Vincent Benard
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Vincent Bénard est analyste à l'Institut Turgot (Paris) et, depuis mars 2008, directeur de l'Institut Hayek (Bruxelles). C'est un spécialiste du logement et de la crise financière de 2007-2008 (subprimes). Grand défenseur du libéralisme économique, Vincent décortique tous les errements des Etats providence !
France : la non-réforme territoriale qui ne corrigera aucune des tares de nos administrations
Audience de l'article : 4944 lectures(Cet article a été initialement publié dans “La propriété privée rurale” n°451, magazine de la Fédération Nationale de la Propriété Privée Rurale sous le titre “La réforme territoriale, une occasion manquée”)
Un “choc de simplification” annoncé
Sur le principe, réformer l'organisation territoriale française était absolument indispensable, et l’ambition affichée par le président de la république le 2 juin 2014 était forte: A terme, vers 2020, les conseils généraux (rebaptisés départementaux) devaient disparaître, abandonnant d’ores et déjà un grand nombre de compétences à 13 régions (hors outre-mer) fortes dotées de ressources fiscales “dynamiques”, et éléments moteur du développement économique et de l’aménagement des grandes infrastructures territoriales. Dans le même temps, les intercommunalités devaient grandir, et la liste de de leurs compétences obligatoires devait petit à petit réduire les communes participant au rôle de simples “mairies d’arrondissement”, ou plutôt de hameau. Toujours pour clarifier l’action publique, la fameuse CCG, “clause de compétence générale”, qui permettait à chaque collectivité de s’autosaisir de n’importe quel sujet, devait être intégralement supprimée. Enfin, les 12 plus grande agglomérations de France devaient être transformées en métropoles récupérer toutes les compétences des départements sur leurs territoires, focalisant les conseils départementaux sur l’action rurale et dans les villes moyennes.
La région devait donc être le fer de lance d’une action publique renouvelée, avec l’appui de métropoles puissantes susceptibles, de par leur rayonnement national voir global, d’engendrer un effet d’entraînement positif pour l’ensemble des territoires.
Un résultat très inférieur aux attentes
Las. Alors que les textes de la loi “NOTRe” (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) ont été définitivement adoptés en Août 2015, force est de constater que les ambitions du texte initial ont été revues à la baisse. Les départements, dont de nombreux présidents sont des notables bien implantés, ont engagé un lobbying intensif pour limiter la portée de la réforme. Plus encore, ni les régions, ni les intercommunalités, ni l’État, n’étaient prêts à reprendre les compétences du Département dans le domaine social (Essentiellement: versement du RSA et insertion professionnelle des publics en situations difficiles, aides au vieillissement, au handicap, à l’enfance en difficulté). Ces missions représentent la moitié des budgets départementaux, sont en hausse rapide du fait du vieillissement de la population et de la dégradation de l’emploi, n’apportent que peu de bénéfice politique pour beaucoup de coups à prendre, et surtout, ne sont pas correctement financées, plaçant de facto un quart à un tiers des départements en situation de non respect des règles budgétaires des collectivités publiques, façon élégante de dire qu’elles sont placées sous perfusion de l’état.
Qui plus est, les métropoles ne sont pas toutes intéressées par la récupération de certaines compétences départementales… Et le regroupement de régions et de départements aurait sans doute conduit à aligner les rémunérations de tous les fonctionnaires sur la collectivité d’origine la plus généreuse, ce qui effrayait certains élus régionaux et leurs directeurs financiers.
Un compromis “bancal” fut donc rapidement trouvé, dont la saveur n’a qu’un très lointain rapport avec l’ambition initialement affichée. Jugez en:
$1- Les départements sont conservés et confirmés dans leur rôle social et routier.
$1- Les communautés de communes sont agrandies (15 000 habitants minimum) mais les maires et les conseils municipaux conservent l’ensemble de leurs prérogatives tant qu’ils ne les ont pas déléguées.
$1- Le clause de compétence générale est supprimée, sauf dans les domaines de la culture, des interventions pour la jeunesse, et du tourisme, où tous les échelons pourront continuer à mener chacun leurs politiques.
$1- Dans le domaine de l’éducation, alors que le bon sens eut voulu que des synergies soient trouvées entre Département (qui gèrent la logistique des collèges), la Région (qui gère les Lycées), et l’État (qui administre les universités et continue de gérer les programmes et les personnels enseignants de façon centralisée), la réforme maintient le statu quo.
$1- Les départements négocieront avec les métropoles l’abandon de 4 “blocs de compétence” à choisir parmi 8 (Collèges, logement social, etc…)
$1- Le principal transfert de compétence du département à la région concerne… l’organisation des transports publics par car (lignes régulières et scolaires), ainsi que les ports fluviaux.
