à bon port, des amendes qui sont payées et des radars qui se multiplient, c’est vraiment une excellente nouvelle pour ce pays de liberté.
Et puis ne l’oublions pas, le principe du radar est tout de même bien ancré dans les mœurs françaises. On aime beaucoup contrôler son monde. On adore s’assurer que tout le monde (les autres surtout) est bien dans les clous. On supporte assez mal celui dont la tête dépasse et qui fait le malin.
D’ailleurs, si l’on trouve du radar par douzaines sur nos routes, on trouve du radar ou son équivalent symbolique à peu près partout ailleurs.
En entreprise, tout excès sera copieusement sanctionné. Le contrôle intervient à tous les niveaux et aucun n’épargnera le petit malin qui, s’il sommeille en chaque entrepreneur, ne manque pas de se réveiller si on lui en laisse la possibilité : les syndicats savent pertinemment que le patron cherche essentiellement à nuire aux salariés ; et ça tombe bien, les salariés se doutent, confusément parfois, que tout est fait pour les entuber. Le fisc sait que l’entreprise est le nid de tous les abus. L’URSSAF ne se fait aucune illusion et diligente heureusement assez régulièrement de perspicaces inspecteurs qui remettront l’exploiteur dans le droit chemin.À l’école, au collège, au lycée, à la fac, là encore de solides petits radars existent et font tout ce qu’il faut pour garantir qu’aucun excès de vitesse intellectuelle ne sera enregistré. L’esprit critique est évidemment encouragé lorsqu’il s’agira de critiquer ceux qui en ont. Les récents événements ont d’ailleurs poussé notre brillantissime ministre de l’Éducation actuelle à mettre en place quelques jalons importants pour lutter contre rumeurs et autres théories du complot, ce qui assure que chaque individu, correctement
Quant au reste de la société française, à commencer par sa culture, elle n’est pas moins exempte de ces radars qui flashent à qui mieux-mieux lorsqu’un excès de pensée déviante est détecté. Qu’est-ce que le politiquement correct, soi-disant pourchassé dans les émissions, les films, les pièces de théâtre, les spectacles qu’il faut avoir vus et qui sont pourtant les exemples parfaits de ce politiquement correct et de cette norme imposée discrètement mais implacablement à tous ? Comment ne pas voir ce politiquement correct depuis le moindre journal télévisé jusqu’à la récente (et soporifique) cérémonie des Césars, et comment ne pas noter tous les petits radars, à droite, à gauche, qui s’assurent que tout le monde est bien à sa place, dit bien ce qu’il faut, pense bien là où il faut penser et quand il faut penser ? Au passage et puisqu’on parle de cinéma, comment ne pas se rappeler du sort délicat que fut celui d’un film très politiquement incorrect, Made In France ?
Non, décidément, la performance de l’ATAI est la simple extension dans le domaine de la sécurité routière de cette habitude de la société française d’installer des radars absolument partout : on a instillé chez tous les bons petits citoyens la nécessité de détecter le déviant, le différent, celui qui va trop vite, trop lentement, qui est trop grand, trop petit, trop bête et surtout trop intelligent…
C’est inquiétant, à bien y réfléchir.
En effet, la meilleure des dictatures n’est pas celle qui donne à quelques uns, par l’armée et la police, le pouvoir de vie et de mort sur tous les autres, mais celle qui permet à chacun d’entre nous, par le vote, par le lobbying, par l’auto-censure ou la censure active, d’exercer une petite tyrannie sur tous les autres. Elle est bien plus stable, bien plus durable et bien plus solide que la dictature autoritaire traditionnelle puisqu’elle utilise les ressorts les plus profonds de chacun d’entre nous, cette part de jalousie et d’envie de contrôler les autres qui nous amènent, tous à des degrés divers, à accepter la société dans laquelle nous vivons, à la cautionner, et, pire que tout, à en redemander bruyamment lorsque l’occasion se présente.
Grâce à ce mécanisme qui a infusé cette dictature du radar social partout, la France est parvenue à se passer de l’étape suivante, la dictature autoritaire complète. Malheureusement, à mesure que, de politiquement correct en censures frénétiques, de contrôle permanent en sanctions automatiques, l’atmosphère se fait plus lourde et plus irrespirable, les nécessaires bouffées d’air frais que pourraient amener un peu de liberté n’arrivent pas ; les individus, se sentant chaque jour plus incarcérés dans un système étouffant, se font plus violents.
Par réaction, l’État et son gouvernement montrent leurs muscles, instaurent un état d’urgence, multiplient contrôles et sanctions. L’issue semble évidente : peu importe les prochains raouts électoraux, la petite tyrannie de chacun, montrant des difficultés croissantes à se maintenir sans heurts, sera bien vite remplacée par un pouvoir fort, autoritaire, sans contestation possible, et, pire que tout, appelé par les vœux de tous.
Ce pays est foutu.