L’Empire technocratique a généré une cassure
La nouvelle Commission européenne a tout intérêt, si elle veut sauver l’institution, à prouver aux Européens qu’elle est à leur service et qu’elle oeuvre pour eux. Échaudés par un Delors qui voulait substituer l’Europe aux nations en la dotant de superstructures étatiques et impérialistes placées aux mains de technocrates cooptés, saturés par un Barroso américanolatre qui n’eut de cesse de mettre l’Europe au service et à la remorque des USA, partout l’euroscepticisme monte et il n’est pas complètement impossible que la Grande-Bretagne demande le divorce.Un plan de relance « keynésien » est il ce dont l’Europe a besoin?
Son annonce d’un plan d’investissement de 315 milliards d’euros a de très fortes chances de ne pas dépasser le stade d’annonce. Autant dire que le premier acte du nouveau Président de la commission ne rassurera personne, ni les europhiles qui devront gérer une nouvelle crise de crédibilité de la part de l’institution, ni les eurosceptiques qui auront beau jeu de dénoncer l’impuissance de la technocratie bruxelloise.Le plan Juncker sera-t-il un gros fiasco?
Il y a, en effet, de nombreuses raisons d’être dubitatif. En premier lieu, il s’agit de faire des prêts pour financer des investissements, publics et privés. Pour ce qui est des investissements publics, cela veut dire que les pays pourront emprunter de quoi dépenser de l’argent dans des projets dits d’avenir, comme les réseaux de communication, l’éducation, la recherche ou les énergies renouvelables, toutes les tartes à la crème dont se délectent nos politiciens incapables de réfléchir. Le problème n’est pas seulement que ces «visions stratégiques» sont des rêves largement déconnectés des réalités économiques, mais c’est aussi illogique. Comment oser prôner de nouveaux emprunts publics d’un côté, et, en même temps, insister sur la réduction des dettes publiques?La réponse est digne du Nobel de la tartufferie: ces emprunts ne seront pas comptabilisés par la Commission dans les calculs de dettes soumises à son contrôle! Oui, vous avez bien lu, comme pour le calcul des fonds propres des banques, comme pour les retraites des fonctionnaires français, les sommes empruntées dans le cadre de ce Gossplan junckerien « ne seront pas comptabilisées… »!!!! Ce sera de la dette pour rien. Bravo pour la cohérence du message! Promouvoir la rigueur budgétaire, la règle d’or, astreindre au nom de la cohérence monétaire des pays tentés par la relance keynésienne à une cure d’austérité et venir présenter maintenant comme une avancée à laquelle les pays européen doivent souscrire d’emprunter dans l’espoir (vain, comme l’histoire nous l’enseigne…) d’une hypothétique relance, voilà qui s’appelle se moquer du monde. « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ». La relance, c’est bien quand Bruxelles décide et l’austérité, c’est pour les minables du Club Med… Pas sûr que cela rabiboche qui que ce soit avec les tchnos de Bruxelles!
Quant aux investissements privés, de deux choses l’une. Soit les entreprises ont de nombreux projets en main, soit le plan Juncker servira à financer des projets pas vraiment nécessaires grâce à des subventions plus ou moins déguisées. La réponse de la Commission est que ce sont les PME qui sont visées. Ah, les PME, les « RTI » comme on les appelle maintenant! Les politiciens ont une tendresse toute démagogique pour elles! Certains vont même jusqu’à leur leur dire « je t’aime »!!! Sauf que les entreprises n’ont aucune raison d’investir si leurs marchés sont en panne.
Mais supposons un instant que tout cela soit mis en place. Les projets d’investissements, qu’ils soient publics ou privés, ne s’improvisent pas. Il faut les mettre au point, ensuite emprunter, puis passer commande et enfin les mettre en place. Cela prend toujours du temps, surtout dans le secteur public où les délais se calculent en années, pas en mois. Sans oublier qu’il faudra bien arbitrer entre les pays, même si le président de la Commission jure qu’il n’y aura pas de contrainte géographique. Tout le monde sait qu’il faudra des mois de négociations pour que tous les pays soient convenablement arrosés. Or c’est maintenant que l’Europe est en panne. Des dépenses qui se matérialiseront dans deux ou trois ans ne sont pas très utiles.
Tout aussi problématique est cette somme de 315 milliards d’euros. Ça a l’air beaucoup, mais c’est à répartir sur trois ans. Au bout du compte, cela représente moins de 1% du PIB de la zone euro, trop peu pour assurer une relance.