Pire encore, même dans le cas des compétences “clarifiées” par la fin de la CCG, les doublons restent présents. Ainsi, en matière de formation professionnelle, la région reste chef de file, mais le département reste en charge de l’insertion des publics au RSA, donc de leur volet formation… En matière environnementale, la Région est chef de file de l’aménagement du territoire et de politiques environnementale (climat, air, déchets et biodiversité), mais le département reste opérateur en matière de protection des espaces naturels sensibles, et les intercommunalités se voient confier les compétences de gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations. Et ce ne sont là que deux exemples parmi d’autres.
Les vices structurels de l’organisation ancienne n’ont pas été réformés
On le voit, la simplification n’est donc que cosmétique. D’autant plus que dès le départ, le projet gouvernemental ne prévoyait aucun progrès dans d’autres champs de l’organisation territoriale qui, pourtant, auraient eux aussi mérité une “mise en examen”. Ainsi, les institutions locales évoluent un peu, mais l’État n’a quant à lui pas prévu de réorganiser sa présence sur le territoire pour tenir compte de la montée en puissance des régions: l’état conservera ses pôles administratifs inchangés sur le territoire (Éducation, culture, protection des personnes, santé, affaires sociales et emploi, défense, etc). De plus, les “agences” para-ministérielles (Pôle emploi, ADEME, AFFSAPS, CAF, etc…), au nombre de 1244, qui font souvent double emploi avec des services ministériels entiers, et dont l’interaction avec les administrations locales est considérée comme un facteur d’alourdissement des procédures et projets, ne sont absolument pas restructurées par la réforme, alors que la cour des comptes déplore leur contribution importante à l’explosion de nos dépenses publiques. De même, de nombreuses instances locales dont la valeur ajoutée est pour le moins discutable, telles que les SAFER dans le milieu agricole, ou les organismes collecteurs agréés du dans celui de la formation professionnelle, ne seront absolument pas réformées.
Autant dire que sur le terrain, le nombre d’intervenants à mobiliser pour faire avancer un projet restera élevé, chacun ayant sa logique propre, et sa propre enveloppe financière. En effet, la loi n’a pas prévu de corriger ce qui reste la première faiblesse de l’organisation territoriale française, la faible responsabilisation fiscale des intervenants. Les communes reçoivent aujourd’hui plus des deux tiers de leurs budgets via des dotations d’état ou des subventions des échelons supérieurs. Pour une commune, le Département, la Région ou l’État sont d’abord des “tiroirs caisse” qu’il faut savoir actionner pour faire pleuvoir les ressources ! Ainsi, les projets publics les plus contestables se voient financés car chaque échelon n’en apporte qu’une partie et a l’illusion de faire payer “le reste du pays”... Sauf que comme chaque projet est financé de la même façon, c’est au final toutes les feuilles d’impôts de tous les contribuables qui pâtissent de cette course à la subvention généralisée. On ne voit rien dans la réforme qui puisse faire changer cette donne.
Nos régions ne sont toujours pas des Länder…
Pourtant, il ne faut pas aller loin pour trouver un pays qui a su éviter la plupart de ces écueils: notre grand voisin Allemand.
L’une des motivations les plus souvent avancées pour justifier la création de 13 régions agrandies (hors DOM) est la nécessité de rapprocher leur capacité financière des Länder. L’argument serait intéressant si l’analogie n’était pas tant viciée: Le budget total des 16 Länder était de 285 Mds€ en 2014, contre… 29 pour les régions Françaises. Certes, la réforme va transférer quelques ressources des départements aux régions. Mais dans leur ensemble, les départements continueront à peser deux fois plus que les régions (environ 70 Milliards contre 35 après la réforme).
Mais la différence entre régions Françaises et Allemandes ne s’arrête pas au volume de leur portefeuille. Ainsi, la pratique du “financement croisé” est exceptionnelle outre Rhin. Chaque strate (commune, land, état) dispose de son enveloppe et fait avec, sans quémander à autrui une rallonge. Un projet sera donc plus que chez nous susceptible de trouver un financement sur ses qualités propres. Et tant l’État Fédéral que les Länder sont soumis depuis la crise européenne à une loi de “frein à l’endettement” inspirée de celle inventée par les Suisses, loi qui force les collectivités à équilibrer leurs budgets sur plusieurs années consécutives. Résultat, 15 des 16 Länder sont en bonne santé financière.
L’Allemagne est une république fédérale, aussi les Länder disposent d’un gouvernement propre, avec quelques ministres, et une assemblée dotée d’un vrai pouvoir législatif dans tous domaines où l’état Fédéral n’a pas jugé bon d’intervenir, et la seconde chambre législative allemande (le BundesRat) veille à empêcher toute tentation excessivement intrusive de Berlin dans les affaires locales. Ainsi par exemple, les politiques foncières, en Allemagne, sont locales, l’Etat fédéral fixant simplement de grands objectifs et de grands principes. Plus anecdotiquement, la liberté de maintenir des zones “fumeur” ou pas dans les établissements de restauration se vote au niveau des länder. On est très loin de l’organisation française ou les collectivités “s’administrent librement” (article 72 de la constitution) mais ne se gouvernent pas, et sont tenues d’exécuter à la lettre les politiques votées au niveau central, même si elles les jugent contre-productives. Les récentes oukases du gouvernement contre les communes qui jugent inapproprié de produire des quotas ahurissants de logements sociaux définis par les lois SRU (et augmentés par l’actuel gouvernement) sont la manifestation la plus flagrante de la persistance de cette autoritarisme jacobin.
