Quelles sont les principales nouveautés par rapport aux précédentes sorties de crise (par exemple celle de 2001, après la chute du « Dot.com ») ? D’une part, le niveau élevé de l’endettement public des Etats industrialisés (aux alentours de 80% avec une tendance à la hausse) qui s’accompagne d’un endettement également élevé des ménages et des entreprises. L’endettement total des Etats-Unis, dépasse 350% du PIB et celui de la France approche 320 %. Si l’on compare avec les années 80 ou 90, on remarque qu’à l’époque, c’était les pays en voie de développement qui souffraient d’un endettement excessif (l’Amérique Latine dans la décennie 80 et l’Asie du Sud-Est, à la fin des années 90). Grâce à l’intervention du FMI et d’un ajustement parfois douloureux, ces pays ont retrouvé une situation financière satisfaisante, qui leur a permis de franchir sans trop d’encombres la crise économique actuelle.
L’autre différence, qui n’est pas totalement indépendante du point précédent, c’est la « croissance rapide des échanges « Sud-Sud », c'est-à-dire entre pays émergents. On assiste donc à un découplage partiel entre le monde dit « occidental » et l’Asie. En outre, la baisse des exportations issues des pays asiatiques est largement compensée par la hausse de la consommation intérieure de ces pays, qui abritent, rappelons-le, pratiquement la moitié de la population mondiale ! Conséquence inquiétante de cette nouvelle configuration du monde : la postérité actuelle et future des pays émergents ne va pas forcément favoriser le redémarrage de nos économies. Nous devons avant tout compter sur nos ressources propres.
Or le niveau de l’endettement anticipé dans les prochaines années (persistance de déficits budgétaires élevés, dérapage des systèmes de retraite et de protection sociale, maintien d’un chômage élevé) va bloquer durablement nos efforts de relance.
Ainsi qu’il a été indiqué dans mes éditoriaux précédents, les voies de désendettement sont limitées : la baisse des dépenses publiques se heurtent à l’opposition des opinions publiques (cf.la Grèce), la hausse des impôts risque d’étouffer la consommation renaissante, l’inflation reste peu probable (compression des salaires en raison de l’importance du chômage, surcapacités industrielles dans de nombreux secteurs, impossibilité de dévaluer pour les pays de la zone euro, etc.). Reste la solution d’un moratoire ou d’un défaut de paiement généralisé, dont l’histoire montre que ce sont des alternatives dangereuses (cf. le précédent allemand de 1930). Sur le front géopolitique, on assiste en parallèle à des surenchères inquiétantes : la course vers le nucléaire de l’Iran, susceptible de provoquer une frappe préventive d’Israël, ou des Etats-Unis ; le pourrissement de la situation interne au Pakistan, puissance nucléaire (en conflit permanent avec l’Inde, autre puissance nucléaire) et travaillé par le fondamentalisme ; l’avenir sombre de la Corée du Nord ; l’Afghanistan et l’Irak, où s’enlisent les armées occidentales. Là encore, le précédent historique de 1936 n’est pas rassurant. A cette date, la Grande Dépression n’est pas encore surmontée. On a pourtant tout essayé: le libéralisme et son laisser-faire (1929-1932) ; l’interventionnisme (le New Deal américain, par exemple, à partir de 1933) ; le protectionnisme, une erreur certaine ; des moratoires partiels sur les dettes issues de la Première Guerre Mondiale, etc. En 1936, l’économie mondiale n’a pas encore retrouvé ses niveaux d’avant la crise et le chômage reste élevé (excepté en Allemagne,
compte-tenu de la mise en place du programme national-socialiste).
Il faut souhaiter que les évènements tragiques de l’avant-guerre ne se reproduisent pas. D’une certaine façon, une économie de guerre permet de résoudre les problèmes d’une société minée par le chômage, la stagnation du niveau de vie et le blocage de l’ascenseur social, mais à quel prix ! Il est tentant pour la puissance publique de fédérer la nation autour de la défense du territoire ou d’autres objectifs encore plus bellicistes. Cela permet de justifier facilement des moratoires ou un désendettement appuyé sur des confiscations diverses. Mais peut-être que ce n’est qu’un mauvais rêve.
Bernard MAROIS
Professeur Emérite HEC PARIS
Président du Club Finance HEC