Le plus surprenant, c’est la somme de 315 milliards elle-même. L’ingénierie financière du président Juncker n’est vraiment pas convaincante. Il a trouvé, dit-il, 21 milliards d’euros. La BEI est censée emprunter 5 milliards pour cette opération, plus 16 milliards qui seront garantis par la Commission, prélevés sur ses propres ressources. Pour le reste, le plus gros de l’opération, la Commission prévoit un «multiplicateur» de 15 pour arriver aux 315 milliards. Elle estime que c’est l’argent qui sera apporté par les gouvernements et le secteur privé. Pourquoi le feraient-ils? Mystère, c’est le miracle de «l’effet de levier», un terme qui ne correspond pas à cette opération. Si un gouvernement finance des investissements publics, il peut le faire sans passer par la case Juncker. C’est la même chose pour une entreprise privée.
Si la logique économique est mise au défi, il reste les calculs politiques. L’austérité étouffe la zone euro. Il serait très simple de mettre le Pacte de stabilité en sommeil le temps de retrouver les chemins de la croissance, mais l’Allemagne ne veut pas en entendre parler. Juncker sait bien que la poursuite de la croissance nulle nourrit un profond ressentiment à l’égard de l’euro. Alors, il annonce 315 milliards qu’il n’a pas. C’est de la com, rien que de la com. Il assure aussi les socialistes français et les politiciens des pays du sud de son soutien. Un moyen comme un autre d’essayer de ne pas être prisonnier de l’ogre germain.
L’enlisement de l’optimisation fiscale
A la suite des révélations selon lesquelles les grandes sociétés mondiales négociaient l’imposition de leur siège européen au Luxembourg « de gré à gré » avec le gouvernement et non pas selon des règles fixes, établies, et identiques pour tous, l’ancien Premier Ministre du Grand Duché a répondu qu’il n’était pas « l’architecte du modèle luxembourgeois parce que ce modèle n’existe pas ». Cette réponse en a énervé plus d’un. En effet, comment confier la présidence de la Commission à quelqu’un qui durant toutes les années qu’il a passé au pouvoir dans son pays a contribué à flouer (c’est le cas de le dire) ses partenaires européens?The Guardian, qui a contribué à l’enquête réalisée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) sur les accords fiscaux très avantageux que propose le Luxembourg aux entreprises, sonne maintenant la charge contre Jean-Claude Juncker himself. Le quotidien britannique diffuse une interview de Bob Comfort, l’ancien fiscaliste en chef d’Amazon – une entreprise qui, depuis 2003, bénéficie largement du système luxembourgeois d’optimisation fiscale. En octobre, la Commission européenne a d’ailleurs ouvert une enquête pour savoir si les autorités luxembourgeoises avaient accordé des subventions « déguisées » au géant américain du commerce électronique, dont le siège européen est situé au grand-duché. « Le gouvernement luxembourgeois aime à se présenter comme business partner, et je pense que cette caractérisation est exacte : il aide à résoudre des problèmes« , explique Bob Comfort, qui dit avoir rencontré le Premier ministre Jean-Claude Juncker une ou deux fois. « Son message était : ‘Si vous rencontrez un problème que vous pensez ne pas pouvoir résoudre, revenez me voir. J’essayerai de vous aider‘. »
Lorsqu’il a pris sa retraite en 2011, Bob Comfort a été nommé consul honoraire du grand-duché pour l’Etat de Washington, où Amazon a son siège social (à Seattle). « Dans tout l’Etat de Washington n’habitent que quatre Luxembourgeois, explique Comfort. Je suis donc très rarement sollicité pour effectuer des tâches consulaires comme aider pour les visas ou avancer une caution pour faire sortir quelqu’un de prison. Mon travail ici consiste à aider le gouvernement luxembourgeois à attirer du business. Ce n’est pas une fonction rémunérée (sic), mais, comme retraité, cela m’amuse (re-sic) d’aider à expliquer à d’autres firmes que le Luxembourg est une bonne business location. » C’est beau le bénévolat au service d’œuvres de charité, tout de même!
Selon The Guardian, cette interview n’est que le début d’une série de révélations sur les pratiques de Monsieur Juncker lorsqu’il était Premier Ministre du Luxembourg. Même si nous pouvons considérer que le dirigeant d’un pays est tout à fait dans son rôle lorsqu’il prend des décisions en faveur de cet Etat, il semble difficile de confier à cette même personne le rôle délicat de réglementer ensuite les règles dont il a sut abuser au détriment de ses partenaires. Là encore, nous sommes en pleine tartuferie.
La parole de Monsieur Juncker en mati-re d’harmonisation fiscale est définitivement inaudible.