Le centralisme normatif, ou comment vider la décentralisation de son sens
Ce centralisme se manifeste au quotidien dans les petites et moyennes collectivités par un étouffement normatif qui rend de facto la notion de “libre administration” vide de sens. Le maire nouvellement élu d’une ville importante du sud de la France s’étonnait récemment que 92% du territoire de sa commune était “prézoné” par des prescriptions nationales ou européennes, limitant considérablement sa marge de manoeuvre pour tenter de rénover son plan local d’urbanisme. Le maire d’une petite commune du grand ouest, pour pouvoir faire avancer un projet de parc commercial pouvant aboutir à la création de plusieurs centaines d’emplois, a dû batailler plusieurs années avec quelques fonctionnaires du ministère de l’écologie pour pouvoir tracer un morceau de voie de quelques dizaines de mètres de long nécessaire à la desserte de cet équipement, car elle jouxtait une “zone humide” d’à peine un demi hectare qu’il fallait absolument préserver au nom des grands équilibres biologiques dont le ministère de l’écologie se targue d’être l’ultime protecteur. La norme est devenue l’instrument par lequel l’administration d’état, sous l’égide des préfets, tente de récupérer sur les collectivités le pouvoir qu’elle a perdu depuis les lois de décentralisation de 1982.
L’exemple du ministère de l’équipement, qui a accepté de se laisser absorber par le ministère de l’environnement à la fin de la dernière décennie, est à cet égard exemplaire. Les corps d’ingénieurs de ce ministère, dessaisis de leurs compétences d’ingénierie pure par Bruxelles qui voyait d’un mauvais oeil leur activité concurrencer déloyalement des bureaux d’études privés, étaient menacés de disparition. En se laissant avaler par le pourtant minuscule ministère de l’environnement, ils ont pu se saisir des très médiatiques missions de protection de l’environnement que les lois européennes et autres Grenelle multiplient, et sont devenus le fer de lance, au sein d’un grand ministère de “l’écologie et du développement durable”, d’une nouvelle “ingénierie régalienne” dont le rôle semble systématiquement être d’ “empêcher” là où auparavant, ces administrations cherchaient à aider à “faire”. Sans nier que l’environnement soit une cause majeure, de nombreux acteurs estiment aujourd’hui que la recherche de sa protection va bien trop loin et que son rapport coût/avantages s’est considérablement dégradé.
Conclusion : la simplification attendra. La privatisation aussi
Ni les ménages, ni les entreprises ne verront d’amélioration sensible de leur relation avec les administrations locales du fait de la loi. Les points d’entrée seront presque aussi nombreux, les formulaires abondants, et rien ne permet de croire que l’argent public sera mieux dépensé. D’ailleurs, les nouvelles régions, dont l’état n’a pas diminué le nombre d’élus, se sont empressées de rassurer les fonctionnaires des anciennes entités en promettant qu’elles maintiendraient une organisation locale “éclatée”, façon de dire que les déplacements autoritaires de services administratifs vers la nouvelle capitale régionale seront limités au strict minimum. Comme trop souvent, un gouvernement, à partir d’idées dont certaines apparaissaient bonnes, a accouché d’un compromis ultra-conservateur en se couchant devant tous les lobbies qui auraient eu à perdre en cas de transformation plus radicale de notre organisation publique.
Le problème ne sera résolu que lorsque l’État, au lieu de réfléchir en termes de répartition de compétences publiques entre acteurs publics, se posera, comme en Suède, en Allemagne, en Suisse ou en Grande-Bretagne, la question de l’intérêt de maintenir l’intervention du secteur public dans de nombreux domaines. La région est depuis sa création en charge des politiques locales de l’emploi, ou de la formation professionnelle, qui peut constater la moindre amélioration des résultats de la France dans ces domaines depuis les années 80 ? L’état et les collectivités se partagent chacun des morceaux de l’éducation des enfants: en quoi cela a-t-il profité aux performances de nos élèves dans les comparaisons internationales ? La perfusion de notre agriculture de subventions européennes l’a-t-elle rendue plus solide et résistante aux aléas conjoncturels ? Arrêtons là la litanie des échecs de l’intervention publique nationale ou locale en France. Comme nos grands et moins grands voisins l’ont compris, il faut se poser la question d’un retour à la société civile (privée ou caritative) de pans entiers de l’action publique, l’État se contentant d’arbitrer des litiges et de juger les conséquences d’erreurs ou de fraudes. Les économies et les simplifications viendront alors toutes seules.
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