Cette montée en puissance se traduit d’abord dans les chiffres : déjà les pays émergents représentent 52% de la production industrielle mondiale contre 48% pour les pays avancés.
En ce qui concerne les prévisions économiques pour 2010 (chiffres FMI), la croissance mondiale est attendue aux alentours de 4,1%, avec les pays développés réalisant des performances plutôt médiocres: 3% pour les Etats-Unis, 0.8% pour la zone euro et 1.5% pour le Japon. Par contre, l’Asie (hors Japon) atteindra 8% et l’Amérique Latine dépassera 5%, tandis que l’Afrique le « continent oublié », approchera les 4%. Plus particulièrement, on notera les taux de croissance impressionnants prévus pour la Chine et l’Inde : respectivement 8,5% et 7%.
Quant aux prévisions pour la période ultérieure 2011 à 2016, elles confortent celles pour l’année actuelle, à savoir : faibles pour les pays développés (2% en moyenne annuelle pour les Etats-Unis ; 1% pour la zone euro et 0, 5% pour le Japon), élevées pour les pays émergents (8% pour l’Inde ; 7,5% pour la Chine ; 4% pour l’Amérique Latine ; 5% pour l’Afrique). L’économie mondiale devrait croître durant cette période de 4,2%, les pays industrialisés se contentant d’une moyenne de 1,5%, contre 5,8% pour les pays en voie de développement.
D’une façon plus anecdotique, on a constaté en 2009, que les ventes d’automobiles en Chine ont dépassé pour la première fois celles réalisées aux Etats-Unis pendant la même année. Durant la décennie écoulée, le nombre d’abonnés au téléphone mobile en Inde à été multiplié par 240. En 2009, il y a eu plus de 30 milliards de dollars de titres émis sur le marché de Hong-Kong, soit plus que New-York et Londres réunis. Par ailleurs, alors qu’aucune firme multinationale, parmi les 25 premières (en terme de capitalisation boursière), en 2000, n’appartenait à un pays émergent, on pouvait noter qu’en 2009, elles étaient 5 : 4 chinoises (ICBC¹, la première banque mondiale par les profits, Petro China, China Construction Bank, China Mobile) et une brésilienne (Petroleo Brasileiro), mais aucune entreprise française, allemande ou japonaise, dans ce « hit parade » des 25 plus grosses sociétés.
Par ailleurs, on notera que la Chine vient de détrôner l’Allemagne en tant que premier pays exportateur, au niveau mondial et dépasse le Japon en 2010 pour devenir la deuxième économie du monde, derrière les USA. Enfin on a constaté que les transactions boursières de la zone Asie-Pacifique avaient dépassé l’an dernier celles réalisées en Europe et au Moyen-Orient ; en termes de capitalisation totale, la zone orientale a atteint 14600 milliards de dollars (au lieu de 4,9 en 2000), contre 13 000 milliards seulement pour la zone occidentale.
Une étude récente de la Banque mondiale indique qu’en 2030, 1,2 milliard d’individus des pays émergents appartiendront à la « classe moyenne mondiale » au lieu de 400 millions en 2010. Trois pays sont susceptibles de se rapprocher du niveau de vie moyen des pays développés : la Chine, dont l’éventail de la production va s’élargir vers les produits de haute technologie( cf. l’intérêt de ce pays pour les « green-techs ») ; l’Inde, qui ne se limitera pas uniquement aux services informatiques, mais compte investir également dans l’industrie, à l’exemple des groupes Mittal ou Tata ; le Brésil, déjà reconnu comme un acteur majeur, aussi bien dans l’agroalimentaire que dans le pétrole ou l’aéronautique. Le dernier pays appartenant à l’ensemble dénommé BRIC, la Russie, risque d’avoir plus de difficultés, compte tenu de handicaps atypiques pour une économie émergente : démographie catastrophique (la population russe est en régression rapide), évasion de capitaux annulant l’avantage de recevoir des investissements étrangers, industrie moribonde (en dehors du secteur énergétique). Par contre, une deuxième vague de pays émergents apparaît à l’horizon, à savoir : le Mexique, la Turquie, le Vietnam, l’Indonésie et l’Afrique du Sud ; leur taille (et le marché intérieur qui en découle), ainsi que la présence de marchés développés proches (les Etats-Unis pour le Mexique ; l’Union Européenne pour la Turquie) devraient faciliter leur essor.
Pour conclure, on constate donc que la crise actuelle, en plus des réformes qu’elle va entraîner, à plus ou moins longue échéance, servira de révélateur dans le rééquilibrage de la planète, entre pays développés et pays en voie de développement (en particulier les plus dynamiques d’entre eux) entre l’Occident (pour simplifier, les Etats-Unis et L’Europe) et l’Asie. C’est une bonne nouvelle pour les pays émergents et une moins bonne pour nous : il va falloir apprendre à trouver « des compromis nouveaux » en ce qui concerne les grands dossiers futurs, que ce soient les règles du commerce international et l’ordre monétaire mondial ou les problématiques liées à l’environnement (ainsi que l’a bien montré l’échec de la conférence de Copenhague, en décembre dernier).
Bernard Marois
Professeur Emérite HEC Paris
Président du Club Finance HEC