Sur le plan conceptuel, Bitcoin peut être considéré comme une entreprise autonome. Une entreprise, parce que le protocole Bitcoin fournit un service (de transfert de valeur) ; autonome, parce qu’il n’y a pas d’être humain à sa tête. Comme Bitcoin transfère la valeur d’une manière plus efficiente – avec moins de frais, plus de rapidité et plus de fiabilité – que les entreprises non-autonomes qui jouaient jusqu’alors ce rôle (par exemple, les banques et PayPal), nous pouvons envisager de manière confiante qu’à l’avenir il va gagner des parts de marchés dans l’accomplissement de ce service.
Les possesseurs de bitcoins, en plus d’être les utilisateurs du service, sont également les détenteurs de morceaux du protocole. Or un individu qui possède un morceau d’une entreprise s’appelle un actionnaire. Et d’un point de vue financier, le mécanisme est bel et bien semblable à celui de l’actionnariat : l’augmentation de la demande pour l’utilisation protocole (ie. l’augmentation de la part de marché de l’entreprise autonome) se traduit par une plus-value pour les détenteurs de bitcoins, car face à une offre de bitcoins quasiment fixe, une demande en hausse entraîne l’augmentation du prix.
Enfin, pour filer la métaphore jusqu’au bout, les miners et les noeuds du réseau P2P qui votent sur la version du protocole qui va être utilisée, peuvent être considérés comme le conseil d’administration de cette entreprise autonome (leur seul pouvoir décisionnaire est un vote). La différence avec une entreprise traditionnelle est que les miners ont un très important intérêt financier dans la survie du système, ce qui n’est pas toujours le cas des membres du conseil d’administration d’une entreprise classique. De plus il n’y a pas de PDG – l’entreprise est autonome – qui lui aussi peut avoir des intérêts divergents de ceux des actionnaires, cf la théorie de l’agence pour voir le genre de problème que cela crée. Les intérêts sont donc nettement mieux alignés dans une entreprise autonome que dans une entreprise classique.
De ce léger recadrage conceptuel s’ensuit qu’il devient possible d’envisager des entreprises autonomes décentralisées (distributed autonomous corporation en anglais, d’où l’acronyme DAC que j’utiliserai parfois) qui rendraient d’autres services à leurs utilisateurs que le simple transfert de valeur. L’idée du concept de DAC a vu le jour lors de l’été 2013. Ses géniteurs, Stan et Dan Larimer, ont fondé l’entreprise Invictus Innovation Inc. afin de rendre réel leur vision et de faciliter la création d’une multitude de DACs.
Depuis lors Invictus Innovation a inventé un nouvel algorithme pour assurer la sécurisation d’une blockchain différent du système de minage utiliser par Bitcoin, et a créé un code qui facilite la création de DACs et qui permet l’interopérabilité de celles-ci. En résumé, lors de l’année écoulée Invictus a développé patiemment les outils techniques qui devraient permettre la création d’un vaste écosystème de DACs.
La marque BitShares a également été créée par l’entreprise de Dan et Stan Larimer. Nous pouvons remarquer au passage l’accent mis sur changement de paradigme, shares signifiant actions en anglais, alors que le terme coin - que l’on retrouve dans Bitcoin et dans le terme altcoin – veut dire pièce de monnaie. Cette marque sera utilisable par toutes les entreprises autonomes qui seront créées grâce la boite à outil développée par Invictus et qui distribueront 20% de leurs actions à ceux qui ont financé les activités d’Invictus Innovation, afin de les récompenser des risques qu’ils ont pris.
Ainsi un développeur ayant l’idée d’une nouvelle entreprise autonome pourra facilement la réaliser grâce au code créé par Invictus, et il pourra bénéficier de la réputation de la marque BitShares ainsi que de l’effet réseau – qui est primordial dans ce secteur – créé par la distribution de 20% des actions à ceux qui ont soutenus Invictus. Il est important de préciser qu’Invictus ne revendique aucun contrôle sur les blockchains ainsi créées, la décentralisation demeure le maître mot.
Le première entreprise autonome a avoir été lancée sous l’égide de la marque BitShares est BitSharesX ; c’est aussi la plus ambitieuse : elle a pour vocation a être un marché pour dérivés totalement décentralisé. Je reviendrai plus amplement sur le fonctionnement lors d’un prochain article car il est assez compliqué à comprendre. Notons cependant que le marché l’a accueilli positivement puisqu’alors que la blockchain a été lancée seulement à la fin du mois de juillet, BitSharesX est aujourd’hui déjà installée à la troisième place des capitalisations boursières de l’ensemble des crypto-monnaies.
Les deux suivantes, dont le lancement est prévu dans quelques semaines, vont être BitShares DNS et BitShares Vote. BitShares DNS a pour objectif, à l’instar de Namecoin, de créer un système de nom de domaine internet entièrement décentralisée, et ainsi rendre les censeurs impuissants. BitShares DNS devrait apporter des améliorations significatives à Namecoin qui peine à convaincre les utilisateurs, notamment la résolution des problèmes de squatting des noms de domaines grâce à un système d’enchères.
BitShares Vote de son côté devrait permettre d’organiser facilement des élections dont la veracité du résultat est certifiée par la cryptographie. L’idéal de long terme serait que ce système soit utilisé lors des élections politiques, un monde où quiconque peut avoir la certitude que son vote a bien été pris en compte sans fraude est un monde meilleur. Dans l’intervalle, qui promet d’être long, il est probable que le monde privé jette son dévolu sur ce nouvel outil : la possibilité d’organiser une élection de manière simple, à moindre coût et garantie sans fraude est une possibilité qui ne manquera pas d’intéresser les entreprises et le secteur associatif.
A moyen terme, des DACs dont le business model portent sur la musique, les jeux d’argent (nous avions déjà parlé de cette possibilité avec Chancecoin) et l’assurance sont également dans le pipeline d’Invictus Innovation. Ceci est sans compter les nouvelles idées de tierces parties qui pourront fleurir maintenant que les des challenges techniques ont été débroussaillés.
On constate donc que la technologie de la blockchain mise au point par Satoshi Nakamoto, si elle trouve son application la plus importante dans la monnaie, va également avoir une utilité considérable dans d’autres domaines, et ainsi entraîner la modification de la structure de nombreuses industries. Si Satoshi Nakamoto a disparu après sa contribution monumentale à l’amélioration de la condition humaine, d’autres ont repris le flambeau de l’innovation et bâtissent le monde de demain assis sur ses épaules.
BitShares et les entreprises autonomes
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