Un bon graphique vaut mieux qu'un long discours. Pour mieux comprendre pourquoi la crise actuelle aura achevé de me convaincre qu'une monnaie fondée sur un étalon métallique (étalon or, étalon argent), et libre de l'influence des banques centrales, serait meilleure que la monnaie fiduciaire qui est actuellement la notre, voyez l'évolution de la valeur du dollar depuis 1800 compilée par Sean Malone pour le Mises institute:
Observez les différentes époques : 1815 (fin de la seconde guerre avec la Grande Bretagne) - 1900 : le pouvoir d'achat du dollar double, malgré la guerre de sécession en milieu de période, qui annule les gains engrangés les 60 années précédentes. En 1900, un dollar de 1800 en vaut 2. En 1913, il en vaut encore 1,70. Que dire de la dégringolade observée depuis ! le dollar de 2008 voit sa valeur tomber à 8 cents de 1800 ! Autrement dit, le pouvoir d'achat d'un dollar en 1913 était 22 fois plus élevé qu'aujourd'hui.
A cela, il est souvent répondu que cela n'est pas grave, puisque les revenus courants ont cru bien plus vite. En outre, les adversaires de l'étalon or arguent qu'il serait impossible de financer la croissance du monde d'aujourd'hui par une monnaie basée sur l'or, c'est à dire donc chaque signe monétaire correspond à une créance sur une certaine quantité d'or. Selon eux, il n'y aurait pas assez d'or, la production de métal jaune serait trop faible, et l'ajustement des prix à la baisse entrainé par la revalorisation de la monnaie conduirait à des comportements attentistes, tant au plan de la consommation ("achetons demain, ce sera moins cher") que du point de vue de l'épargne ("pourquoi investir puisque mon dollar s'apprécie même quand je dors").
Intéressons nous plutôt aux chiffres de croissance des périodes 1815-1850, et 1865-1900, deux périodes de 35 années marquées par un doublement du pouvoir d'achat du dollar. L'assomption selon laquelle l'étalon or ne permet pas une croissance soutenue est elle vérifiée ?
Ces chiffres ont pu être reconstitués, notamment à partir des travaux d'un historien de l'économie, Angus Maddison. Ils sont accessibles sur measuringworth, un calculateur en ligne fondé par deux professeurs d'université, aidés par un board of advisors également composé d'universitaires, qui propose des séries historiques d'indicateurs pour plusieurs pays. On peut donc supposer que ces données ont été sérieusement collectées.
De 1815 à 1850:
Alors que la population américaine est multipliée par 3, le PIB par tête, en dollars courant, commence à baisser de 110 $ à 69 $ en 1824, puis remonte à... 110 $ en 1850. En dollars constants, cela représente une hausse de 38%, soit 0,9% an. A cette époque, les avancées technologiques permises par la vapeur sont naissantes, et n'autorisent pas les mêmes gains de productivité qu'aujourd'hui. Malgré tout, cela suffit à multiplier par 4 la taille globale de l'économie US durant cette période, car la population, elle, passe de 8 à 23 millions, et le PIB connait une croissance (nette) de 3,3% annuels. L'étalon or et l'absence de banque centrale n'ont donc pas été un frein à l'expansion économique naissante du début du XIXème.
Passons maintenant de 1866 à 1900.
Le PIB par tête en dollars courants passe de 280 à... 270$, qui vaudraient 5500 dollars d'aujourd'hui, mais est multiplié par 2 en dollars constants, soit une augmentation annuelle de 1,9%. Sachant que la population globale augmente de 120% dans la même période, la croissance du PIB total américain est de 322% durant la période, soit là encore 3,4% par an.
Et maintenant ? 1972-2006.
Rapportons maintenant ces chiffres à ceux de la période 1972-2006, soit également 35 années pleines, consécutives à la fin de la convertibilité du dollar en or (15 Août 1971), signant la fin du système monétaire de Bretton Woods.
Le PIB nominal par tête est passé de 5900 à 44 300$. Cela impressionne vu comme cela, mais corrigé de l'inflation, en dollars constants, le PIB n'a été multiplié que par... 2, soit exactement la même performance que celle enregistrée dans la période 1866-1900, soit 1,9% par an. La population a augmenté de 42%, le PIB total à dollar constant a quant à lui progressé de 179%, soit une hausse annuelle moyenne de 2,9%: un peu moins qu'à la fin du XIXème siècle, donc. Et encore les chiffres de la période 2000-2007 sont ils sujets à caution, car la bulle immobilière a faussé le calcul du déflateur de PIB communément utilisé pour distinguer l'inflation de la croissance réelle. La performance des années 2000-2007 est sans doute proche de... zéro, en terme de croissance réelle.
Le graphe suivant donne la mesure de l'emballement de l'inflation depuis 1971:
Au vu des chiffres de croissance du PIB par tête en dollars constants sur des périodes de durées identiques, on pourrait donc conclure que finalement, la nature du système monétaire n'a que peu d'influence sur la performance économique globale. Mais à y regarder de plus près, un autre facteur est à prendre en compte.
La dette totale américaine, privée et publique, est restée à peu près stable de 1952 au début des années 80, à 125-150% du PIB. cf Graphe ci dessous:
A partir du début des années 80, elle s'emballe pour atteindre 330% du PIB (certaines sources évoquent 360%...). L'absence de discipline liée à une régulation des taux d'intérêt par les marchés et par la contrainte de la contrepartie en or sur les signes monétaires ont formé une énorme bulle de crédit, dont l'éclatement est en train de mettre les économies mondiales en grand danger: là ou il fallait des guerres pour effacer les gains des générations précédentes lors du règne de l'or, une crise du crédit est aujourd'hui suffisante. Est-ce un progrès ?
Je n'ai pas de données sur l'endettement global américain entre 1800 et 1900. Mais de tels effets d'expansion de la masse monétaire et de la dette n'auraient pas été observables avec une monnaie fondée sur l'or, dont les taux auraient immédiatement augmenté en cas d'emprunts exagérés des agents économiques.
La croissance des années où le pouvoir d'achat du dollar s'appréciait naturellement du fait de la relative raréfaction de l'or qui en était le sous-jacent, était donc notoirement plus saine que celle acquise à crédit dans les années récentes, et n'était pas moins spectaculaire en terme de hausse du revenu par habitant. Voilà pourquoi les partisans du retour aux étalons métalliques devraient être mieux écoutés.
Vincent BENARD