Alors que de nombreuses voix s’élèvent pour défendre une croissance économique faible, voire une décroissance, au nom de la défense de la planète et de la préservation de ses ressources, il est utile de rappeler certains faits. Tout d’abord, il existe un lien évident entre croissance économique et niveau de vie. Si on prend comme critère, certes imparfait, le PIB par habitant, les statistiques des Nations Unies indique que celui-ci ne s’est élevé que de 467 dollars/h, en l’an 0, à 667 dollars /h en 1820, en prenant en compte l’inflation et la dépréciation monétaire qui en a résulté. Durant ces 18 siècles, la croissance économique a rarement dépassé 1%. Par comparaison, le PIB par habitant, au niveau mondial, a dépassé 7 215 dollars en 2006, l’essentiel de la progression s’étant produit depuis 1945. A titre d’illustration, la France a connu une croissance de 5,6 % entre 1960 et 1974 et 2,3% entre 1975 et 2006, le supplément de croissance réalisé après la Seconde Guerre Mondiale étant essentiellement dû à la reconstruction.
Examinons maintenant les chiffres de la démographie mondiale. En 1900, la Terre ne comptait que 1,5 milliard d’êtres humains. En 1980, nous avions franchi le cap des 4,5 milliards d’habitants. Le taux de croissance de la population, très élevé au milieu du siècle dernier (2%) s’est légèrement tassé (1,2% en 2010), mais reste largement supérieur à celui des périodes précédentes (Antiquité ou Renaissance). Une explication simple de cet accroissement réside dans le décalage entre la baisse de la fécondité et la chûte de la mortalité (en particulier infantile) : ce sont d’abord les pays développés qui en ont profité, puis les pays émergents, à tel point que l’on prévoit un chiffre de 9,15 milliards d’humains en 2050 (chiffres PNUD).
Si on rapproche les statistiques de la croissance économique et celle de la démographie, on constate une forte corrélation : la hausse de la population mondiale a entrainé un accroissement du niveau de vie moyen, avec bien sûr, de fortes disparités. Les explications sont claires : une population jeune implique une force de travail plus importante (coté « offre ») et un besoin de consommation accru (coté « demande ») ; par ailleurs, la jeunesse favorise le dynamisme économique, à travers l’innovation et la recherche de nouveaux produits. En particulier, la croissance démographique provoque une urbanisation accélérée de la planète : en 1960, il y avait environ 300 millions de citadins de grandes métropoles (villes de plus d’un million) ; en 2012, ils seront 2 milliards (dont 350 millions en Chine).
Ces tendances vont avoir des conséquences géopolitiques lourdes : l’Asie et l’Amérique latine, dans un premier temps, l’Afrique dans un second temps, vont incarner le vrai potentiel de croissance de la planète. En 1913, l’Europe était plus peuplée que la Chine ; en 2010 la Chine représente deux fois l’Europe, qui ne représentera que 6% de la population mondiale en 2030 (contre 15% pour la Chine) ! En 1950, l’ensemble de « l’Occident » (Europe, Etats-Unis) assurait 68% du PIB mondial, contre 30%, en 2030, selon les prévisions de la Banque Mondiale.
On peut alors anticiper les évolutions prochaines. La croissance va rester forte dans les pays émergents et en particulier, en Afrique, qui bénéficie pleinement du décalage entre baisse de la mortalité (rapide, malgré les épidémies, telles que le SIDA, ou les guerres) et la baisse de la natalité, encore lointaine. Par contre, les pays développés vont entrer dans « l’hiver démographique » et donc la stagnation économique. C’est déjà le cas du Japon, dont la population diminue dans un contexte de déflation (et ce n’est pas un hasard !). D’autres pays s’en rapproche rapidement : la Russie (qui fait illusion, de temps en temps, lorsque le prix des matières premières est à la hausse), l’Allemagne (malgré l’afflux d’immigrés), l’Italie et même l’Espagne (qui a réussi à retarder l’échéance grâce à un rattrapage économique appuyé sur une bulle immobilière). Pour l’instant, la France semble préservée au niveau démographique. Mais c’est en grande partie grâce à une politique nataliste (création de crèches, allocations familiales et avantages fiscaux), que d’autres pays vont d’ailleurs essayer de copier (Allemagne, Japon).
Les facteurs démographiques sont des tendances lourdes, qui mettent du temps à évoluer. Comme nous l’avons montré, la croissance de la population favorise la croissance économique d’une façon « permanente », contrairement aux périodes de reconstruction qui suivent les guerres (cf. les « Trente Glorieuses »). Encore faut-il que la gouvernance politique en fasse bon usage et ne gaspille pas les fruits de cette croissance par des actions ou des initiatives stériles.
Bernard MAROIS
Professeur Emérite HEC PARIS
Président du Club Finance HEC